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Évaluer l’impact de ses actions sur la biodiversité : est-il possible sans le suivi d’un expert ?

Guide des bonnes pratiques

19 juin 2025

Commune Mesure est une plateforme ressource libre et gratuite, co-construite et copilotée qui entend outiller et en capaciter les gestionnaires de lieux aux méthodologies d’évaluation dans une approche évolutive, accessible et apprenante. Depuis 2023, Commune Mesure intègre un volet environnemental à ses méthodologies pour permettre aux tiers-lieux de cartographier leurs actions environnementales à travers 5 grandes dimensions : les émissions de GES, la circularité et sobriété, la biodiversité, la sensibilisation et l’engagement, et l’environnement physique. Dans la continuité de ce travail, un nouveau volet vise à accompagner les tiers-lieux dans une démarche d’évaluation plus approfondie de ces effets, en leur fournissant les outils nécessaires pour mesurer quantitativement les impacts de ces actions et identifier des marges de progression. Ce volet prend la forme de 5 articles encapacitants complétés chacun d’une ressource pratique co-construite avec des lieux et des experts thématiques mettant en valeur l’intérêt d’une démarche auto-évaluative. Rendez-vous sur le site de Commune Mesure pour les découvrir !

Partie 1. Introduction : L’érosion de la biodiversité, un constat alarmant

Deuxième dimension de notre volet environnemental, la biodiversité désigne l’ensemble des êtres vivants, des écosystèmes dans lesquels ils vivent, mais également des interactions des espèces entre elles et avec leurs milieux https://www.ofb.gouv.fr/quest-ce-que-la-biodiversite. L’équilibre de ces écosystèmes et la survie de certaines espèces sont évidemment indispensables au maintien de la vie sur Terre car la biodiversité rend des services écosystémiques qui permettent de répondre directement aux besoins des différentes espèces, dont l’Homme (apport en oxygène, en nourriture, en eau potable, pollinisation, renouvellement des sols, etc). Pourtant les activités humaines sont aujourd’hui responsables d’une érosion de la biodiversité qui constitue une des neuf limites planétaires aux côtés du changement climatique. L’IPBES, dans son rapport d’évaluation mondial sur la biodiversité publié en 2019, mettait justement en avant la responsabilité des activités humaines via l’identification de 5 facteurs de pression sur la biodiversité, parmi lesquels le changement d’usage des terres et des mers, la destruction des habitats, la surexploitation des ressources, le changement climatique, les pollutions et le développement d’espèces exotiques envahissantes. Au rythme actuel, c’est près d’un million d’espèces qui seraient condamnées à disparaître dans les décennies à venir https://news.un.org/en/story/2019/05/1037941 et cet effondrement est d’autant plus inquiétant qu’il pourrait provoquer un “effet domino” : les écosystèmes étant fondés sur les interactions entre espèces, la disparition d’une d’entre elles met en danger les autres La carte interactive de l’ONU permet de rendre compte de l’interconnection entre les espèces. Mieux préserver la biodiversité doit donc d’abord passer par une prise de conscience de notre dépendance à la nature.

Partie 2. Comment les tiers-lieux peuvent-ils agir pour la préservation de la biodiversité ?

Si l’érosion de la biodiversité est un phénomène mondial qui dépasse de loin la responsabilité des tiers-lieux, ces derniers peuvent jouer un rôle important dans la protection des écosystèmes et la sensibilisation des usagers. En tant que lieux d’expérimentation, les tiers-lieux peuvent jouer le rôle de laboratoires pour tester et mettre en oeuvre des pratiques plus respectueuses de la biodiversité. Notre premier volet dédié à l’évaluation des effets environnementaux des tiers-lieux identifiait justement trois types d’actions qui peuvent avoir un impact positif sur la biodiversité : celles qui relèvent du “Mieux connaître la nature sur le lieu”, celles qui permettent “d’encourager la biodiversité” et enfin celles qui visent à “limiter les pressions sur la biodiversité”. La mise en place des actions dépend fortement du contexte de chaque lieu et du rapport à la nature qu’il entretient. Certains lieux, à l’instar de la Ferme de la Cure, ont une approche transversale des enjeux de biodiversité et mettent en place des actions qui relèvent des trois sous-dimensions. D’autres lieux n’ont pas nécessairement intégré la biodiversité au cœur de leurs actions mais mettent tout de même en place des actions qui visent à sensibiliser les usagers du lieu ou à limiter au maximum certaines pressions. Dans un cas comme dans l’autre, la cartographie des actions permises par le premier volet environnemental est une première étape intéressante. Mais qui nécessite d’être approfondie si l’on souhaite intégrer une dimension “quantitative” à l’évaluation des actions en faveur de la biodiversité.

Comment mettre en œuvre un processus évaluatif abouti concernant la biodiversité ? Sous quel angle aborder l’évaluation de cette dimension ? Quelles sont les méthodologies et les indicateurs les plus adaptés pour évaluer ses actions en faveur de la biodiversité ? Peut-on se saisir de ces méthodes même sans être expert de la biodiversité ? Et si oui, comment ?

Partie 3. Comment mesurer ses pratiques sans être expert de la biodiversité ?

Lorsqu’il s’agit d’évaluer l’effet de ses pratiques sur la biodiversité, l’échelle d’analyse n’est pas la même que celle d’un bilan carbone ou celle d’un suivi des entrant et sortant d’une activité de réemploi. Mais pourquoi cette différence ? D’abord parce que l’objet de l’évaluation n’est pas le même. Comme nous l’avons vu dans l’article précédent, réaliser un bilan carbone répond à un objectif précis : celui de mesurer la quantité de gaz à effets serre émis directement ou indirectement par les activités du lieu. Concernant la biodiversité, le cadre de l’évaluation n’est pas aussi clair. Recenser les espèces présentes sur site peut par exemple être un exercice intéressant à bien des égards, notamment à des fins de sensibilisation. Mais cet exercice ne permettra pas d’évaluer dans quelle mesure vos actions ont eu un impact sur la biodiversité environnante. Cette dernière n’est en effet pas seulement affectée par vos pratiques et vos actions ; une multitude d’autres facteurs externes entrent en jeu à différentes échelles. L’évolution du nombre d’individus présents sur votre site est donc difficilement imputable aux actions mises en place : ce n’est pas parce que le nombre d’oiseaux observés dans votre jardin évolue d’une année sur l’autre que ce changement reflète forcément un impact de vos actions. 

Comme nous l’indique Laurie Targa, de l’association Laboratoire Sauvage, pour être appréhendée, cette variabilité naturelle demande beaucoup, beaucoup, de données, relatives à votre site, au territoire, au climat, aux pollutions, etc… Cette étude scientifique nécessitera alors le travail d’experts, du temps et des ressources avec une observation de la biodiversité sur plusieurs cycles de saisons et sur plusieurs années afin de récolter ces nombreuses données. Construire un indicateur basé sur le nombre et la diversité d’espèces vivantes sur site, sans mener cette étude sur une longue période et avec l’appui d’experts, ne permettra donc pas forcément d’évaluer l’impact de vos actions sur la biodiversité.

A défaut de réaliser un suivi-évaluation de la biodiversité sur votre lieu, il est tout de même possible d’évaluer ou de rendre compte de vos initiatives sur la biodiversité. Comme nous le rappelle Grégoire Loïs, ornithologue et directeur adjoint du programme Vigie-Nature au Muséum d’Histoire Naturelle, l’essentiel est de repartir du contexte de chaque lieu et de se demander quelles actions est-il possible de mettre en place à cette échelle. Plutôt que de chercher à évaluer l’impact de vos actions sur la biodiversité, il s’agira  alors plutôt de se fixer des objectifs réalisables et de quantifier ses efforts en faveur de celle-ci. Par exemple : Je mets en place un abri pour les chauve-souris plutôt que d’essayer de les compter. On ne parle alors plus tant d’indicateurs d’impacts que de résultats. Plutôt que de se baser sur le nombre d’individus présents (qui n’est pas forcément représentatif), l’indicateur est alors plutôt : je mets en place ou non des initiatives pour accueillir la biodiversité, limiter les pressions sur cette dernière, mieux la connaître et sensibiliser les usagers du lieu.

En se basant sur ce constat, nous avons créé un outil sous la forme d’un tableur simple et ludique, décrivant un inventaire d’initiatives faisables à l’échelle d’un tiers-lieu, adaptées à leur cartographie et les types d’environnements présents sur le site.  Cette liste n’est bien sûr pas exhaustive et vous pouvez librement vous l’approprier et y ajouter d’autres initiatives. Cet outil vous permet alors de visualiser le champ des actions réalisables sur votre site tout en vous permettant d’instaurer un suivi de celles mises en place. L’indicateur est alors la mise en place des actions que vous estimez intéressantes par rapport aux spécificités de votre tiers-lieu, ainsi que leur efficacité. Par exemple, si votre lieu dispose d’un toit plat potentiellement végétalisable, il peut être intéressant d’y installer du terreau. L’indicateur de résultat est alors la mise en place (ou non) de cette action; celui-ci est validé si vous constatez l’apparition de végétation ou la présence de faune sur ce toit après l’avoir recouvert.

Télécharger l’outil

Cette grille est pensée pour être modifiée selon vos besoins. N’hésitez pas à nous faire part de vos retours pour nous permettre de l’améliorer dans une logique collaborative.

S’il est intéressant de mettre en place certaines actions pour favoriser la biodiversité à l’échelle de votre lieu, il ne faut pas pour autant considérer la nature comme dépendante à l’action de l’Homme. Grégoire Loïs nous le rappelle : “Les écosystèmes naturels n’ont pas attendu l’Homme pour se développer, ils y parviennent très bien sans nous depuis des millions d’années. Il est finalement plus dur de lutter contre l’installation de la biodiversité que de chercher à l’accueillir. Laissez une partie de votre terrain en friche et sans entretien et vous serez forcés de constater que la biodiversité s’y développe toute seule”. Ne rien faire constitue donc parfois déjà une action favorable à la biodiversité.

Partie 4. Comment repenser l’évaluation des actions en faveur de la biodiversité sous le prisme des tiers-lieux ?

Fort de constater qu’un suivi-évaluation rigoureux de la biodiversité reste complexe sans expert et que les indicateurs présentés dans la grille ci-dessus reflètent des actions et des résultats plus que des impacts, nous nous sommes demandés comment les tiers-lieux pouvaient s’emparer de ce sujet de manière différente. En l’occurrence, il ressort de nos différents entretiens avec des experts et acteurs de l’écosystème que l’effet le plus palpable que l’on peut avoir est indéniablement la sensibilisation de ses acteurs. Par leur nature, les tiers-lieux sont spécifiquement des espaces d’innovation et d’engagement du collectif, ce qui en fait des vecteurs de sensibilisation sur les enjeux de biodiversité. 

En effet, comme nous l’expose Grégoire Loïs, en mettant en place un projet collectif et pédagogique autour de la biodiversité : “le regard sur le vivant évolue”. C’est ce que confirment Françoise Lacotte, cofondatrice du tiers-lieu La Verrerie à Arles, qui travaille avec des publics scolaires à travers les labels Aire éducative de l’OFB et Coin Nature du FRENE ; et Nicholas Henderson, membre du collectif “Faire tiers-lieu pour le Vivant”, qui réalise des cartographies sensibles du vivant dans les tiers-lieux : “Après avoir inclus des enfants dans des projets en faveur de la biodiversité sur un site, et lorsqu’on demande à l’un d’entre eux d’illustrer un jardin en début et en fin d’année, la différence est nette. Le second dessin décrit animaux, insectes et plantes de façon précise alors que le premier ne les représentait quasiment pas.” En incluant des actions de sensibilisation à votre démarche, les effets de vos actions sur la biodiversité peuvent ainsi dépasser les murs de votre tiers-lieu

En raison de la nature collective des tiers-lieux, les sciences participatives apparaissent également comme une forme de mobilisation et de sensibilisation particulièrement pertinente. Sans être des experts sur le sujet, chaque acteur peut s’en saisir afin d’identifier collectivement la biodiversité présente sur site tout en participant à l’effort de recueil de données pour faire avancer la recherche scientifique de manière plus globale. Avec ce type de démarche, la sensibilisation des participants est d’autant plus importante qu’ils deviennent parties prenantes du suivi de la biodiversité. L’effet “pare-brise” témoigne par exemple bien du fait qu’il n’est pas nécessaire d’être expert de la biodiversité pour observer son érosion. Ce phénomène théorise le constat selon lequel de moins en moins d’insectes morts s’accumulent sur les pare-brise, pare-chocs et vitres des voitures ces dernières années, signe que la population d’insectes croisés sur les routes diminue. Ce phénomène a d’ailleurs été remarqué par un ensemble de citoyens au Royaume-Uni. Leurs observations ont permis de lancer en 2000 la grande enquête citoyenne “Bug matters”. Cette enquête continue aujourd’hui de produire des résultats grâce à la participation des citoyens qui ont produit les données eux-mêmes en photographiant leur pare-brise et plaque d’immatriculation après leurs déplacements en voiture. La compilation de ces données “profanes” a conduit à la réalisation du rapport The Bugs Matter – Citizen Science Survey en 2024 qui démontrent que le nombre d’insectes échantillonnés sur les plaques d’immatriculation des véhicules par des citoyens à travers le Royaume-Uni a diminué de 63 % entre 2021 et 2024.

Dans le cas des tiers-lieux, vous pouvez amener votre public, vos occupants, ou encore vos équipes à utiliser des applications accessibles aux amateurs telles que Birdlab, qui vous permettra d’observer en temps réel le comportement des oiseaux à la mangeoire en hiver tout en répondant à des quizzs vous permettant d’apprendre à reconnaître les espèces d’oiseaux présentes sur votre site. Les informations recueillies via ces applications seront par la suite partagées à la communauté scientifique pour alimenter la recherche sur la biodiversité à l’échelle nationale. 

Sur un autre format, vous pouvez vous former, ainsi que les autres acteurs engagés, à la reconnaissance de la faune et de la flore avec des applications qui analysent directement vos photos. Utilisez-en une ou plusieurs pour comparer vos résultats !

Un outil interactif à découvrir sur le site de Commune Mesure

L’utilisation de ce type d’application est très facile à mettre en place dans un tiers-lieu et fonctionne très bien sous forme d‘ateliers simples et rapides pour mobiliser les parties prenantes du lieu et leur donner l’envie de s’y intéresser !

Si vous désirez aller plus loin et pérenniser ce type d’initiatives, il est possible de mettre en place des protocoles de sciences participatives, construits par des experts et accessibles aux amateurs. C’est notamment le cas avec le programme Vigie-Nature développé par le Muséum National d’Histoire Naturelle, qui est ouvert aux débutants comme aux plus expérimentés. Celui-ci propose des protocoles scientifiques simples, et permet à tous de contribuer à la recherche tout en découvrant la biodiversité qui nous entoure, que l’on soit en ville ou à la campagne.

Nous avons sélectionné quelques exemples de protocoles applicables à l’échelle d’un tiers-lieu selon le contexte dans lequel vous vous situez :

Un outil interactif à découvrir sur le site de Commune Mesure

Vous pouvez également toujours vous faire accompagner dans vos pratiques (qu’il s’agisse de mettre en place des actions ou des protocoles de sciences participatives) par des écologues bénévoles ou volontaires dans des associations près de votre tiers-lieu. Vous trouverez ci-dessous des organismes pouvant vous accompagner dans la mise en place d’initiatives en faveur de la biodiversité sur votre lieu : 

En conclusion, la biodiversité est un sujet complexe car elle fait appel à une multitude de connaissances et qu’elle s’inscrit plutôt dans un suivi à long terme. Il est donc normal de se sentir dépossédé et mal outillé  lorsqu’il est question de savoir comment la protéger, et encore plus lorsqu’il s’agit d’évaluer les actions mises en place. C’est pourquoi avant de vous lancer dans une démarche d’évaluation conséquente de votre lieu, notamment en matière de biodiversité, nous vous invitons premièrement à opter pour des méthodes progressives et à commencer par cartographier les actions que vous mettez en place. A ce titre, le questionnaire du premier volet méthodologique de Commune Mesure et la grille présentée plus haut dans cet article peuvent être des bonnes pistes outillage pour une première évaluation. La protection de la biodiversité est un sujet collectif, dont tout le monde peut se saisir. Il en est de même pour l’évaluation : la communauté autour du lieu est un atout majeur à mobiliser pour le suivi de la biodiversité sur site et les sciences participatives constituent des outils intéressants dans la mesure où ils permettent également de sensibiliser les parties prenantes aux enjeux relatifs à la biodiversité et à son recensement tout en permettant de récolter de la donnée et d’apporter une contribution à la recherche scientifique.

Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.