À Besançon, le tiers-lieu de l’association Hôp Hop Hop a été fondé par des architectes et urbanistes engagés dans l’appropriation de la ville par ses habitants et habitantes. Depuis neuf années, ce lieu d’expérimentations et de rencontres s’est imposé comme un acteur central de la vie socioculturelle bisontine. Aujourd’hui, le projet de requalification urbaine du quartier annonce la fin prochaine de l’occupation temporaire du lieu. Deux visions se font face, celle de l’association qui souhaite pérenniser l’expérimentation et celle de la Ville de Besançon et de l’aménageur Territoire 25, soucieux des impératifs économiques et techniques liés au projet urbain.

En effet, alors que le vaste projet de renouvellement urbain du quartier prend forme, l’occupation temporaire du tiers-lieu semble arriver à son terme. L’année 2026 pourrait marquer le non-renouvellement de la convention d’occupation temporaire qui lie l’association au propriétaire, l’aménageur Territoire 25. Dans ce contexte précaire, l’association Hop Hop Hop plaide pour que la valeur d’usage produite par ces nombreuses années d’occupation soit intégrée à la programmation urbaine. De son côté, la Ville de Besançon se montre réservée quant à la possibilité d’intégrer cette expérience temporaire dans un projet soumis à des contraintes économiques propres à un bâtiment entièrement rénové.
Ces interrogations dépassent le cas bisontin. Partout en France, de nombreux tiers-lieux temporaires peinent à inscrire durablement leurs démarches dans les projets urbains dont ils pourraient pourtant être un levier d’innovation. À l’échelle nationale, les collectivités publiques ayant initié une démarche d’occupation temporaire éprouvent encore des difficultés à en percevoir le potentiel préfiguratif.
Cet article s’appuie sur un entretien mené en mars 2025 avec Alice Gauthier, coordinatrice du collectif Hôp Hop Hop, enrichie par le point de vue d’Anna Otz, cofondatrice de l’association. Ce premier échange a mis en lumière une incompréhension forte entre les acteurs associatifs et la collectivité publique. Afin d’élargir la discussion, la Ville de Besançon et l’aménageur Territoire 25 , appelés à s’exprimer, ont transmis un texte commun en octobre 2025, exposant leur point de vue sur la thématique abordée.
La forme même de cet échange, dont nous avons été les intermédiaires, constitue à nos yeux une première réponse à la question posée dans cet article. Si la manière dont l’histoire se raconte est similaire, un décalage manifeste se dessine dans la compréhension de ce que peut signifier une expérience d’urbanisme transitoire, notamment en matière d’intégration des acteurs territoriaux dans la fabrication d’un urbanisme de transition.
C&C : Peux-tu nous présenter le tiers-lieu du collectif Hôp Hop Hop ?
Alice : Le tiers-lieu est situé dans le centre historique de Besançon, une ville qui s’est construite autour d’une boucle du Doubs. Il s’insère dans un ensemble de bâtiments très imposant qui a accueilli l’ancien arsenal de la ville, puis une partie du centre hospitalier universitaire (CHU) dont la fac de médecine. Lorsque le collectif est arrivé en 2017, le bâtiment était vide depuis deux ans, mais le propriétaire de l’époque, le CHU, continuait de le chauffer – au fioul, ça mérite d’être souligné – pour éviter qu’il ne se dégrade.
Aujourd’hui, les 2000 m² dont nous disposons sont quasiment tous occupés. Il y a un bâtiment qui est plus axé sur des activités ouvertes au public et dans l’autre aile, il y a surtout des bureaux ou des ateliers. Pour ce qui est des espaces de travail, le succès a été immédiat, il a suffit de 15 jours à l’ouverture du lieu pour les remplir. Avant, les gens travaillaient chez eux. Ils avaient besoin de séparer leur activité professionnelle de leur vie personnelle et de rencontrer du monde. Et puis ils ne voulaient pas juste un lieu de coworking, ils cherchaient un lieu de vie, d’échange avec un esprit de communauté. Un peu comme une coloc à l’échelle de 2000 m².

Nous avons également créé un café associatif (l’Arsenic), une recyclerie (l’Arscyclerie), une salle d’exposition (l’Aparté), un atelier de bricolage partagé (la Bricole), un espace de bien-être et une bibliothèque/micro-librairie (le Salon). On a aussi trois salles polyvalentes fréquentées par plus d’une soixantaine de structures pour des réunions ou des ateliers. Ce sont des espaces tout le temps blindés.
Le café associatif est ouvert trois fois par semaine, il est très fréquenté avec des concerts, des gens qui organisent des soirées échecs, d’autres qui prennent une petite table pour faire des massages de main à prix libre. Il y a vraiment énormément de choses qui se passent dans cet endroit, ce qui en fait un lieu convivial. C’est aussi l’activité de l’association la plus visible pour les bisontins et bisontines, qui pensent directement au café quand on leur parle d’Hôp Hop Hop.
Le café-restaurant et la recyclerie ont vite fonctionné. Besançon est une toute petite ville qui fonctionne beaucoup par le bouche à oreille, tout le monde se connaît et l’information circule vite. En plus, il y a peu de cafés ou de restaurants associatifs et c’est une ville de gauche donc les habitants soutiennent ce type de projets..
Ça fait sept ans que le bâtiment est occupé et les activités générées par le lieu ont pris une place énorme dans la vie socio-culturelle de la ville. Il y a une vraie demande à Besançon, c’est une ville très associative et le jour où nous n’occuperons plus le bâtiment, ça sera vraiment la crise du logement pour les associations, parce que la mairie ne peut absolument pas traiter le nombre de demandes que nous traitons.

C&C : Tu veux dire que le projet risque de s’arrêter bientôt alors que vous répondez aux besoins des associations locales ?
Alice : Oui, en 2022, le CHU a cédé la propriété du foncier à Territoire 25, la société publique locale en charge de l’aménagement du quartier, dont les actions dépendent des décisions de la mairie de Besançon. Depuis, ils renouvellent nos baux pour une année supplémentaire, chaque année. Je pense qu’ils prennent leurs précautions, ils veulent éviter de s’engager sur trois ans au cas où le projet avancerait. Alors on se demande chaque année, “est-ce qu’on pourra rester un peu plus longtemps ?”. Pour l’instant, la réponse est oui.
C&C : À l’origine, l’association se projetait-elle sur le temps long dans ce bâtiment ?
Alice : Je ne suis arrivée que récemment dans l’association mais je sais qu’en 2017, le collectif Hôp Hop Hop avait l’envie commune d’occuper cet espace vacant et d’y tester des usages. Les fondateurs et fondatrices sont vraiment allées toquer aux portes du propriétaire, le CHU, en leur disant “Pourquoi ce bâtiment est vide ? Donnez-le nous, on va faire des choses dedans. Vous avez avantage à ce qu’on soit là parce qu’on va vous décharger une partie des charges de gardiennage, votre bâtiment ne sera pas dégradé, on le maintient à flots le temps que vous commenciez les travaux, vous avez tout à y gagner. Et nous aussi.”
A ce moment-là, il n’y avait pas vraiment de projection dans le temps pour l’occupation du bâtiment, l’idée était de tester des usages pour faire – ou justement ne pas faire – des choses dans le lieu. Je pense même qu’au départ, l’idée était de passer de lieu en lieu, mais l’activité s’est installée durablement dans ce bâtiment par un effet d’opportunité. Au début, il y avait un lieu vide, des gens qui avaient besoin d’espace, une association qui pouvait créer du lien et ils se sont dit “allons-y et on verra quelle forme ça prend et sur combien de temps ça se développe !”.
Anna : Effectivement, l’idée était de valoriser les lieux en attendant leur vente et leur réhabilitation. Ensuite, nous aurions pu occuper un autre bâtiment vide, ou même un autre bâtiment de l’hôpital, au fur et à mesure de la transformation urbaine. Les usages étaient un besoin pérenne, mais le lieu aurait pu changer. Rapidement après notre installation, on s’est tout de même rendu compte qu’on répondait à un besoin important et qu’il fallait pérenniser cette offre d’une manière ou d’une autre. On avait en tête l’expérience des Grands Voisins, qui s’est arrêtée mais qui a influencé la programmation du nouveau quartier.
C&C : Si dans un premier temps, il n’y avait pas de projection à long terme sur le bâtiment, les fondateurs·ices ont-ils tout de même mis à profit leurs compétences architecturales et urbaines ?
Alice : Lors de son installation, le collectif s’est saisi de cette opportunité comme un premier pas vers une expérimentation d’urbanisme transitoire, qui s’est finalement transformé en un tiers-lieu ancré dans le territoire.
Au début, les fondateurs et fondatrices ont mis leurs compétences à profit pour des petits travaux de mise aux normes afin de classer certaines parties du bâtiment en ERP, notamment les salles polyvalentes, le café associatif et la recyclerie. Ils ont aussi fait de la signalétique et quelques aménagements d’espace avec des matériaux de récupération. Mais il n’y a pas eu de travail sur l’analyse architecturale du bâtiment à proprement parler, puisqu’on n’a pas eu la main mise sur son futur. On a toujours eu un bail précaire et on ne nous a jamais consultés pour imaginer le projet pérenne. On a toujours été sur un volet d’occupation temporaire.
Anna : Au début, nous voulions montrer qu’on peut faire beaucoup avec peu, et qu’on peut mettre en fonctionnement un bâtiment avec de l’huile de coude et de la bonne volonté. Mais c’était dans une optique d’échéance plus courte. Si on avait su que ça durerait si longtemps, on aurait fait plus de travaux et on aurait construit les choses différemment ! Mais on aime la frugalité !
Alice : L’accent “architecture et urbanisme” transparaît finalement dans la manière dont on a favorisé l’appropriation du lieu. On s’est demandé comment est-ce que cet espace appartient plutôt aux citoyens et aux citoyennes de cette ville qu’à un promoteur privé.
C&C : Quelles actions avez-vous mis en place pour favoriser cette appropriation ?
Anna : Au sein du lieu, tout le projet a été pensé pour que les gens se l’approprient. Le côté accueillant du café, la diversité des usages proposés, les salles polyvalentes qui sont littéralement des espaces à s’approprier . Et les événements et actions autour du bâtiment.
Alice : Les fondatrices-architectes-salariées ont aussi créé des ateliers de carte sensible dans différents contextes. C’est une activité de l’association qui se tient en parallèle de la gestion du lieu et qui concerne la manière dont les bisontins·ines habitent le territoire. On a par exemple travaillé avec succès sur un atelier centré sur la première expérience de primo-arrivants à Besançon. Depuis, les personnes de la mairie chargées des contrats territoriaux accueil et intégration (CTAI), ciblent directement l’association pour de nouveaux ateliers, nous en sommes au troisième. Ça fait partie des missions qui ont le plus de sens au sein de l’association mais ce sont aussi les plus difficiles à mener car elles prennent beaucoup de temps et d’énergie.
Anna : Réaliser des cartes sensibles est une manière de remettre les usagers au cœur des projets, de leur redonner la parole mais aussi de changer nos modes de faire en produisant des diagnostics sensibles et non hors-sol.
Alice : On mène également un travail sur l’espace public. On a construit des objets mobiles – un sauna et un four en terre crue – en chantier participatif, pour occuper l’espace public et on utilise ces objets pour créer du lien. Leur originalité fait beaucoup parler les curieux·euses, ce qui crée des connexions. Mais si beaucoup de gens posent des questions, peu parviennent à passer le pas et à les utiliser, ça reste quand même une démarche un peu déstabilisante.
Anna : Pour ce qui est de se retrouver en maillot de bain sur la place publique c’est clair ! Mais ça fonctionne pour créer de la discussion entre les utilisateurs et utilisatrices, même dans le sauna. Le four à pain intrigue avec son dôme en terre, mais il est moins déstabilisant, le succès est toujours là, les gens sont heureux de goûter un morceau de pain. C’est une revendication : retrouver la convivialité autour du four dans chaque quartier et chaque village.
Alice : Une année, on a été missionné pour faire de la concertation par le service Démocratie Participative de la mairie. En plus des ateliers, on a proposé une démarche d’urbanisme tactique : retirer les voitures, installer du mobilier et apaiser la circulation pendant un mois. Pour cela, on a participé à un événement, le “parking dayÉvénement mondial créé en 2005 à San Francisco, appartenant aux méthodes de l’urbanisme tactique (https://www.parkingday.fr/presentation). L’urbanisme tactique peut se traduire comme une approche novatrice, pour penser l’espace public, en partant des usages, à partir de l’expérimentation d’aménagements légers et peu coûteux (CEREMA).”, qui se reproduit chaque année, le troisième vendredi de septembre. Des places de parking ont été prêtées par la mairie et l’idée était d’y inventer un usage et d’interpeller les habitants et habitantes sur le fait que tout cet espace pris par des voitures serait complètement transformé s’il était mobilisé pour du lien social. C’était assez intéressant de faire ça sur des axes très empruntés par des voitures et dans des quartiers résidentiels. Aujourd’hui, ça reste un événement qui interpelle beaucoup. C’est chouette parce que ça se déroule sur une journée donc il y a le temps, des gens passent le matin, ils observent un peu de loin puis repassent l’après-midi et viennent finalement s’asseoir faire des petits ateliers. Cette année, on a installé le four et du mobilier construit en chantier participatif : des hamacs, des jeux en bois géants etc. Ce sont des moments vraiment axés sur la convivialité.
Anna : Le service voirie de la ville nous a effectivement mis des places de parking à disposition, mais le principe initial est de prendre une place dans une rue, de payer son parcmètre, et d’y installer un espace de convivialité ou de verdure plutôt qu’y mettre sa voiture. Puisque garer sa voiture consiste en la privatisation de 12 m² de l’espace public, pourquoi ne pas réserver la place pour y faire autre chose ? C’est en fait la définition de l’urbanisme tactique : tester, expérimenter, pour bien prendre en compte les usages avant de pérenniser quelque chose.
Alice : Ce type de projets sont des grandes victoires pour l’association. Cela signifie qu’une de nos activités a généré un impact durable sur une thématique importante à Besançon où les enjeux de mobilité sont très forts. C’est tout l’objet de notre démarche d’urbanisme transitoire à l’Arsenal : faire des choses éphémères pour que ça inspire des choses durables. Sur ce type de missions, on a beaucoup de visibilité dans la ville parce qu’il n’y a pas d’autres associations qui portent ce genre de projet.
Je suis arrivée en début d’année à la coordination du lieu et ces projets sont en stand by pour le moment. Vu que je remplace deux postes, il y a d’autres priorités. Mais ce sont des activités assez détachées de l’expérience du lieu. On a d’un côté l’activité archi-urba avec de l’animation d’atelier et de l’autre un tiers-lieu avec ses activités socio-culturelles. Mais j’ai l’envie de travailler encore sur ces sorties hors les murs, parce que c’est quelque chose d’important pour l’association.
Anna : Oui c’est vrai. Le lien se fait quand ces projets animent aussi le lieu, ou quand des gens qui travaillent dans le lieu participent au projet. Mais ça reste deux pôles différents de l’association : animer un espace public intérieur et redonner de la convivialité à l’espace public existant. On va bientôt recruter une personne pour reprendre ces projets hors les murs.
C&C : Vous préfigurez des usages, vous menez des actions sur le territoire mais le propriétaire ne vous intègre pas aux réflexions en cours sur la transformation du bâtiment ?
Alice : Oui, ça ne communique pas. Dès le départ, l’occupation du bâtiment était à l’initiative du collectif, ce qui signifie que la préfiguration d’usages ne s’est pas construite en fonction des interrogations posées par les propriétaires successifs, ou même par la ville. Comme on va bientôt devoir partir, nous avons fortement envie de créer un dialogue avec Territoire 25 et la municipalité, pour leur demander comment ils envisagent la suite. Qu’ont-t-ils comme projet pour ce bâtiment, notre occupation a-t-elle mené à des réflexions programmatiques ? Il faut dire que la réhabilitation du lieu s’inscrit dans une contexte de requalification globale du quartier dont j’ai l’impression qu’ils ont priorisé d’autres parties.
Ils souhaitent recréer une vie de quartier autour de différents usages : le projet le plus avancé est la bibliothèque universitaire et la faculté de lettres qui est en rénovation. Il y aura des logements en accession libre et des cabinets médicaux. Et puis il y aura également des bureaux avec éventuellement, un café : ils vont faire ce qu’on a déjà fait, mais version non associative.
On a l’impression qu’ils ont mis notre bâtiment de côté en attendant que les budgets soient votés. On a aussi entendu que l’aménageur avait cherché à vendre le bâtiment, il semblerait qu’ils n’aient pas tellement l’idée de l’aménager eux-mêmes. Peut-être qu’ils ne se sont pas encore posé la question nous concernant. Après, ils n’ont aucune obligation de transparence vis-à-vis de nous, on n’est pas dans la boucle des mises à jour de calendrier. De toute façon, il n’y a pas vraiment eu de processus de concertation, les premiers éléments de communication sur le projet de quartier vers le grand public sont sortis alors que les travaux de démolition avaient déjà commencé.
C&C : Vous ne connaissez pas l’avenir du bâtiment occupé par Hôp Hop Hop, mais pourtant nous avons vu que vous accompagnez un autre projet du quartier, dont l’État est propriétaire ?
Alice : Oui, nous sommes en lien avec le rectorat sur un chantier en cours situé dans un autre bâtiment de l’ancien arsenal. Ce bâtiment est un chantier pilote pour le réemploi, avec une rénovation qui conserve le plus de matière possible. L’association Hôp Hop Hop est en lien avec ce chantier mais de manière assez distante, on le documente en facturant notre prestation.
Anna : Ce projet de chantier-école a émergé d’un travail sur le réemploi que l’on mène avec Grand Besançon Métropole depuis notre installation. C’est un sujet intrinsèque à l’association et notre rôle est de sensibiliser le grand public sur ce sujet. D’où le travail de documentation et la mission de « journal de chantier » que nous menons sur ce projet. On avait aussi proposé de réaliser du mobilier en réemploi pour les étudiants et étudiantes et l’aménagement de la cour, mais ça n’a pas été retenu.
Alice : Documenter ce chantier ou même passer commande d’une concertation pour le réaménagement d’espace public, comme avec Parking Day, ça ne coûte pas trop cher et ça ne remet pas beaucoup de choses en question. Dans le cas de l’Arsenal, c’est un bâtiment énorme qui pourrait générer beaucoup d’argent et c’est toujours le facteur économique qui pèse dans la balance.
Anna : C’est sûr que l’association ne coûte pas très cher pour faire de l’urbanisme transitoire-tactique, des chantiers participatifs, de la concertation, de la préfiguration. Donc on ne comprend pas bien pourquoi la mairie ne se saisit plus de nous comme d’un outil, en particulier sur ce quartier où on est implanté. Par exemple, le parking au pied du bâtiment doit devenir une place, on propose de la préfigurer par avec une végétalisation en collaboration avec le service espace vert mais le service urbanisme nous bloque sous prétexte qu’ils ont un projet en cours. Depuis sept ans, on aurait pu faire beaucoup avec peu. Idem pour la cour d’honneur de l’hôpital, des évènements y avaient lieu quand le CHU était encore propriétaire mais depuis le changement de propriétaire, l’espace est fermé, en attente et non mobilisable. On a pourtant proposé d’animer les lieux, ce qui aurait pu être le support d’une concertation importante sur le quartier. Le coût de sous-traitance d’une concertation publique déconnectée du territoire est plus important pour un résultat moindre.
C&C : Quelle serait la suite pour l’association si votre propriétaire décidait de ne pas renouveler le prochain bail ?
Alice : C’est difficile de partir, parce que notre occupation a créé de la valeur. Aujourd’hui l’association se passe de subventions parce qu’il y a un modèle économique qui repose sur la participation financière des structures hébergées aux charges de l’association. On ne peut pas se passer d’une activité si on veut continuer à financer nos postes. Il faut quand même qu’on ait de la surface dédiée à ces structures et donc ce n’est pas un projet qui est si facilement déplaçable. Des bâtiments de cette taille qui sont encore chauffables, avec de l’électricité, et qui pourraient être mis à disposition dans un cadre similaire, il y en a peu à Besançon. Il y a des lieux inoccupables parce qu’ils sont délabrés ou ont été curés. Parfois, ils sont trop petits, ce qui nous demanderait de faire des choix, car nous ne pourrions pas transférer toutes les activités dans un autre lieu.
Anna : En effet, ça demande de renoncer à certaines activités, de transformer l’occupation. C’est ce qu’on avait imaginé à la création de l’association, mais les choses changent, notamment pour tous les gens qui ont participé au projet, qui le vivent, et qui n’ont pas envie que ces activités s’arrêtent. Nous aurions pu nous installer dans l’ancien jardin botanique et la fac de science, c’était un lieu parfait et une occasion en or de créer un tiers-lieu d’importance pour la ville, avec auberge de jeunesse et logements coopératifs. Nous avons répondu à l’appel à manifestation d’intérêt, mais il était destiné à des promoteurs et nous n’avons pas été soutenus par la mairie sur ce dossier. L’État, propriétaire, a finalement décidé de vendre et nous n’avons pas pu réaliser d’occupation temporaire. Préférant récupérer des fonds rapidement, l’État a fait le choix de se défaire d’un de nos biens communs, sans plus de débat.Alice : En ce moment, il y a un point d’interrogation sur la route que nous prenons. Déménager ça veut forcément dire ne plus avoir de rentrée d’argent, donc plus de salariat et donc revenir à un travail qui est partagé par des personnes bénévoles. Il y a sept ans, les fondateurs et fondatrices à l’origine du collectif étaient très enjouées. Aujourd’hui, je pense que si on devait repartir sur ce format-là avec le conseil d’administration actuel, ce serait difficile de relancer un projet de cette ampleur.
Anna : Le déménagement demande à ce qu’il y ait une sorte de superposition, que le nouveau lieu puisse être préparé pendant que l’ancien lieu tourne toujours, mais dans tous les cas ça demandera un investissement économique et il faudra que l’association trouve ces sous… Par contre je crois qu’on a plus de personnes mobilisables aujourd’hui, on ne repart pas de zéro et on sait où on va. Les gens aussi le savent. Quand on a commencé les gens ne comprenaient pas ce qu’on voulait faire !
Alice : Aujourd’hui, nous sommes dans un moment de transition et j’ai une mission de prospection aussi pour comprendre comment on envisage le futur. J’ai envie de démarcher la mairie et d’établir des points de contact, en disant que la ville a besoin que ces usages d’intérêt général puissent perdurer. Comment est-ce qu’une mairie peut prétendre soutenir ses associations si elle ne leur donne pas ne serait-ce qu’un lieu pour se rassembler ? Nous on propose ce service, on met à disposition des salles contre une adhésion à l’association et on les décharge d’un poids de gestion énorme. Pour le moment, ça n’a pas été un argument de négociation car nous avons pu rester dans le lieu. En prenant ce poste, je suis étonnée de voir à quel point il y a encore du travail à faire pour susciter un peu plus d’intérêt ou en tout cas un peu plus d’engagement de la collectivité. Notre utilité n’a jamais été soulignée par cette dernière, il n’y a pas eu de reconnaissance de la part de la mairie jusqu’à maintenant. On sait qu’elle salue notre initiative mais il y a encore un lien à établir.
Les anciennes coordinatrices défendaient l’autonomie du lieu, sans avoir recours à des subventions, afin de ne pas être un poids financier pour la ville. Elles voulaient montrer qu’on peut monter un tiers-lieu de toutes pièces et qu’il soit autonome économiquement : c’est un pari tenu. Mais le travail de lien reste à faire et si nous devons déménager et repenser les modalités financières de l’association, je pense que ça passerait par une partie de subventions.
Anna : Si on devait rester dans ce bâtiment, la pérennisation serait un enjeu économique et organisationnel majeur car il faudrait rénover le bâtiment. Le fait qu’il ne soit pas isolé fonctionne pour du transitoire, mais pas à long terme… Il y aurait donc toute une réflexion à mener pour financer ces travaux et il y aurait besoin de subventions, comme le dit Alice. Organiser des chantiers participatifs et de formation ne suffira pas. C’est finalement presque le même défi que de déménager, mais sans le bâtiment à trouver !
Contribution commune de la Ville de Besançon et de l’aménageur Territoire 25
Une occupation transitoire est, par définition, une intention — quelle qu’elle soit — par rapport à un lieu et à un temps… ou plus exactement deux intentions réunies dans un même lieu et un même temps. Celle des occupants transitoires et celle du bailleur occasionnel. Ces deux intentions vont converger à l’origine dans un intérêt bien compris. Elles pourront diverger ensuite par moments, leur nature comme le contexte évoluant continuellement, ou parce que les protagonistes changent. Elles connaîtront aussi des incompréhensions mutuelles, passagères ou durables, parfois par manque de communication. Enfin, l’expérience se conclura et l’on jugera de ce qu’il subsiste des intentions passées des uns et des autres.
L’histoire, encore inachevée, de Hop hop hop, inventeur d’un tiers-lieu au cœur de Besançon, témoigne de cette réalité complexe. En 2017, l’association a connu un premier bailleur, le CHU avec l’intercession de la Ville, qui lui ouvre les portes de l’Arsenal et de l’hôpital Saint-Jacques désaffectés. Dans l’attente de la vente, le propriétaire tient à la préservation de ce vaste ensemble patrimonial craignant sa dégradation accélérée ou son occupation sauvage. Il préfère allouer son budget conservatoire à une initiative d’utilité sociale plutôt qu’à des frais de gardiennage… L’association, elle, y voit l’opportunité d’inventer un écosystème ouvert intégrant accueil associatif, création artistique, production solidaire et sociale, débats citoyens… à des conditions matérielles extrêmement avantageuses, même si, ici, la frugalité règne.
En quatre ans, le « contrat » — une convention d’occupation temporaire — et les lieux, sont amplement remplis : activité soutenue, reconnaissance du public, présence en nombre de professionnels, dont certains ne remplissent néanmoins pas vraiment les critères de l’économie sociale et solidaire… La dynamique s’installe, sans trop penser aux lendemains. Durant cette période, il est vrai, compromis de vente et projets immobiliers privés se sont succédé sans aboutir dans une relation compliquée avec Vinci. Une forme d’incertitude s’installe : rien qui permette à l’association de se projeter ou qui l’incite à préfigurer quoi que ce soit. De toute façon, le propriétaire n’est alors ni désireux, ni en mesure, de répondre à une quelconque intention de la part de celle-ci ; sa logique est le retrait, pas le projet.
En 2023, l’intervention déterminée de la municipalité pour sortir de l’impasse, achat puis concession d’aménagement publique accordée à Territoire 25, va changer la donne. Cette fois, l’intention urbaine est affichée et son calendrier aussi. L’occupation du site devra prendre fin vers 2026, à la veille de l’engagement des phases opérationnelles. Le temps semble s’accélérer et le renouvellement année après année de la convention rappelle la précarité de l’engagement. Pour autant, l’aménageur reconduit la convention initiale, et noue immédiatement la relation avec Hop hop hop, ses fondatrices, puis leurs successeurs. S’ils entretiennent l’esprit originel de l’association, ils sont aussi devenus, par nécessité, gestionnaires d’un important pôle économique et social qui semble s’être durablement installé dans les lieux. Ce qui les a même contraints, au fil du temps, à multiplier les petits travaux de confort et de sécurité. Mais, ceux qu’il faudrait accomplir pour des conditions d’accueil et de travail durables sont d’une toute autre importance : chauffage, isolation, accessibilité… Ils nécessiteraient des investissements considérables, incompatibles avec un site occupé, et déraisonnables à la veille d’une mutation urbaine d’ampleur. Pourquoi de tels aménagements n’ont-ils pas été entrepris plus tôt ? Parce que longtemps l’incertitude sur la nature du projet de transformation du lieu a plané, puis, à l’inverse, la certitude de devoir le quitter s’est confirmée. Ce n’était, pour les propriétaires successifs et les occupants, jamais le moment… et de toute façon tout investissement de moyen terme ne pouvait s’inscrire dans le contrat d’une occupation transitoire.
Et après ?
Occupation transitoire n’est pas nécessairement urbanisme transitoire ou tactique. L’occupation transitoire de Saint-Jacques a incontestablement donné naissance à un tiers-lieu, mais a-t-elle concrètement ou explicitement porté des intentions ou des expériences qui lui survivraient ? En avait-elle l’ambition ? A-t-elle prétendu préfigurer des espaces ou des usages futurs ? Ont-ils été partagés avec l’aménageur et la collectivité dans une projection commune ? Sans doute non, car c’est l’hypothèse du maintien à tout prix— quitte à multiplier les déménagements au sein de l’hôpital — qui a prévalu vraisemblablement dans l’esprit de ses occupants, gestionnaires et bénéficiaires. Or, ce maintien pur et simple des activités de Hop hop hop dans un environnement rénové ne peut rationnellement faire partie des options retenues. D’abord, le statu quo serait en contradiction fondamentale avec l’esprit et la lettre du contrat initial. Plus aucune expérience transitoire, occupation ou urbanisme, ne sera tentée ailleurs si aménageurs et collectivités y voient désormais le risque d’une pérennisation de fait, obérant les possibles du projet : composition urbaine, équilibres et priorités programmatiques, bilan économique, contraintes techniques, calendrier opérationnel… L’aménageur public, pour le compte de la collectivité et dans l’intérêt général, est garant d’un tout complexe qui ne peut être réduit à une intention particulière aussi légitime et pertinente soit-elle. Ensuite, car les activités du tiers-lieu, même subventionnées, ne reposent actuellement pas sur un modèle économique, qui permettrait une occupation des bâtiments complètement rénovés.
Avec le recul, il est logique d’envisager et de questionner l’héritage possible d’Hop hop hop à Saint-Jacques Arsenal comme on a pu le faire à Saint-Vincent de Paul, à Paris — un autre hôpital historique désaffecté — avec les Grands Voisins. De fait, ceux-ci durant les deux saisons de leur présence (2015-2017/2018-2020) ont accueilli 250 puis 140 structures (associations, entreprises, artisans, artistes), 600 puis 100 places d’hébergement d’urgence. Ils ont ainsi inspiré directement des composantes programmatiques du futur quartier, comme deux centres d’hébergement d’urgence (7 et 32 logements) une pension de famille de 25 logements, un équipement culturel privé, deux incubateurs artistiques et d’entreprises, des socles actifs commerciaux et artisanaux… Ils n’ont néanmoins pas prétendu les préfigurer au sens de mener des expérimentations destinées à une retranscription ultérieure plus ou moins fidèle. Ni participé directement à l’élaboration par les pouvoirs publics de la programmation urbaine du quartier qui a succédé à leur installation. Et pourtant, nul ne conteste que certaines composantes inclusives, créatives et sociales du programme en cours de réalisation doivent tout à leur passage et leur démonstration des possibles. Elles en ont perpétué l’esprit plus que la lettre : ni les acteurs, ni les activités ou les lieux qui les ont abrités ne perdurent en tant que tels, mais le legs est évident.
Dès son arrivée, Territoire 25 a confirmé à Hop hop hop le caractère précaire de l’occupation. Dans le même temps, il a suggéré de multiples opportunités garantissant la permanence de l’essentiel des activités de ses membres, in situ ou ex situ. Il s’agissait, premièrement, d’intégrer une partie d’entre eux, les acteurs économiques notamment, dans les 3 600 m2 du socle actif du quartier Saint-Jacques Arsenal. Les conditions financières des nouveaux baux, reflétant évidemment la revalorisation immobilière et urbaine, n’ont pas été acceptées. Elles ouvraient pourtant à des entreprises désormais installées, dans tous les sens du terme, de nouvelles perspectives de développement. Parallèlement, des volumes importants, moins hyper-centraux, car ce type d’offre n’existe pas, ont été recherchés et proposés à Hop hop hop qui les analyse actuellement.
L’association Hop Hop Hop a elle-même naturellement évolué dans sa posture vers une occupation sur le long terme du site, son activité soutenue pendant toutes ces années rendant difficile un renoncement. Le processus de projet Saint-Jacques Arsenal, entré enfin dans sa finalisation, demeure ouvert à faire écho à la démarche préfiguratrice riche en enseignements, dans une ultime phase de dialogue.
Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.