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Coopérer avec #4 : vers des tiers-lieu de créateurs verriers dans l’Allier ?

La structuration d’un écosystème entrepreneurial et artisanal favorable à l’émergence d’une nouvelle génération de créateurs verriers.

22 septembre 2025
Le Pépite Lab avec Célia Lépine (à gauche) et Vickie Pinchinot (à droite), étudiantes-entrepreneures créatrice verrier (Crédit photo Jérôme Bloux)

Lors du recensement par l’Observatoire des Tiers-Lieux en 2023, 16% des tiers–lieux sont des ateliers artisanaux partagés. Cette donnée met en lumière l’évolution encore marginale de ces modèles. Les nouvelles initiatives du faire ensemble, des communs et de l’accès aux nouvelles technologies par les fablabs, font évoluer l’artisanat dans les territoires ruraux. Comment redéfinissent-elles le bassin moulinois dans l’Allier ? Le développement de dispositifs entrepreneuriaux dès l’enseignement supérieur encourage l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs créateurs verriers, transformant progressivement les structures de leur écosystème. En quoi le modèle des tiers-lieux peut-il créer de la cohésion dans les dynamiques émergentes et participer au développement économique local de l’artisanat ?

« Sur dix ans, 30% des étudiants créateurs verriers sont aujourd’hui entrepreneurs et depuis sept ans, 50% d’entre eux se sensibilisent à l’entrepreneuriat. »

Les étudiants-entrepreneurs créateurs verriers et deux nouveaux tiers-lieux, la Maison des Métiers d’Art et le Pépite Lab

« L’accompagnement à l’entrepreneuriat avec PÉPITE apporte de nouvelles opportunités de développement professionnel à nos étudiants », atteste Jérôme Bloux, enseignant et coordinateur du Diplôme Nationale des Métiers d’Art et du Design (DNMADE) de l’École Nationale du Verre dans l’Allier. PÉPITE – Pôles Étudiants pour l’Innovation, le Transfert et l’Entrepreneuriat – est un dispositif initié par le Ministère Chargé de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Depuis 2018, Jérôme Bloux collabore avec Betty Teixeira, directrice de Clermont Auvergne Pépite : « Pour nous c’est super intéressant d’avoir ces étudiants verriers car c’est un public qu’on n’a pas l’habitude d’accompagner. Un étudiant-entrepreneur verrier, il ne va pas nous parler de son projet d’entreprise, mais de sa technique, de son savoir-faire. Ils ont quelque chose à nous montrer et qui est beau. Pour ces étudiants, leur défi est d’arriver à trouver un marché, à qui ils vont pouvoir le vendre, et comment ils vont pouvoir y vivre. Il est aussi associé à la prise de risque que tout le monde n’est pas capable de prendre. On a ce rôle de ramener du réalisme économique. » précise Betty Teixeira. En une dizaine d’années, 30% des étudiants créateurs verriers se sont lancés dans l’aventure entrepreneuriale, et depuis sept ans, 50% se sensibilisent à l’entrepreneuriat par PÉPITE.

Dès le début de leur collaboration, Jérôme Bloux et Betty Teixeira ont cerné les besoins en prototypage et en visibilité de ces jeunes créateurs. En identifiant les opportunités du territoire de Moulins et de ses environs, de nouveaux espaces ont été mis à la disposition des étudiants-entrepreneurs et des jeunes diplômés. L’année 2023 est marquée par le lancement de la Maison des Métiers d’Art et du Design, tandis qu’en 2024 le Pépite Lab ouvre ses portes, avec le soutien de Moulins Communauté et de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. « C’est le premier Pépite Lab qu’on a monté. On a créé une relation particulière avec Moulins, les étudiants-entrepreneurs verriers ont une façon de fonctionner différente. », ajoute Betty Teixeira. 

Le recensement en 2023 de l’Observatoire des Tiers-Lieux identifie 7 typologies non-excluantes de tiers-lieux, parmi lesquelles les ateliers partagés (16%), les fablabs et les makerspaces (28%), ainsi que les espaces de coworking (55%). La Maison des Métiers d’Art et du Design ainsi que le Pépite Lab sont des lieux revêtant le caractère de tiers-lieux, pensés comme complémentaires aux plateaux techniques de l’École Nationale du Verre. 

La Maison des Métiers d’Art et du Design (MMAD), située au cœur de Moulins, se compose de deux ateliers partagés pouvant accueillir jusqu’à six artisans, d’un espace d’exposition ouvert au public, d’une boutique et d’une salle de coworking. Cette dernière est principalement destinée aux ateliers hebdomadaires des anciens étudiants du DNMADE créateurs verriers en Diplôme d’établissement Étudiant-Entrepreneur (D2E). Éloi Verat-Giner est un étudiant-entrepreneur en D2E, utilisateur tant de l’espace coworking que des ateliers partagés : « Le filage de verre au chalumeau n’était pas enseigné à l’École Nationale du Verre, j’ai investi dans mon propre matériel (chalumeau, concentrateur d’oxygène, gaz et outillage). Pour continuer à progresser, et avec l’aide de mes professeurs, j’ai intégré en 2024 la Maison des Métiers d’Art et du Design de Moulins, où j’ai installé mon propre atelier. Cette expérience m’a permis de rencontrer de nombreux artistes locaux, de mieux comprendre le monde de l’entrepreneuriat et de consolider mes compétences, notamment grâce à l’accompagnement de la CMA. ». Depuis quelques mois, Arnault Janvier l’a rejoint, également ancien étudiant en Diplôme des Métiers d’Art (anciennement le DNMADE) et aujourd’hui vitrailliste.

Le Pépite Lab est un fablab équipé d’une commande numérique par ordinateur (CNC), d’une découpeuse-laser, d’une imprimante 3D à résine. Il accueille aussi un four céramique et un four de potier appartenant à Moulins Communauté. Le Pépite Lab est situé à Couzon en zone rurale, à une trentaine de kilomètres de Moulins, et réinvestit le site de l’ancienne briqueterie de Bomplein, à l’architecture traditionnelle du XIXe siècle de l’Allier. Le local du fablab appartient à la collectivité de Moulins Communauté et connaît depuis une dizaine d’années plusieurs initiatives créatives. Le Fab03 et L’Atallier FabLab fonctionnent principalement sur un modèle ouvert à tous publics, dont les étudiants-entrepreneurs ; le Pépite Lab est spécifiquement pensé pour les étudiants-entrepreneurs par son mode d’organisation interne, ils disposent d’un accès libre et autonome au lieu 24h/24 et 7j/7. Il leur offre un espace de travail à la fois intérieur et extérieur lors de la fermeture des portes de l’École Nationale du Verre. « Ce lieu offrira de nouvelles possibilités pour expérimenter et prototyper mes futurs projets » partage Éloi Verat-Giner. De par son isolement géographique, des réflexions sont encore menées par Betty Texeira et Jérôme Bloux pour améliorer l’accès au Pépite Lab et à la formation des machines. « Peut-être est-ce trop éloigné du centre de Moulins. Cependant, j’ai pu m’y rendre entre octobre et décembre dernier pour y faire de la céramique en dehors du lycée et le cadre reste sympathique ! », témoigne Kévin Argelas, étudiant-entrepreneur en D2E et usager de la Maison des Métiers d’Art et du Design.

Coopérer avec #4 : vers des tiers-lieu de créateurs verriers dans l’Allier ?

Vers la mutualisation des biens et des connaissances entre jeunes diplômés, avec le Fab03 et l’Atallier FabLab

Les étudiants-entrepreneurs créateurs verriers ont progressivement intégré le tissu économique local par le soutien de la coopérative Appuy Créateur, le Campus d’excellence Design Matériaux et Innovation (DM&I) et la Chambre de Métiers et de l’Artisanat de l’Allier. Depuis deux ans, les étudiants en techniques de commercialisation de l’IUT de Moulins collaborent avec les étudiants-entrepreneurs, un projet en Situation d’Apprentissage et d’Évaluation (SAÉ) sous la direction des enseignants-chercheurs Patrick Bourgne et Benjamin Astier, tout comme les étudiants en Master Design parcours métiers et industries d’art de Saint-Étienne. Par de telles coopérations, une nouvelle génération de créateurs verriers émerge et contribue à la transformation de la filière artisanale du bassin moulinois et de ses institutions. 

Les premiers à s’installer sur le territoire dès 2019 sont Matthieu Gicquel, Imprae, Léa Nadaud, puis Trait d’Union. Leurs ateliers comprennent des investissements dans différentes machines, chacun pratiquant sa propre technique verrière : fusing, thermocollage, pâte verre, taille. Léa Nadaud partage son atelier avec Matthieu Gicquel, tandis que Carla Dos Santos et Nataché André ont fondé Trait d’Union pour investir et gérer un atelier à deux. Cette nouvelle génération travaille ensemble, échange de bonnes pratiques, se prête le matériel et discute des complexités des projets. Des systèmes de convention, de location des machines verrières et de troc du matériel verrier se mettent en place. Cette génération est également solidaire avec les nouveaux diplômés : Matthieu Gicquel accueille Simon Rio, Imprae accueille Léia Pouthier et Léa Nadaud accompagne Camille Petiot via un statut de tuteur PÉPITE. 

La coopération participe à la montée en compétences collective et aide à surmonter les défis de l’entrepreneuriat à la sortie des études. « On expose ensemble au marché de Noël de la Maison des Métiers d’Art et Design, on a monté une exposition collective avec Trait d’Union à Charroux, on réalise des cuissons les uns chez les autres et on s’entraide sur des commandes avec des difficultés techniques. » précise Léa Nadaud. L’atelier de Trait d’Union est situé sur le parc d’activités à vocation industrielle et artisanale de l’EcoCentre de Varennes-sur-Allier, qui accueille également le fablab Fab03. Elles déjeunent avec les fabmanagers Matthieu Dupont de Dinechin, Nathan Perrin et Yann Delahaie : « Les temps conviviaux avec l’équipe Fab03 nous ont permis de nouer une relation de confiance professionnelle afin de mener nos projets en toute simplicité. Ainsi nous avons pu accroître l’efficacité de notre phase de prototypage. D’autres verriers, comme le studio Nosqua, ont pu partager ces moments d’échanges notamment lors de leur venue dans nos ateliers de fabrication. ». 

Depuis quelques mois, le fablab de l’EcoCentre (300 m²) a emménagé dans de nouveaux locaux sur le même site. Il a été renommé Fab03, avec désormais 1500 m². Les créatrices verriers ont accès à de nouvelles technologies et à des machines propres à d’autres filières artisanales comme la ferronnerie, la métallerie, la menuiserie, l’ébénisterie ou la céramique. Leurs pratiques évoluent avec l’impression 3D, la découpe jet d’eau et les conseils avisés des fabmanagers qui contribuent aux réflexions menées sur les problématiques techniques qu’elles rencontrent. « On a travaillé ensemble et trouvé des solutions de moulage en plâtre pour un projet sur-mesure qui posait pas mal de soucis à la cuisson » témoigne Nathan Perrin. Les profils d’ingénieur, d’architecte et de conseiller numérique apportent une véritable plus-value aux savoir-faire verriers.

L’Atallier FabLab, situé à cinq kilomètres de la Maison des Métiers d’Art, est en cours de déménagement. « On était dans des locaux provisoires, le fablab investit le nouveau tiers-lieu « Le Point Commun », un espace de vie sociale. » partage Ludovic Leblanc, président de l’Atallier FabLab et membre élu du pôle gouvernance du Point Commun. « J’utilise régulièrement la découpe laser du Fablab Atallier de Avermes. Je peux créer du mobilier parfaitement adapté à mes créations et à mon univers. La découpe laser me sert également à découper du médium pour réaliser des pochoirs, pour émailler mes pièces en verre. Cela permet une plus grande rapidité lors de l’émaillage et une unicité dans les motifs. » partage Léia Pouthier. Le fablab fête bientôt ses dix ans, durant lesquels sont passés les verriers suivants : Sophie Djian, Estelle Robin, Léa Nadaud, Danaé Paulhac, Léia Pouthier, Matthieu Gicquel, Simon Rio, Sébastien Denizard, Laurent Regnault, Pauline Kuntz, Laurence Brabant & Alain Villechange, la section DNMADE Verrier du lycée Jean Monnet. Cette dernière a collaboré avec l’Atallier FabLab sous la direction de Gaëtan Didier et de Ludovic Leblanc, enseignants en design, sur un projet pédagogique de fabrication de moules pour le verre à chaud.  « Le fablab assure l’accompagnement sur des projets et sa création allant de la découpe laser ( découpe de gabarits / pochoir pour personnalisation / création de présentoirs / signalétique type PLV) à la découpe vinyle (signalétique pour des expositions) et impression 3D (de moules ou pièces de réparations). Et cet accompagnement passe par une expertise de designer produit (que j’assure), l’apprentissage de logiciel type suite adobe (vu qu’il y a des grosses lacunes dessus, j’aide souvent à exploiter ces outils sous formes de minis formations) et l’accompagnement dans la création de fichiers numériques. » détaille Ludovic Leblanc.

Les perspectives de coopération entre les tiers-lieux et les dynamiques territoriales

Le Fab03, l’Atallier FabLab et le Pépite Lab proposent un ensemble de modèles de fonctionnement et de technologies répondant aux différents besoins des créateurs verriers. Les phases de prototypage, les processus de fabrication et les supports de communication sont améliorés, tout comme les conditions de travail et de lancement de leurs activités entrepreneuriales. Avec la Maison des Métiers d’Art et du Design, les ateliers des verriers, et la structuration d’un écosystème artisanal avec les institutions du territoire, les pratiques verrières se transforment pour intégrer les changements économiques, technologiques et sociaux. Ces initiatives, encore récentes, pourraient à terme favoriser de nouvelles coopérations territoriales.

Le Campus d’excellence DM&I, dans le cadre de son programme d’investissement d’avenir appelé De-MAIN porté par Clermont Auvergne INP mène une investigation auprès de différents acteurs locaux, dans la perspective de créer un maillage territorial économique et la collaboration entre filières, notamment artisanale dont font partie les créateurs verriers et les étudiants-entrepreneurs. Tandis que les discussions avec Moulins Communauté au sujet du développement du Pépite Lab se poursuivent, le Fab03 et l’Atallier emménagent dans de nouveaux espaces. En ce sens, le réseau Relief soutient l’émergence et la pérennisation des lieux effervescents et des Tiers-Lieux d’Auvergne-Rhône-Alpes ; son expertise contribue à enrichir les explorations possibles des coopérations entre ces espaces collaboratifs et favoriserait les perspectives de développement des dynamiques émergentes.

Cette réflexion s’inscrit dans des travaux plus larges sur les tiers-lieux, notamment les Cahiers de Recherche #1 publiés en juillet 2025 par l’Observatoire des Tiers-Lieux. Certains résonnent avec le milieu artisanal et peuvent apporter des éclairages au contexte moulinois. Matina Magko, Émilie Pamart et Maud Pélissier présentent les tiers-lieux culturels, dont les creative hubs et les culturals centers ; Amandine Lebrun évoque les appels à projets Manufactures de proximité et Fabriques de Territoire, ainsi que les tiers-lieux d’entrepreneuriat social. Tandis que Matina Magko et ses collègues mettent en évidence que les tiers-lieux culturels “sont des configurations sociales spécifiques, définies par des relations d’interdépendances volontaires orientées vers un objectif négocié de co-conception commune” (p.95), Amandine Lebrun invite à “caractériser les tiers-lieux par ce qu’ils transforment” (p.185). 

En quoi l’identification des transformations sociales générées par les créateurs verriers dans les tiers-lieux pourrait-elle ouvrir de nouvelles perspectives ? Quelles sont les configurations sociales possibles entre ces différents espaces et les institutions ? Par qui et par quelle(s) entité(s) pourront-ils être portés ? Les questions de recherche dans le mouvement des tiers-lieux concernent l’évolution des tiers-lieux au contact des politiques publiques ainsi que celle des communs ; les réseaux des tiers-lieux mutualisent des ressources, des discussions et la transmission d’expériences qui peuvent contribuer au développement d’un modèle coopératif et social adapté au bassin moulinois. Une dernière donnée du recensement en 2023 des tiers-lieux met en lumière que parmi les modes de participation des usagers, 73% concernent les temps informels. Et si le développement d’une culture des temps informels dans cet écosystème moulinois était une clef pour porter collectivement un projet de plus grande envergure, capable de renouveler les formes de coopération locale et d’usage des communs ?

Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.