Selon le référencement 2023 de France Tiers-lieux 51% des tiers-lieux proposent une activité culturelle. Comment ces espaces parviennent-ils à mobiliser des financements pour déployer leur projet ? Comment se travaille la notion de culture dans les tiers-lieux ? Leur approche permet-elle de faire bouger les lignes des politiques culturelles ?
Dans un contexte de baisse des financements publics douloureux et fragilisant pour les tiers-lieux, le secteur culturel semble être particulièrement touché. Les chiffres récemment communiqués sont clairs : la baisse des financements publics à la culture au sein des collectivités territoriales, entre 2024 et 2025 atteint un record tristement historique. Pourtant les missions d’intérêt général menées dans les tiers-lieux (accès aux œuvres, expérimentation artistique, consolidation des liens et des relations sur un territoire, expérimentation sociale, projection de nouveaux récits et imaginaires en réponses aux crises contemporaines…), ne peuvent exister sans financement public. Les acteurs et actrices des tiers-lieux le rappellent : malgré une injonction à la marchandisation et le fantasme d’un modèle économique qui pourrait se passer de financements, on ne peut développer les missions d’intérêt général portées par les tiers-lieux sans soutien public. En cette période de fragilisation, il peut être intéressant de faire un état des lieux des dispositifs existants mais également d’explorer ce que les tiers-lieux expérimentent dans leur approche de la culture. Quels financements peuvent-ils mobiliser en dehors des dispositifs traditionnels ? Leurs singularités contribuent-elles à faire bouger les lignes des politiques publiques ?
Les tiers-lieux culturels ou les lieux intermédiaires et indépendants : un héritage de plus de 30 ans, qui assoit la relation aux politiques culturelles traditionnelles
Au sein des tiers-lieux culturels, on retrouve de nombreux espaces issus de l’héritage des friches culturelles et des Nouveaux territoires de l’art, qui peuvent aussi se reconnaître dans l’appellation lieux intermédiaires et indépendants. Un certain nombre d’entre eux existent depuis plus de 20 ans et sont désormais tout à fait identifiés par les politiques publiques culturelles. Nées dans les années 1980 et 1990, ces dynamiques se sont distinguées en occupant les friches industrielles laissées par la fin des Trente Glorieuses. Investis alors par des artistes et acteurs et actrices culturels, ces lieux revendiquaient une création hybride et transdisciplinaire, ancrée dans le territoire et en résonance avec le patrimoine industriel et la mémoire ouvrière. Malgré une décennie flamboyante portée par la politique culturelle ambitieuse de Jack Lang, de nombreux acteurs soulignent le risque d’une approche trop figée, sa déconnexion avec l’ensemble des habitants et la charge symbolique portée par les lieux traditionnels de la culture qui pourraient entretenir une forme d’élitisme voire d’exclusion. Avant même que l’on parle de tiers-lieux, les friches culturelles proposent d’expérimenter des nouvelles formes de projets culturels : les résidences liées au territoire, l’activation du réseau des acteurs locaux ou encore l’hybridation des ressources économiques…
Quels financements publics pour les tiers-lieux culturels ?
Ces lieux ont déjà mené une bataille de reconnaissance de leurs pratiques et de leurs singularités. Il existe donc aujourd’hui un certain nombre de dispositifs qui leur sont adressés. Dans ces lieux, les artistes ont un rôle central, la création y est souvent hybride et expérimentale et les résidences, en lien avec le territoire et son écosystème y sont souvent développées. Ces tiers-lieux culturels sont souvent identifiés par leurs interlocuteurs dans les services déconcentrés du Ministère de la Culture (les directions régionales des affaires culturelles, les missions aux affaires culturelles, les directions culture, jeunesse et sports) ou la DAC de leur commune (Direction des affaires culturelles). Ils se reconnaissent comme appartenant à la famille du secteur culturel et bien que leur situation soit toujours fragile voire précaire, ils ont su faire reconnaître leurs pratiques. Plusieurs directions au sein du Ministère de la Culture, développent des politiques culturelles qui peuvent soutenir tout particulièrement les missions de ces tiers-lieux culturels :
• Les Ateliers de fabriques artistiques, développé par la Direction générale de la création artistique :
Depuis 2015, cet outil a pour particularité d’être souple et de valoriser la proximité. Les Ateliers de fabrique artistique sont des lieux non labellisés, le plus souvent dirigés par des artistes (arts visuels ou spectacle vivant), dont l’activité d’accueil en résidence est centrale. D’une grande diversité, ces structures ont pour points communs d’occuper des espaces originellement non dédiés à la culture mais qui le sont devenus par transfert d’usage (patrimoine bâti délaissé…), d’être inscrits dans une relation forte avec leur environnement (le projet artistique se construit souvent dans la rencontre avec les habitants et les acteurs locaux), de mettre en œuvre des modalités de participation, de fréquentation et d’inclusion qui leur sont propres. Au nombre de 121 (dont 43% en milieu rural), ils mobilisent 2,7M d’euros de crédits sur le P131 (2023).
De nombreux tiers-lieux culturels ont reçu un soutien via ce dispositif : La Fabrique Pola (Bordeaux, 33), Bouillon Cube (Causse de la Selle, 34), La Fonderie (Le Mans, 72)
• L’appel à projets « Soutien aux dispositifs d’accompagnement pour la culture », développé par la Direction générale des médias et des industries culturelles :
Les tiers-lieux peuvent en bénéficier dans leur rôle d’accompagnateurs de porteurs et porteuses de projet et d’entrepreneurs culturels. En 2023, près d’une dizaine de tiers-lieux ou acteurs accompagnant les tiers-lieux ont été soutenus (sur 40 lauréats). Depuis 2023, cet appel à projets propose un conventionnement de 3 ans. Le dispositif doit cependant évoluer à compter de 2026.
Parmi les projets financés depuis 2023 on retrouve la Coursive Boutaric (Dijon, 21), MOTOCO (Mulhouse, 68), Bliida (Metz, 57).
• Le Fonds d’innovation territoriale, développé par la Direction générale de la démocratie culturelle, des enseignements et de la recherche :
Le Fonds d’innovation territoriale a été mis en place en 2022 pour soutenir des projets innovants, introduits dans leurs territoires et engagés dans une dynamique de participation des citoyens. L’ambition de ces projets est de permettre la création de nouveaux liens sur le territoire, de soutenir des initiatives citoyennes, d’offrir des espaces d’expressions à une vie culturelle élargie à une diversité de sujets (transition environnementale, santé, solidarités…). Chaque projet associe au moins une collectivité territoriale et s’adresse particulièrement aux territoires ruraux ou les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Sur la période 2022-2024, 22% des projets soutenus étaient portés par des tiers-lieux. A noter qu’en 2022, suite à une première vague de soutien dans le cadre du nouveau fonds d’innovation territoriale, il a été proposé aux DRAC/DAC d’identifier de nouveaux projets en faveur des tiers-lieux culturels à travers une délégation de crédits dédiés d’1M€. Le souhait était de soutenir le développement de tiers-lieux culturels ou la création d’un axe culturel au sein de tiers-lieux existants, en particulier dans les territoires prioritaires (quartiers politique de la ville et territoires ruraux).
Quelques chiffres : 261 lauréats au total sur la période 22-24 ; subvention maximum de 50 000 € sur cette période ; 50 nouveaux projets soutenus en 2025 . Selon les années, l’enveloppe a varié de 3,9M€ à 5M€ entre 2022 et 2024.
Parmi les tiers-lieux qui ont bénéficié de ce fonds on retrouve Les Accords du Lion d’or (Simandre, 71), Tiers-lieux EPHAD La Bonne Eure (Bracieux, 41), La Maison du colonel (Amiens, 80), L’Arbre (Commes, 14), La Soulane (Jézeau, 65)…
D’autres financements para-publics
Dans le paysage des potentiels financeurs, les structures para-publiques peuvent aussi être des porteuses de dispositifs de soutien. L’ADAGP, dédiée aux arts visuels, peut par exemple soutenir des structures ou directement les artistes. Ou bien encore La Sacem, qui soutient les lieux de diffusion et de production avec une programmation ouverte à la scène musicale émergente locale et régionale.
Pour les tiers-lieux qui programment du théâtre ou de la danse, ils peuvent aussi se rapprocher de L’Association pour le soutien du théâtre privé. L’ASTP a pour mission de favoriser la création et la production de spectacles. Pour cela, elle recouvre une taxe sur la billetterie des spectacles dramatiques, lyriques et chorégraphiques qui est ensuite redistribuée par le biais de plusieurs dispositifs. Si un tiers-lieu est redevable de cette taxe, il peut solliciter le droit à reversement, équivalent à 65% de cette dernière. Un seul pré-requis : avoir procédé à une procédure d’affiliation à l’ASTP. Dans l’éventualité où le tiers-lieu produit, coproduit ou accueille un spectacle assujetti à la taxe ASTP, il peut également bénéficier au droit au reversement, calculé au prorata de sa contribution au spectacle, sur demande auprès de l’ASTP ou bien envisager de solliciter un dispositif de soutien économique remboursable. L’équipe de l’association est à disposition des tiers-lieux pour les orienter et les aider à structurer leur demande. Une veille doit cependant être effectuée sur ces dispositifs puisqu’ils seront redéfinis à partir du début de l’année 2026. Si les objectifs restent les mêmes, les modalités de soutien vont sûrement évoluer. Toutes les informations seront mises à jour sur le site internet de l’association.
L’ensemble de ces aides peuvent appuyer des démarches artistiques portées par des équipes dont la pratique est reconnue par le milieu culturel professionnel. Seulement, nous savons que dans les tiers-lieux la culture se travaille très souvent bien au-delà de ce cadre. Nombreux sont les projets qui développent une approche sociétale de la culture et qui cherchent avant tout la création de liens, l’émergence de nouveaux imaginaires ou encore une appropriation des récits. Pour cela, ils accueillent des équipes artistiques, mais pas seulement. En mettant autour de la table des pratiques, des savoirs et des compétences divers, en cherchant à créer des espaces communs où toutes les singularités sont reconnues, ces tiers-lieux inscrivent davantage leur démarche dans la notion des droits culturels. Ils peinent très souvent à rendre visible leurs pratiques auprès des institutions culturelles, certains ne se reconnaissant tout simplement pas dans cette famille professionnelle. Cependant, dans un contexte où les transitions sociales, économiques, écologiques et culturelles deviennent urgentes, il est important de pouvoir s’appuyer sur des financements publics qui viendraient soutenir la dimension d’expérimentation sociale des tiers-lieux. Un enjeu qui apparaît comme profondément culturel.
Revendiquer l’approche d’expérimentation sociale et culturelle des tiers-lieux :
comment financer une dynamique inscrite dans les droits culturels ou une programmation culturelle plus occasionnelle ?
Si on décide de s’inscrire dans une approche des droits culturels, on peut alors affirmer qu’un très grand nombre de tiers-lieux développent un projet culturel. Les droits culturels proposent une définition qui va bien au-delà de la simple question artistique et de sa diffusion. Il s’agit de réfléchir davantage à ce qui fait sens collectif et ce qui fait société. La culture telle qu’elle est entendue par les droits culturels, se fonde sur trois notions clefs : la dignité des personnes, la diversité des cultures et la participation à la vie culturelle. La culture est ici mouvante, plurielle et en production continue. Elle doit s’entendre dans son acception large et englober tout ce qui permet à une personne et à un groupe de personnes de se définir. Nous parlons des pratiques alimentaires, des codes sociaux, des modes de relations, des organisations institutionnelles, des savoirs et savoir-faire, des langues, des traditions, des productions artistiques et artisanales, des organisations familiales… Ne plus envisager la culture seulement comme un espace intellectuel dédié aux disciplines artistiques permet d’ouvrir un champ des possibles à explorer par les tiers-lieux. L’enjeu ne deviendrait-il pas de contribuer à créer des espaces de négociations démocratiques, de co-construire une société faite de singularités et d’inventer des nouveaux modèles d’organisations collectives ?
La notion marque une véritable rupture avec l’approche traditionnelle des politiques culturelles françaises, inscrite dans la vision de la démocratisation culturelle, défendue par André Malraux, même si nous notons une intégration progressive de la notion au sein du Ministère de la Culture (notamment à travers la création de la Délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle en 2021, devenue la Direction générale de la démocratie culturelle, des enseignements et de la recherche, en septembre 2025). Les positions intellectuelles et les ambitions posées par les droits culturels sont très différentes des objectifs historiques de la politique culturelle française : la démocratisation culturelle, l’accès aux oeuvres, une approche descendante et centrée sur l’artistique versus la démocratie culturelle, l’enjeu de participation, une culture de la gouvernance collective et la personne au centre.
Les tiers-lieux culturels parce qu’ils sont ancrés dans leurs territoires et parce qu’ils naissent de dynamiques citoyennes sont alors des espaces propices à investir concrètement cette notion. Ils partagent avec elle, une vision ascendante qui cherche à laisser la place à chacune des parties prenantes et qui favorise l’expérimentation sans jamais chercher à figer un projet.
Rappelons que la notion n’est non seulement pas récente puisqu’elle apparaît dès l’après-guerre, mais qu’on la retrouve dans plusieurs textes français et internationaux1. Les droits culturels font partie des droits fondamentaux, au même titre que les droits politiques, sociaux et économiques, et s’inscrivent dans le cadre juridique des droits de l’homme.
Comment s’expriment les droits culturels dans les tiers-lieux ?
Dans le paysage des tiers-lieux, on rencontre de nombreux espaces de pratiques, ancrés davantage dans cette approche et une vision transformatrice. On y voit se déployer un ensemble de propositions au sein desquelles se croisent artistes, acteurs et actrices culturels mais également un large spectre de personnes issues d’autres horizons (transition écologique, santé, aménagement urbain, insertion, prévention, agriculture, accès aux droits…).
Nous pouvons alors ouvrir le champ des thématiques et ainsi des financeurs qui pourraient soutenir un projet culturel qui travaille une approche sociétale.
Si on s’intéresse par exemple aux enjeux de l’accueil et de la relation, très souvent au cœur des tiers-lieux, on peut travailler avec la CAF qui pilote un appel à projets Espace de vie sociale, voire même dans certains territoires, des appels à projets dédiés aux tiers-lieux. Par ailleurs, un tiers-lieu qui pense particulièrement les questions de médiation et de la relation aux habitants et habitantes de son territoire, pourra solliciter des aides à l’emploi Adultes relais. Bien que de nombreux dispositifs d’aides à l’emploi ont été stoppés cette année, il en existe qui peuvent soutenir l’approche culturelle. Dans le cas de profils spécifiques sur les questions de jeunesse et d’éducation populaire, il existe par exemple les postes Fonjep.
S’ils sont très largement lieux d’accueil, les tiers-lieux apparaissent également comme des lieux d’entraide, en mettant leurs compétences, leurs réseaux et leurs pratiques au service de structures ou de personnes qui viendraient les démarcher. Dans une vision de l’accueil inconditionnel, les tiers-lieux cherchent toujours à répondre, même de manière informelle à une sollicitation qui émanerait du territoire ou de réseaux partenaires. Ce travail d’accompagnement peut se formaliser et être valorisé dans le cadre de dispositifs de financements. Ainsi, un tiers-lieu peut défendre en quoi il contribue à sortir des économies informelles sans tordre la nature des projets, ou bien en quoi il est indispensable sur les sujets d’accès au numérique. Souvent moins connotés aux yeux des habitants, que des espaces gérés par des services publics, souvent plus flexibles également dans leur fonctionnement et dans les actions proposées, les tiers-lieux savent inventer des réponses culturelles aux enjeux sociaux et économiques de leur territoire.
Dans ce contexte où l’expérimentation, la tentative ou le prototypage sont des outils indispensables pour répondre aux enjeux contemporains, les tiers-lieux s’emparent tout particulièrement des problématiques soulevées par la transition écologique. Ils deviennent de véritables espaces de tests pour travailler et éprouver des nouveaux récits et imaginaires. Alors qu’un changement civilisationnel et donc culturel doit s’opérer à grande échelle, les tiers-lieux peuvent se vivre comme des bases arrières où la transformation est déjà engagée et où les solidarités et les coopérations guident les actions. C’est ainsi qu’un projet structurant peut être soutenu par l’Appel à Communs, portée par l’ADEME. Notons que l’ADEME accorde un réel intérêt à ce qui se joue dans les tiers-lieux. Elle vient d‘ailleurs de publier, en lien avec le réseau francilien des tiers-lieux A + c’est mieux, l’étude « Tiers-lieux & Transition écologique en Ile-de-France”, qui analyse notamment l’entrée culturelle autour des enjeux écologiques.
Si l’ancrage et l’approche locale sont le cœur même des tiers-lieux, ces derniers ne se définissent jamais dans le repli. La nécessité de faire système, de tisser des liens et de se structurer à grande échelle est indispensable. L’échelon européen devient alors un réel levier stratégique. Il nécessite une ingénierie lourde et précise, il doit se penser à moyen ou long terme, mais il peut aussi être un véritable appui pour structurer un modèle économique. Les financements y sont généralement conséquents et se pensent sur plusieurs années. Les tiers-lieux culturels peuvent devenir des partenaires clés dans des projets de coopération européenne. Par leur ancrage territorial et leur capacité à travailler au plus près des habitants, ils peuvent apporter un savoir précieux aux côtés de celui de laboratoires de recherche ou d’institutions, qui sont quant à eux souvent davantage calibrés pour porter des subventions européennes. L’Europe peut financer la formations des adultes notamment via des mobilités, mais également le volet recherche action des tiers-lieux culturels.
De nombreuses entrées peuvent encore être prises dans ces tiers-lieux où la dimension culturelle est abordée par le prisme des droits culturels (la jeunesse, l’alimentation, les mobilités, la transmission, le patrimoine…). Toutes peuvent ouvrir des pistes de financements qu’il est pertinent d’aller travailler en lien avec les partenaires et les collectivités territoriales.
Culture, vivre-ensemble et convivialité
Enfin, dans une volonté de développer le lien et la convivialité, beaucoup de tiers-lieux deviennent des espaces de fêtes et d’événements ouverts au public. Ils programment très souvent dans ce cadre des artistes (groupes de musique, compagnies de danse, théâtre ou cirque…). Cette programmation ponctuelle de spectacle vivant (toute discipline confondue), peut alors donner lieu à un soutien du GIP (Groupement d’intérêt public) Cafés Cultures, dispositif impulsé par le Ministère de la Culture, les collectivités, les syndicats d’artistes et les organisations professionnelles représentatives des cafés, hôtels et restaurants.
Le GIP Cafés Culture pilote deux fonds d’aide, pensés pour soutenir l’emploi des artistes. Il permet de soutenir la programmation artistique de lieux qui ne sont justement pas des espaces de programmation traditionnels. Le premier fonds s’adresse aux cafés, hôtels et restaurants, le second à tous les autres employeurs occasionnels (associations, comités des fêtes, petits commerces…). Les critères d’éligibilité présentés sur le site permettent de savoir si un tiers-lieu peut solliciter un de ces fonds. Pensés pour encourager l’emploi des artistes, ces fonds prennent en charge une partie des salaires et des cotisations. Ils ont l’avantage d’être très simples à solliciter et de se déclencher rapidement afin d’éviter une trop grosse avance de trésorerie. Ces aides peuvent tout à fait soutenir des tiers-lieux qui organisent ponctuellement des concerts ou des spectacles dans le cadre d’une programmation plus ouverte (journées thématiques, ateliers, conférences, débats, portes ouvertes…).
Le GIP Cafés Culture a pensé des critères d’éligibilité qui favorisent avant tout l’emploi dans les petites structures. Au regard des remontées des acteurs en période post covid, ils ont été sollicités par la Région Bretagne pour élargir le dispositif. Une expérimentation de près de deux ans a été lancée. Suite à un bilan positif, les membres du GIP ont souhaité que cette action s’étende sur le territoire national en créant un second fonds en juillet 2023. L’équipe constate aujourd’hui que le fait de s’être appuyé sur le terrain pour nourrir et contribuer à la création de cette deuxième aide a été particulièrement pertinent. Leur politique de soutien en est plus précise, plus pertinente et plus équitable. Nous touchons là un point particulièrement intéressant en pleine période de crise des financements publics. Les tiers-lieux développent non seulement une expertise de leur territoire, mais également une ingénierie de la coopération et de la co-construction. Ils apprennent à travailler de manière transverse et à faire avec une grande diversité de profils. Leurs connaissances mais également leurs pratiques ne deviendraient-elles pas des supports sur lesquels s’appuyer pour repenser l’action publique ? Dans un contexte de crise démocratique, ne serait-il pas essentiel de faire autrement, de tisser d’autres liens entre les acteurs et actrices de terrain et les institutions, qui sont par ailleurs nombreuses à souligner que leur métier perd de son sens, car trop souvent réduit à une approche gestionnaire de l‘action publique ? Les tiers-lieux peuvent-ils inspirer une transformation des politiques publiques ?
L’approche culturelle des tiers-lieux peut-elle contribuer à une conduite du changement dans le design des politiques culturelles ?
Depuis les années 1990 et les enquêtes sociologiques d’Olivier Donnat Les Pratiques cultuelles des Français, qui venaient révéler les limites de la démocratisation culturelle, de nombreux acteurs et actrices évoquent une crise des politiques culturelles (perte de légitimité, manque de vision, notion culturelle réduite à la notion d’art…). Alors, peut-on observer un changement de paradigme encouragé par les pratiques culturelles dans les tiers-lieux ? Les expérimentations menées et l’entrée sociétale de la culture développée dans ces espaces permettent-elles un déplacement des politiques culturelles ? Comment les tiers-lieux invitent les politiques culturelles à se réinventer ?
S’il est complexe de tirer des conclusions sur l’ensemble du territoire national, nous pouvons cependant observer des déplacements au sein même de services de direction culturelle, qui face aux expérimentations menées sur leur territoire, ont transformé leur cadre d’intervention en termes de culture. Tout d’abord, il est intéressant de voir le Ministère de la Culture se doter d’une Délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle en 2021 (devenue depuis Direction générale de la démocratie culturelle, des enseignements et de la recherche), qui développe une approche plus transversale et interministérielle . Au sein de celle-ci la Délégation aux territoires impulse et coordonne la politique de soutien aux tiers-lieux culturels. Elle gère entre autres le Fonds d’innovation territoriale qui a choisi de garder un cahier des charges délibérément très ouvert afin d’accueillir un maximum de formes d’expérimentations culturelles sur le territoire (dont celles portées par les tiers-lieux).
Ce Fonds d’innovation a par exemple contribué à abonder L’appel à initiatives Tiers lieux en Provence Alpes Côte d’Azur, initié par la DRAC PACA. Il a aussi permis la création d’un Fonds de soutien aux tiers-lieux au sein de la Communauté de communes du Val de Drôme en Biovallée. La collectivité inscrivait déjà sa politique culturelle dans la lignée des droits culturels. Elle a été accompagnée pour cela par Luc Carton, qui était philosophe et vice-président de l’Observatoire de la diversité et des droits culturels. Le service animation territoriale et culturelle développe un pôle dédié à la transmission de la culture scientifique et la gestion d’un espace, le Campus du Val de Drôme et deux de politiques structurantes : culturelle et de soutien aux tiers-lieux du territoire.
Constatant que de nombreuses initiatives de tiers-lieux se développaient sur leur territoire, la collectivité, par le biais de son service animation territoriale et culturelle, a fait le choix de mettre en place une politique de soutien structurante et pensée en réponse aux besoins des acteurs. Depuis 2021, ils ont créé un parcours de formation des porteurs de projets de tiers-lieux. A partir de 2023, sentant que les besoins en financements notamment au fonctionnement devenaient indispensables à la pérennisation des tiers-lieux, ils ont créé le Fonds de soutien, avec la collaboration de la DRAC Auvergne Rhône Alpes qui leur a donné accès au Fonds d’innovation territoriale.
Le Fonds de soutien, abondé à la fois par le Fonds d’innovation territoriale et par la collectivité, est un dispositif d’aide au fonctionnement d’environ 5000 €. Il est accompagné de trois rendez-vous de suivi, d’un parcours de formation et d’une visite apprenante des élus de la collectivité. L’enjeu étant de familiariser les élus aux expérimentations et aux pratiques transverses des tiers-lieux. Animé par une équipe très engagée auprès des acteurs du territoire, ce dispositif permet d’encourager le décloisonnement des pratiques traditionnelles des politiques publiques, qui fonctionnent généralement en silo. Le comité technique d’analyse des candidatures est par exemple composé de plusieurs services et partenaires (les services du développement économique, numérique, animation et vie sociale de la Communauté de communes, la CAF, le programme européen Leader, le réseau départemental des tiers-lieux Cédille).
L’équipe du service animation territoriale et culturelle a importé les pratiques des tiers-lieux au sein de la collectivité. Elle travaille en coopération avec les partenaires afin d’apporter des réponses éco-systémiques à une problématique. Elle privilégie le faire ensemble à une approche descendante et adapte ses politiques culturelles aux besoins et aux réalités du territoire. Par sa capacité à engager les autres services dans sa dynamique de soutien, le service a ainsi pu contribuer à la mise en relation entre des tiers-lieux avec d’autres politiques mises en œuvre par la collectivité, comme le programme Leader (programme européen). Cela a permis de débloquer des fonds très structurants auxquels n’auraient pu accéder le tiers-lieu sans leur intermédiaire.
L’exemple de Communauté de communes du Val de Drôme en Biovallée est particulièrement inspirant en cette période de crise des financements. Il montre que les dynamiques de coopérations, le fait de faire alliance et de travailler en complémentarité entre les acteurs du territoire et les collectivités peuvent contribuer à dessiner des politiques culturelles et plus largement des politiques publiques pertinentes. Dans une logique de partenariat, cela permet également de soutenir les projets et de consolider les initiatives locales, en allant mobiliser des fonds que les collectivités sont beaucoup plus à même de porter.
Dans une période trouble, où nos sociétés sont traversées par de nombreuses crises culturelles (replis identitaires, transitions environnementales et civilisationnelles, remise en question des modes de vie…), les exemples vertueux doivent nourrir nos pratiques et nos réflexions. Les tiers-lieux offrent des espaces d’expérimentations culturelles, de tests, de prototypages… Ils sont aussi des lieux où naissent des nouveaux récits et de nouveaux imaginaires, valorisant l’approche solidaire et coopérative d’un territoire. Ils savent apporter des réponses aux problématiques sociales et économiques, souvent de manière informelle. Mais ils sont aussi très fortement touchés par la précarité. Travailler en coopération et imaginer à leurs côtés les politiques culturelles de demain pourraient être une réponse non seulement au besoin de soutien de leur structuration, mais également au besoin des politiques publiques culturelles de se repenser et d’inventer des nouveaux modèles de soutien.
- Quelques références et repères pour comprendre les droits culturels :
La Déclaration universelle des droits de l’Homme, 1948
Article 1 « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ».
Article 22 « Toute personne (…) est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité. »
La Convention de Faro, 2005
Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société.
« Le patrimoine culturel est une ressource servant au développement humain, à la valorisation des diversités culturelles et à la promotion du dialogue interculturel ainsi qu’à un modèle de développement économique suivant les principes d’usage durable des ressources. »
La loi NOTRe, dans la loi française, L’article 103 de la loi du 7 août 2015, Nouvelle Organisation Territoriale de la République, « La responsabilité en matière culturelle est exercée conjointement par les collectivités territoriales et l’État dans le respect des droits culturels énoncés par la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 20 octobre 2005. » 
            Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.