Interview

Faire tiers-lieu à Lormes : penser en archipel

30 juillet 2025

À Lormes, chef-lieu de canton rural de la Nièvre, le tiers-lieu Le Relai·s des Futurs joue le rôle de sas entre la ville et la ruralité en accompagnant à la transition dans les alentours d’urbains venus chercher sur le territoire un autre mode de vie. Le lieu s’inscrit dans un archipel d’initiatives complémentaires sur le territoire (un tiers-lieu dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes [EHPAD], la manufacture Make ICI Morvan, la mission numérique, la maison des associations, un centre social et une entreprise à but d’emploi), fédérées dans le programme La Tisserie, labellisé « Fabriques de territoire ». Entretien croisé avec Aymeric Seron et Christian Paul, respectivement agent et élu à Lormes.

Qu’est-ce que le tiers-lieu Le Relai·s des Futurs ? Quelle est son histoire ? Quelles sont ses activités ?

Aymeric Seron (A. S.) – Le Relai·s des Futurs naît de la volonté de créer un lieu facilitant l’intégration des urbains en ruralité, mais aussi de créer de l’emploi durable en zone rurale et contribuer au dynamisme socio-culturel et économique d’une zone rurale, tout en favorisant la transition écologique. Au cours de nos démarches, nous rencontrons très vite l’équipe municipale de Lormes qui se montre intéressée par le projet, ce qui décide à nous installer. Commence alors un travail minutieux qui consiste à adapter les intentions initiales au territoire, afin de ne pas copier-coller un modèle. Au cœur du projet, l’hébergement : les hôtes restent autant qu’ils ont besoin pour découvrir et éventuellement s’installer. Il y en a pas mal qui s’installent. Il y en a qui repartent parce qu’ils n’ont pas réussi à trouver leur équilibre économique ou personnel.

Nous avons passé les premiers mois à discuter avec les gens, au café, aux soirées, avec l’envie de prendre la température localement, de comprendre le besoin local, de générer de la convivialité et du lien. Le Relai·s des Futurs propose une programmation socio-culturelle : du karaoké jusqu’au débat politique, en passant par du théâtre, des activités sur la transition écologique, etc. Nous misons sur
l’humilité, la simplicité. Nous n’essayons pas de faire des choses extraordinaires, mais inclusives. L’un des freins principaux est peut-être celui de la peur du changement, de la nouveauté, de la peur de l’autre. Il faut parvenir à travailler là-dessus, avec patience, sans crispation. Et savoir combiner les codes de différents groupes sociaux pour que ces lieux parlent au plus grand nombre.

Qu’est-ce que Le Relai·s des Futurs, et les autres tiers-lieux labellisés « Fabriques de territoire » (La Tisserie) amènent au territoire ?

Christian Paul (C. P.) – Il y a vingt ans, les commerces fermaient tour à tour dans la commune. Aujourd’hui, la courbe s’est inversée, avec un dynamisme local. Les tiers-lieux amènent une vitalité supplémentaire, ainsi que des manières nouvelles d’être ensemble, d’agir ensemble, de regarder ensemble le monde tel qu’il va. Enfin, ils ont une fonction d’animation très importante dans les villages, au cœur de l’hiver, quand une partie de la population a disparu – les touristes et les résidents secondaires – et que ceux qui restent sont, pour une part d’entre eux au moins, très heureux de se retrouver au chaud, dans un lieu où on va manger ensemble. Cela participe de cette vie locale d’un nouveau type que nous avons envie d’accueillir et de soutenir.

Chaque lieu apporte des choses dans son domaine. La mission numérique a énormément compté pour le développement numérique de Lormes et du Morvan. À l’EHPAD, nous avons l’intuition d’un impact très positif et de liens nouveaux, entre les résidents et leurs familles, entre la cité et la maison de retraite. Avec Make ICI Morvan, nous comptons travailler avec les artisans déjà implantés dans la région, mais nous espérons aussi l’arrivée de nouveaux professionnels attentifs à travailler en réseau, avec une approche plus partageuse de l’outil de travail.

Comment est perçue cette dynamique tiers-lieu sur le territoire ?

C. P. – Ce sont des cultures nouvelles qu’il faut expliquer et partager. Ce n’est jamais totalement gagné. Il y a des personnes qui ne pousseront jamais la porte du Relai·s des Futurs. Ils sont probablement de moins en moins nombreux parce que le Relai·s des Futurs a réussi, par une ouverture d’esprit et une forme d’accueil, à faire venir des gens qui auraient pu être un peu réticents parce que se retrouvant habituellement dans des lieux plus traditionnels de la commune. Il y a une vraie fonction de brassage dans la commune qui, à mes yeux, est indispensable, notamment dans les temps qui courent.

Je pense vraiment que le mot « tiers-lieu », moins on l’utilise, mieux on se porte. Il peut y avoir des rapports d’observation, des rapports de coopération avec les associations, des rapports d’invitation. Cependant, on ne se limite pas à des rapports de force où il faudrait mener la bataille culturelle avec des gagnants et des perdants. C’est tout sauf cela. Parce que si on faisait ça, et si Le Relai·s des Futurs était un agent de cette bataille-là, je pense qu’on raterait complètement cet effet de greffe qu’il faut réussir entre les populations de toujours et les nouveaux arrivants. Ce qui pourrait naître dans le sillage du mouvement des tiers-lieux, si on n’y prêtait pas attention, ce sont de nouvelles formes de domination, culturelles et symboliques. Je pense que l’équipe du Relai·s des Futurs a une claire conscience de ces enjeux-là, ce qui ne veut pas dire que ça marche tout le temps, parce qu’il y a effectivement sur un territoire, une partie de la population qui n’est pas forcément animée par la curiosité ou l’ouverture. Les récentes élections ont démontré dans le monde rural ces fractures. Il faut qu’on y soit extrêmement attentif. Mais je n’exclus pas que des électeurs du Rassemblement national (RN) soient aussi allés boire une bière au Relai·s des Futurs. Je suis même assez persuadé que c’est déjà arrivé. Ce qui veut dire que tout n’est pas perdu.

Quels enseignements tirez-vous de cette expérience quant à vos postures respectives d’élu et d’agent ?

C. P. – Il faut dans les communes rurales donner toute leur chance à des espaces de liberté. Je suis parfois perplexe vis-à-vis de tiers-lieux initiés par les collectivités, gérés et financés par elles. Cela peut certes produire des choses intéressantes et l’on sent bien cette tendance dans quelques communes de la Nièvre et du Morvan avec de beaux tiers-lieux portés par des collectivités qui investissent et vont supporter le fonctionnement. Mais le pari qui est le nôtre n’est pas de construire un vaisseau amiral qui focalise à la fois l’attention et les financements, mais au contraire un archipel de lieux qui ont des contributions différentes au territoire. C’est probablement plus riche et cela se construit dans un esprit d’indépendance de ces lieux. Je pense qu’il faut faire ce pari, parce que c’est la seule façon raison- nable de faire pour que les énergies se révèlent. Il faut savoir trouver l’équilibre entre une idée forte et la capacité à être agile, capable de réorienter, d’ouvrir, de progresser.

A. S. – C’est à mon sens une condition de la résilience des territoires. Le fait d’avoir déjà de nombreux tiers-lieux à Lormes apporte une forte résilience, des synergies et complémentarités. Ici, si l’un des lieux s’affaiblit, les autres seront toujours là.

Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.