Interview

Se former en tiers-lieux – Opus 3

À Mulhouse, La Petite Manchester donne des perspectives aux femmes éloignées de l’emploi

29 juillet 2025

À Mulhouse, La Petite Manchester forme aux métiers du textile en tissant des liens entre jeunes en formation initiale, femmes éloignées de l’emploi et industrie textile. Grâce au label Manufacture de Proximité et au soutien du programme Deffinov sur la formation en tiers-lieu, cette association propose des formations à tous les niveaux ainsi que des services pour faciliter l’insertion, tout en œuvrant à la relocalisation de la filière. Entretien avec Nathalie Methia, professeure d’arts appliqués et présidente de l’association Openfab, qui porte La Petite Manchester.

Qu’est-ce que La Petite Manchester ?
C’est un tiers-lieu qui comprend à la fois une école, une fabrique et des ateliers partagés. Notre projet est né en 2015 d’un constat : il y avait une inéquation entre les compétences transmises dans les formations créatives du secteur textile et les besoins de l’industrie. On a donc voulu connecter ces mondes pour favoriser l’employabilité des artisans-designers et des personnes éloignées de l’emploi.

Quelles formations proposez-vous ?
En 2018, nous avons ouvert une filière design au lycée Louis Armand, le Bac STD2A (Sciences
et technologies du design et des arts appliqués) dans lequel on travaille le design mode, produit, espace, graphisme et métiers d’art, en lien avec les industriels. Puis nous avons ouvert le DNMADE (Diplôme national des métiers d’art et du design, niveau Bac+3) en alternance – une rareté. 

Depuis 2021, nous sommes également chantier d’insertion. Une quinzaine de personnes y travaillent, principalement des femmes de 30 à 58 ans : jeunes éloignés de l’emploi ; dames qui n’ont jamais travaillé et souhaitent s’émanciper ou encore jeunes diplômées de CAP confection qui ne trouvent pas de travail.

En outre, certains modules du DNMADE sont aussi accessibles à nos salariées en insertion et vont donner lieu à des CQP (Certifications qualifiantes professionnelles). De plus, on voulait que les ateliers partagés soient au cœur de notre pédagogie, donc on s’est équipés de machines dès le début. Il y a une passerelle entre nos 3 volets.

Peut-on entrer en chantier d’insertion si l’on n’a pas de connaissances en couture ?
Avant d’y entrer, nous proposons deux programmes préparatoires (De Fil et De Fil Suite), financés par la Politique de la Ville et l’État, qui forment une cinquantaine de personnes à chaque fois. De Fil permet de s’initier pour identifier ses appétences (dessin, infographie, broderie numérique… ). De Fil Suite apporte les bases techniques : enfilage, sécurité, couture, point de montage, lire un dossier technique etc.. Ensuite, les personnes peuvent intégrer le chantier d’insertion.

Ces personnes trouvent-t-elles un emploi à l’issue du chantier d’insertion ?
Certains, titulaires du Bac pro, poursuivent en DNMADE en alternance. Pour les autres, on construit avec elles un projet adapté. Celles qui veulent travailler comme opératrices sur une chaîne de montage sont mises en lien avec nos partenaires industriels.

L’une souhaitait s’orienter vers la vente et retouche, elle travaille maintenant dans notre boutique des métiers d’art, en vente et retouche minute, ce qui lui permet de fréquenter artisanes et designers.

Mais nous avons constaté qu’à l’issue du chantier d’insertion, celles qui lançaient leur atelier de retouche avaient des difficultés car les machines coûtent cher. Rien que pour réparer une braguette de jean, il faut une machine à 6000 € ! C’est pour cela que nous avons développé les ateliers partagés. Le tiers-lieu permet aux personnes de démarrer une activité retouche sans s’équiper, ou louant à l’heure, à la demi-journée, à la semaine… Les ateliers partagés sont aussi ouverts aux designers, artisans, créateurs du territoire. 

Le secteur de la retouche est donc en expansion ?
En 2024, grâce au bonus réparation de Refashion, on comptait 800 000 réparations dont 80 % en cordonnerie. Le potentiel de la retouche textile est donc très important et le secteur se développe : nous avons été sollicités par des chaînes de pressings pour réaliser des retouches et nous ne pouvions répondre à toute la demande. Oui, la mode est dominée par la fast-fashion mais la tendance est aussi au réemploi et au do-it-yourself. Le marché de la fripe explose, les gens cherchent à faire eux-mêmes et à réparer ou faire réparer, qu’il s’agisse d’un blazer chiné ou d’une pièce à forte valeur affective. Or on ne peut pas industrialiser la réparation, car ce sont toujours des opérations uniques. Il y a donc un vrai débouché, surtout pour des femmes éloignées de l’emploi.

L’industrie textile a t-elle un avenir en France, entre les grands groupes qui font fabriquer en Chine, Bangladesh, Inde etc. et les petites marques qui travaillent avec le Portugal ou le Maghreb ?
Oui, mais il faut former une nouvelle génération. Au Portugal, les ateliers familiaux ont perduré, mais chez nous les gens qui ont les compétences sont en fin de carrière, dont il faut absolument former la relève maintenant. Mulhouse était une ville très importante pour l’industrie textile, comme Lyon et Roubaix, surtout pour le textile technique, moins pour la mode. Je pense que cette aventure de la confection made in France n’est pas terminée. Le fait de ne pas pouvoir produire des masques à deux coutures pendant le Covid a entraîné une prise de conscience sur la nécessité de remonter des filières locales. On y travaille, avec nos partenaires industriels, comme L’Usinier Français.


Quels sont vos projets ?
Finaliser nos Certifications Qualifiantes Professionnelles et décrocher le label Campus des Métiers d’Art pour développer d’autres techniques comme la broderie et la sérigraphie. On croit en une filière textile relocalisée, circulaire, pourvoyeuse d’emplois À Mulhouse, cette filière peut redémarrer, avec et pour les habitants.

Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.