Résumé de l’appel à articles
Au sein d’un paysage marqué par trente années de développement des espaces culturels intermédiaires, une génération nouvelle de lieux, dont les plus répandus d’entre eux se dénomment « tiers-lieux culturels », émergent, prolifèrent et rencontrent un engouement certain, en particulier, du côté des pouvoirs publics qui accompagnent leur création par des discours incantatoires et qui les présentent comme des dispositifs « solutionnistes » à toutes les crises. Ce dossier thématique de Culture & Musées (no 45) entend ouvrir la réflexion sur la diversité des dénominations et formes prises par ces tiers-espaces de l’art et de la culture, en passant par le prisme du mouvement de prolifération des tiers-lieux culturels.
Cadrage du numéro
Depuis le milieu des années 80 en France, dans un contexte de foisonnement d’initiatives, de projets ou de dispositifs culturels, ont émergé dans les territoires urbains, des espaces culturels expérimentaux dits « intermédiaires », friches culturelles, squats, « nouveaux territoires de l’art » (Lextrait, 2001) incarnés par des collectifs inscrivant leur action dans une volonté de contester et de transformer le régime culturel institué et simultanément d’initier une réflexion critique sur la place de l’art dans la société (Maunaye, 2004) et sur les nouvelles formes d’expression artistique (Henry, 2011).
Dans la poursuite de cette dynamique, nous assistons, aujourd’hui, à l’émergence d’une génération nouvelle de lieux culturels, recouvrant des réalités plurielles et se désignant par des appellations diverses. Les plus répandus d’entre eux se dénomment « tiers-lieux culturels », manifestant ainsi une filiation directe avec les espaces hybrides que sont les « tiers-lieux » (Lévy-Waitz, 2021), la notion de « tiers-lieu », à l’origine développée par le sociologue Ray Oldenburg et importée en France dans les années 2000 dans un contexte de développement du télétravail et de l’entreprenariat numérique, connaît aujourd’hui un vrai succès en particulier auprès des collectivités territoriales et de l’État qui les soutiennent et encouragent leur expansion à travers des appels à projets à manifestation d’intérêt. L’engouement actuel pour les « tiers-lieux » ne doit pas conduire à passer sous silence la « surabondance d’interprétations où le concept de tiers-lieu accueille tous les fantasmes, les désirs et les besoins collectifs d’une génération d’individus/travailleurs en recherche de référentiel » (Burret, 2015 : 72) ; de même qu’il ne doit pas faire perdre de vue les enjeux à la fois politique, social et économique au centre desquels ils se situent, ainsi que les attentes, tensions et conflits qu’ils cristallisent sur les manières de fabriquer la ville et de gérer ses mutations. En dépit du fait que le « tiers-lieu » a émergé dans un contexte d’urbanisation des villes dès les années 80, aujourd’hui, il est aussi considéré par les acteurs publics et privés comme un outil de revitalisation des territoires ruraux en réponse aux problématiques d’isolement, de recul des services publics, de fracture numérique ou encore de désert culturel. En investissant d’anciens bâtiments industriels, agricoles ou anciennes bâtisses, ces tiers-lieux jouent un rôle en matière de reconversion, revalorisation et patrimonialisation de lieux délaissés ou voués à être détruits. Parmi ces tiers-lieux, certains ont vocation à développer des projets en lien avec l’art et la culture. Selon le rapport « Nos territoires en action » de France Tiers-lieux (2021), 27 % des tiers-lieux se définissent comme des laboratoires de fabrication culturelle ou friches culturelles et 15 % des tiers-lieux disent se sentir appartenir au mouvement des lieux intermédiaires et indépendants. Ces données sont révélatrices, non seulement de l’importance du phénomène « tiers-lieux culturels » (Aroufoune, Magkou, Pamart, 2023) dans le paysage élargi des « tiers-lieux », mais aussi de l’intérêt, pour ce numéro thématique, de réduire la focale en portant l’attention sur ceux, justement, dont l’une des principales caractéristiques est d’accueillir des activités et des pratiques artistiques et culturelles.
À côté de l’expression « tiers-lieu culturel », d’autres terminologies – tout aussi labiles – circulent effectivement et participent de l’émergence et de la diffusion de ce type de lieux se situant « en décalage » (Joanny, 2012 : 21) des institutions culturelles : « éco-lieux artistiques », « fabriques artistiques et culturelles », « espaces-projets », « lieux intermédiaires et indépendants », ou bien encore « lieux pour l’imagination artistique et citoyenne ». Cet inventaire « à la Prévert », qui ne prétend pas établir une liste exhaustive des dénominations existantes, se compose de lieux qui se laissent difficilement appréhender au premier abord, du fait de la plasticité des formes présentes, de la nature composite des projets et des services déployés, de la diversité des acteurs qui les animent et de leur trajectoire, et de leur territoire d’inscription. Ces dénominations plurielles ne décrivent pas les mêmes situations et finalités, elles ne peuvent pas être appréhendées comme interchangeables. Le choix d’une appellation plutôt qu’une autre est loin d’être une opération anodine ; elle est caractéristique d’un positionnement stratégique et identitaire de la part des acteurs, porteurs de projets répondant à des enjeux de visibilité et de légitimité (Idelon, 2018) : « les mots qualifient les lieux » et les « situent aussi dans un environnement et un projet » (Gellereau, La Broise, 2004). Ce dossier thématique entend justement ouvrir la réflexion sur cette diversité de dénominations, sur ce qui les relient ou les séparent, les ruptures, les continuités ou les dépassements dont elles peuvent être la trace.
Malgré le caractère protéiforme de ces « tiers-lieux culturels », nous avançons l’hypothèse qu’ils reprennent, prolongent, arrangent, reformulent, déconstruisent parfois même, dans un contexte renouvelé, une partie des questions qui se posaient à l’endroit des « nouveaux territoires de l’art » comme en témoigne le numéro 4 de Culture et Musées sur les « Friches, squats et autres lieux », publiés en 2004 sous la direction d’Emmanuelle Maunaye. C’est pourquoi, dix-neuf ans après ce numéro, nous proposons de requestionner ces espaces que sont les friches culturelles, les squats artistiques, les lieux émergents ou alternatifs, les lieux intermédiaires (Maunaye, 2004) à l’aune de ce mouvement de prolifération des tiers-lieux culturels, d’en repérer des lignes de continuité et de fracture pour mieux saisir la singularité de ces formes de « lieux-projets » (Henry, 2022) et leur capacité à exprimer des changements à l’œuvre qui traversent les mondes de l’art (Becker, 1992). Rendre compte de la permanence ou de la rupture d’avec certaines questions qui se posaient il y a 20 ans, c’est également vouloir ouvrir une démarche d’analyse diachronique, et par là même critique, vis-à-vis de certains discours contemporains utopiques présentant la catégorie « tiers-lieux culturels » comme un dispositif « solutionniste » à toutes les crises – écologiques, environnementales, démocratiques, économiques. À travers des approches par cas ou des approches comparatives et/ou longitudinales, à l’échelle nationale, européenne ou internationale, les auteurs sont invités à interroger ces lieux culturels intermédiaires, leur projet, les manières de les qualifier, de les mettre en discours et de les faire vivre.
Modalités des contributions
Merci d’adresser vos propositions d’articles (5000 à 7000 signes) par courriel avant le 15 janvier 2024 à :
Émilie Pamart : pamart@univ-avignon.fr
Maud Pélissier-Thieriot : pelissier@univ-tln.fr
Franck Renucci : renucci@univ-tln.fr
avec copie à : eric.triquet@univ-avignon.fr et pauline.grison@univ-avignon.fr
Mise en forme des propositions d’articles de 5000 à 7000 signes espaces comprises
Lien vers l’appel à articlesDirection et Comité de rédaction
Direction de publication : Isabelle Brianso & Éric Triquet (Avignon Université)
Direction de rédaction : Dominique Poulot (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) & Éric Triquet (Avignon Université)
Direction adjointe de rédaction : Gaëlle Crenn (Université de Lorraine)
Coordination de la publication et de la rédaction : Pauline Grison (Avignon Université)
Calendrier
15 janvier 2024: Réception des propositions d’articles.
30 janvier 2024: Retour aux auteurs (acceptation ou refus de la proposition).
29 avril 2024: Réception des articles complets
Mai-juin 2024: Expertise des articles en double aveugle.
30 juin 2024: Retour aux auteurs (acceptation ou refus de publication suite aux expertises)
30 septembre 2024: Réception des V2 des articles
30 novembre 2024: Réception des version finales des articles avec les métadonnées
Décembre 2024 – Mai 2025: Traduction, correction et maquettage
Juin 2025: Publication du numéro.