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Quels sont les partenariats des tiers-lieux pour renforcer leur impact territorial ? – Opus 3

« Ce projet me permet de m’affirmer » : coopération et émancipation, une construction en miroir

29 juillet 2025

Si 68% des projets lauréats de Deffinov mobilisent un organisme privé, La Manufacture circulaire du Cotentin a plutôt choisi de se tourner vers un Greta et un lycée technique pour mettre au point sa formation. Mais quel cadre mettre en place avec des acteurs aux méthodes de travail si différentes ? Itinéraire d’une coopération réussie pour ce troisième opus de la série “Coopérer avec” destinée à mettre en lumière des partenariats innovants entre tiers-lieux et structures publiques, associatives ou entrepreneuriales des territoires.

« On a mis beaucoup de temps, un an, à se réunir pour définir comment on allait faire les choses » admet Aude Schaeffer, directrice de La Manufacture circulaire du Cotentin. Car le montage d’une formation en consortium était une première pour ce tiers-lieu, le lycée technique Alexis de Tocqueville et le Greta Côtes normandes, les principaux partenaires. 

Comme 33% des projets Deffinov dont ils sont lauréats, ils conçoivent une formation certifiante : un CAP Métiers de la mode et vêtement flou (MMVF) qu’ils numérisent et qui sera déployé à partir de septembre 2025. L’occasion de voir advenir les résultats de cette coopération multi-partenariale et les profils que cette formation saura attirer. À ces derniers, le programme proposera un programme hybride entre cours à distance et sessions de pratique en tiers-lieu, pour favoriser l’apprentissage par le faire et le lien social entre apprenants. 

Exigeante sur le plan technique, innovante sur le plan pédagogique, la formation requiert expertise et souplesse. Le lycée et le Greta apportent leur expérience et leur structure administrative ; La Manufacture, son agilité. En s’entourant de Béatrice Nicollet, déjà couturière au sein du tiers-lieu et pendant vingt ans enseignante au lycée technique, La Manufacture trouve la clef pour que chacun se fasse confiance et travaille en complémentarité. 

Comprendre le territoire

Jusqu’alors, les personnes éloignées de l’emploi, en reconversion ou nouvellement arrivées sur le territoire n’avaient pas l’opportunité de se former à la couture à Cherbourg-en-Cotentin. Car si le lycée de Tocqueville offre bien une formation certifiante, la modalité en présentiel est difficilement accessible à ces publics. Éloignement géographique, impossibilité de faire garder ses enfants, emploi à temps plein constituent de fait des freins majeurs. 

La plupart des adultes qui souhaitaient se former à la couture devaient donc suivre un CAP à distance. Des formations à la qualité « plus ou moins variable », déplore Aude Schaeffer, et ne préparant pas les apprenants à la maîtrise de machines à coudre industrielles qui serviront pourtant d’outils de base à leur épreuve de confection finale. 

Seule expérience pratique au cours de cette formation, le stage en entreprise reste insuffisant pour monter en compétences. Car, selon la directrice, « les entreprises ont un savoir-faire qui ne leur sert qu’à elles. Quand les apprenants en sortent, ils ne sont pas vraiment employables par une autre structure ». Une difficulté pointée par le lycée de Tocqueville qui apporte au projet « une vision des besoins du secteur industriel et une réelle compréhension de l’enjeu pédagogique ».

Jeux de rôles

Ce sont donc les professeurs du lycée qui, au départ, sont chargés de réaliser les contenus écrits et audiovisuels de la formation. Le rôle de La Manufacture se cantonne pour sa part, se souvient la directrice, à « séparer le référentiel en nombre de vidéos ». Mais grossière erreur, se rend-elle compte rapidement : le travail des professeurs, colossal, ne peut pas être effectué sur leur temps de travail.

« Alors, reprend-elle, on s’est dit que le Greta paierait en vacation, mais il fallait estimer le temps et le montant. C’était très long et on n’y est jamais arrivés. On a donc envisagé que ce soient le CAFOP ou Canopé qui fassent les capsules vidéo. Mais là aussi, il a été compliqué d’expliquer le projet, d’obtenir un devis et d’avoir des disponibilités. Il y a donc eu un an d’allers-retours, d’interrogations, pour savoir comment on faisait. »

Finalement, l’intégration de Béatrice Nicollet dans l’équipe va permettre à La Manufacture de gérer la production de contenus en interne. Un soulagement pour les partenaires qui se voient délestés d’un travail qu’ils n’étaient pas en mesure d’assumer et gagnent une précieuse interlocutrice. Pour le consortium, c’est aussi le début d’un vrai travail collectif, soutient Aude Schaeffer : « Avec le lycée et le Greta, on s’est alors réunis pour concevoir ensemble le programme, le contenu des vidéos, le nombre de fiches, toute la trame de ce qui allait être produit. Tout ça, on l’a convenu ensemble. » 

Au singulier

Cette coopération est d’abord, pour Béatrice Nicollet, l’opportunité de mettre à profit son expertise. Car la lecture et le déchiffrage d’un référentiel, la passation d’épreuves au CAP, l’ex-enseignante les maîtrise. Elle mobilise aussi ses compétences en accompagnement – mais auprès d’un nouveau public. « C’est un autre côté de la formation, se réjouit-elle : c’est très intéressant de travailler aux côtés de personnes qui ont un vécu derrière elles et ont traversé d’autres expériences. »

Ensuite vient l’exaltation des découvertes, permises par la répartition des rôles entre les structures. Elle qui « adore apprendre » voit ainsi comme « une opportunité d’assimiler de nouvelles choses » le fait de s’essayer aux tournages vidéo. Pour le lycée aussi, ces méthodes de travail ouvrent de nouvelles voies, dans un cadre « beaucoup plus libre », selon la directrice, mais aussi plus serein qui « contourne plus que ne bouscule » les habitudes. 

La confiance que s’accordent les partenaires invite ainsi chacun à expérimenter de nouvelles postures : « Ce projet me permet de m’affirmer, de montrer qui je suis et ce que je vaux », s’enorgueillit Béatrice. Grâce à l’autonomie qui lui est accordée, elle gagne en aplomb pour se lancer, négocier, s’adapter. Pour Aude Schaeffer, c’est là ce qui fait la richesse de cette coopération : « C’est beaucoup une question de personnes. Celles qui nous entourent ont compris le projet et sont de nature à foncer. Et ça, ça nous va bien en tant que tiers-lieu. »

Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.