Interview

Entretien croisé sur les coopérations internes dans Les Usines de Ligugé

Regard de Christine Graval et Cyril Chessé sur les trajectoires de coopération : du transdisciplinaire au transsectoriel.

15 décembre 2022

Les Usines sont un tiers-lieu à Ligugé près de Poitiers qui rassemble, dans une ancienne manufacture de chanvre de 2 hectares aujourd’hui en réhabilitation, des outils mutualisés de production pour près de 28 structures (et environ 40 salariés) issues des mondes de l’environnement, des coopératives d’activité et d’emploi, de l’artisanat et artisanat d’art, de la culture, ainsi que des artistes. Rencontre avec Christine Graval et Cyril Chessé, copilotes du lieu, autour des phénomènes de mutualisation et de coopération interne dans le lieu et notamment le fablab, “poumon du tiers-lieu”, articulant production, médiation numérique et formation professionnelle.

Quelles sont les pratiques professionnelles représentées aux Usines ? Sont-elles centrées sur le champ culturel et artistique ?

Christine : Les activités aux Usines sont hétérogènes est c’est d’ailleurs l’une des fondations du projet. Nous venons du secteur artistique et culturel et nous avions le sentiment de fonctionner en silo dans nos expériences précédentes. L’idée des Usines est de poser la transversalité des secteurs d’activité comme colonne vertébrale du projet, avec la volonté d’ouverture, depuis le culturel, à plusieurs secteurs d’activité. Mais cela ne nous empêche pas d’être spécialisés sur certains segments d’activité. En parallèle de l’accueil de structures résidentes, nous déployons – avec le soutien de la DRAC et de la Région – un projet artistique et culturel de soutien et d’accompagnement aux artistes plasticiens qui accèdent à des outils mutualisés adaptés à des pratiques artistiques et culturelles. Cela confère aux Usines une certaine identité et lui vaut d’être identifié par une communauté artistique comme un lieu où l’on trouve des outils spécifiques que l’on ne trouverait pas ailleurs. 

Quels phénomènes de mutualisation pouvez-vous y observer à l’échelle de l’écosystème des structures du lieu et des artistes en résidence ? 

Cyril : L’outil le plus emblématique de cette mutualisation est sans doute le fablab. C’est un outil de production mutualisé de part ses modalités d’accès mais aussi l’endroit où l’on retrouve des compétences partagées, des partages de savoir, des contributions diverses et variées, et des outils mutualisés et qui permet de décloisonner les pratiques de chacun. Lorsque l’on accueille un artiste en résidence de création et de production, et que celle-ci ou celui-ci a des besoins de compétences externes, on les trouve souvent au sein du tiers-lieux, que ce soit des ferronniers, des designers, des infographistes. On a cette facilité à trouver des compétences en interne comme par exemple l’artistique québécoise Véronique Beland qui est venue récemment en résidence aux usines et qui a collaboré pour la scénographie de ces oeuvres interactives (AWAB et HAUNTED TELEGRAPH) avec un ferronnier et une graphiste des usines. On privilégie autant que possible les compétences les plus proches pour une collaboration en présentiel, située. 

Christine : Il y a autant de projets transdisciplinaires, entre artistes ou entre artistes et artisans, que transsectoriels où les artistes s’entourent de compétences de tout autres domaines. Par exemple, dans le cadre du projet “Les Archives du Présent” en lien avec la Coopérative Tiers-Lieux, une artiste et une ergonome ont travaillé ensemble avec les résidentes et résidents autour des communs immatériels et des connexions informelles à l’échelle du lieu. L’étiquette tiers-lieu culturel pour Les Usines nous semble ainsi peut-être trop réductrice. Aux Usines, il y a une Coopérative d’Activité et d’Emploi dans le secteur culturel qui permet de faire unité professionnelle à des personnes qui peuvent être à la fois artiste et jardinier par exemple. Et de la même manière, il y a parfois des rencontres accidentelles ici où deux personnes qui n’auraient jamais dû se rencontrer se retrouvent au fablab et là il y a une étincelle, et quelque chose qui se passe ! 

Cyril : Cet espèce d’interstice très subtil à nourrir comme à percevoir est celui d’interactions qui permettent de désacraliser le geste artistique – notamment dans sa perception élitiste de l’art contemporain. La manière dont nous accueillons les artistes et avec laquelle nous produisons peut permettre de briser la glace avec certains publics et de favoriser la rencontre avec des œuvres qui peuvent être parfois ardues. Les gens qui viennent découvrir l’atelier d’un ferronnier peuvent aussi découvrir une œuvre de Véronique Béland par exemple (et vice versa). C’est une forme de diffusion, qui a trait aussi à l’éducation populaire. 

Plus largement, quel est selon vous le potentiel de ce caractère hybride des activités et des pratiques aux Usines dans la trajectoire individuelle de celles et ceux qui en ont l’usage ?

Christine : Pour des artistes qui arrivent dans ce contexte de travail qui n’est pas uniquement dédié à l’artistique, il y a – contrairement à un centre d’art où tu peux avoir une équipe de 8 personnes dédiées au travail d’un artiste – un rapport commun au travail que ce soit pour l’artiste, le ferronnier ou la comptable de compostage. 

Cyril : Les droits culturels sont la colonne vertébrale de ce lieu, et le pourquoi de sa création il y a dix ans. A travers des secteurs professionnels pluriels qui incarnent la culture au sens très large, comment mieux faire vivre cette culture là et mieux l’incarner en créant des zones de rencontre, parfois pas simples à trouver, avec d’autres praticiens. Grâce à la dynamique du lieu, sa vie quotidienne, cela permet d’incarner tous ces travaux et de pouvoir en parler, de pouvoir montrer des activités de niche comme le compostage, l’artisanat d’art ou la pratique artistique. C’est ce triptyque – lieu de travail + vie quotidienne + rencontre du public – qui fait que la culture est vivante. 

Cet article est publié en Licence CC By SA afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.