204 projets, 208 tiers-lieux, 353 organismes de formation, 85 départements : Deffinov a irrigué tout le territoire. Mais après l’élan reste la question de l’avenir. Comment passer de l’expérimentation à des modèles durables ? Jean Patrick Gille, Région Centre Val-de-Loire (vice-président délégué à l’Emploi, à la Formation professionnelle, à l’Orientation et à l’Insertion), Laurence Guenot, Région Bretagne (adjointe au directeur en charge de l’animation territoriale au sein de la Direction du développement des formations et des compétences), Séverine Ozanne, Fondation Orange (directrice mécénat du programme FabLabs Solidaires) et François Banchereau, Les Acteurs de la compétence (président régional Centre-Val de Loire) ont pointé parmi les priorités la dimension locale des coopérations. Car c’est à cette échelle, en rapprochant tiers-lieux, organismes de formation et institutions, que peuvent se construire les réponses les plus innovantes et pérennes.
« Comment va se passer l’après-Deffinov pour prolonger nos projets et en faire de nouvelles activités, de nouvelles formes pédagogiques, allant au-delà de l’expérimentation ? » Posée par une participante, la question met en lumière l’enjeu commun aux intervenants : la recherche de financements et la consolidation du modèle économique des tiers-lieux.
Car pour les intervenants, il s’agit de réfléchir à l’après ou « comment pérenniser les modèles et les coopérations à l’œuvre ? » dans un contexte budgétaire contraint, mais aussi d’enjeux sociaux et de tensions métier de plus en plus prégnants, en complément d’un travail de plaidoyer et d’appui au développement d’initiatives communes.
Marchés publics, mécénat, gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, fonds européens : ces opportunités invitent à expérimenter ou renforcer des manières de travailler ensemble. De ces formes d’innovation, les tiers-lieux peuvent être à la fois les bénéficiaires et les initiateurs.
Des plateformes de rencontre
Alors que Deffinov a permis d’impulser ou renforcer de nombreux consortiums entre structures de différentes natures, les occasions de se rencontrer manquent encore. Les tiers-lieux ne sont pas toujours connus ou compris d’autres acteurs, compliquant la co-conception de projets. Comme le souligne Laurence Guénot de la Région Bretagne, la question est : « comment fait-on connaître les tiers-lieux, les partenariats possibles, pour enrichir les écosystèmes de formation ? ».
La région Bretagne organise ainsi « des temps d’échange » entre acteurs de l’insertion et de l’emploi pour faciliter des réponses communes aux marchés publics. « S’il ne s’agit pas, d’après Laurence Guénot, de dire dans un cahier des charges » qu’organismes de formation et tiers-lieux doivent travailler ensemble, mais d’inscrire dans les critères d’un appel à projet le fait « d’être en partenariat avec des missions locales, des écoles de la deuxième chance, des Epides ou des associations d’insertion, quelles qu’elles soient » pour permettre de tisser « une première relation », comme le complète Séverine Ozanne de la Fondation Orange. Se consolident ensuite des coopérations sur le plus long terme.
Les partenaires publics comme privés peuvent ainsi jouer un rôle important dans la mise en relation et le suivi partenarial, à la fois par la critérisation de la coopération dans les marchés publics ou appels à projet et par l’organisation de temps de rencontre et d’échange. Un constat partagé par François Banchereau, des Acteurs de la Compétence : « Je ne crois pas que la rencontre entre organismes de formation et tiers-lieux se fasse naturellement. C’est dans les termes de l’appel qu’il faut insérer les choses. »
Des maillons à l’échelle locale
Mais la réponse ne se trouve pas seulement dans l’impulsion de nouvelles collaborations. Il s’agit d’expérimenter de nouvelles méthodes. Car « les acteurs de l’emploi, de la formation et de la compétence » fonctionnent en silo : « la difficulté, c’est le cloisonnement », déplore François Banchereau. Par les postures qui s’expérimentent en tiers-lieu – « l’écoute, l’accompagnement, le partage, le laisser évoluer, l’échange », détaille Séverine Ozanne –, d’autres formes de faire ensemble peuvent s’inventer.
De fait, pointe François Banchereau, il y a un vrai intérêt à aller vers « un rassemblement de structures ». D’un côté, les tiers-lieux disposent d’un ancrage territorial fort et développent des méthodologies efficaces pour « lever les freins » des publics. De l’autre, les organismes de formation ont une expertise en matière de recherche de financements et une connaissance fine des enjeux de « pédagogie ». Les publics sont les premiers bénéficiaires de ces alliances, car c’est là ce qui favorise « un vrai travail collaboratif et pas juste un enchaînement de partenaires au gré d’un parcours ».
Les partenaires peuvent ainsi co-construire des réponses adaptées qui démontrent la nécessité de pérenniser leur action. C’est ce dont témoigne Laurence Guénot : « Avec Deffinov, on a vu émerger des formations qui n’étaient, in fine, pas très différentes de celles qui auraient pu se déployer précédemment, mais c’est dans la réflexion qui a amené à leur mise en place, dans le fait d’avoir mobilisé tout un écosystème local, qu’il y a eu un regard nouveau. Cette complémentarité et cet apport mutuel sont pour nous, en tant que financeurs, extrêmement riches ».
En expérimentant, les partenaires adoptent la même démarche que les publics : apprendre en faisant ensemble. Le déploiement d’espaces de faire ensemble est ainsi doublement bénéfique. Cet environnement « provoque chez les jeunes quelque chose qui leur redonne confiance, les transforme », observe Séverine Ozanne en évoquant l’appel à projet Métiers de demain. « La posture et le fait de proposer du sur-mesure, d’être dans un accompagnement de proximité, ça change tout et c’est ça qui permet vraiment la reprise de confiance en soi », abonde un participant de l’échange. « Les prescripteurs l’ont très vite noté, reprend Séverine Ozanne. Ils ont légitimé le dispositif et en ont redemandé. »
Comme le défend Jean-Patrick Gille de la région Centre-Val de Loire, la légitimation des tiers-lieux comme acteurs de la formation passe aussi par leur intégration dans les espaces de gouvernance des réseaux pour l’emploi. Institués par la Loi pour le plein emploi, entrée en vigueur en janvier 2025, les comités pour l’emploi élaborent ainsi des plans d’action mis en œuvre à différentes échelles. « Prendre ainsi en compte les tiers-lieux pour les intégrer dans l’écosystème emploi, formation, insertion du territoire, c’est indispensable », affirme le vice-président.
Faire et dire
Outre un processus d’interconnaissance et de légitimation, la participation à ces instances permet d’avoir une meilleure visibilité sur les dispositifs existants et sur la manière d’y intégrer des actions. Car nombre de tiers-lieux expérimentent déjà, de manière consciente ou inconsciente, des projets pouvant être accompagnés et soutenus. Ainsi en va-t-il de la gestion des emplois et des compétences territoriales (GPECT) et de la gestion inclusive des ressources humaines (GIRH).
Le premier vise notamment, selon Laurence Guénot, à « favoriser un dialogue social au niveau territorial pour mobiliser un écosystème emploi, formation, insertion, autour des besoins du territoire en matière de compétences d’aujourd’hui et de demain », et le deuxième à « soutenir des initiatives qui tendent à sensibiliser et outiller les employeurs pour qu’ils puissent recruter les publics les plus éloignés de l’emploi ». « On a développé ces deux appels à projets et on s’est rendu compte qu’effectivement, dans les projets Deffinov que l’on soutient, il y a des tiers-lieux qui font de la GPECT, voire de la GIRH, sans le dire », poursuit Laurence Guénot.
Sur la GPECT, le tiers-lieu lauréat de Deffinov Pépi’terre à Sarzeau (56) a par exemple permis de « mobiliser les stagiaires, un organisme de formation, mais aussi des employeurs et des producteurs locaux » autour d’une formation de crêpier. Le projet, complète la responsable, répond à un enjeu « de résilience alimentaire et territoriale » et s’adresse « à des personnes privées d’emploi depuis un certain temps », en fédérant tout un ensemble d’acteurs du territoire qui continuent aujourd’hui à se mobiliser pour des événements en coopération.
Laurence Guénot reprend : « Pour nous, c’est très intéressant et ça nous incite à réécrire nos appels à projet. On réfléchit à comment embarquer ce type d’initiatives pour que les tiers-lieux qui souhaiteraient pouvoir se positionner là-dessus puissent le faire ». « C’est une belle aventure, s’enthousiasme Jean-Patrick Gille. On sent qu’il y a beaucoup d’innovation, beaucoup d’énergie. Et il faut garder ce caractère radicalement nouveau : une culture commune est en train d’émerger et il est très important de la faire vivre et de la développer ».
Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.