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L’Usine Végétale : investir le rural par la transition

Les Tiers-Lieux comme cheville ouvrière du développement local

27 février 2024

Comment transformer l’essai d’une démarche tiers-lieu de transition et développer une capacité d’agir dans le territoire ? L’Usine Végétale est un tiers-lieu multi-activités regroupant une association culturelle, une plateforme d’accompagnement au montage de projets et des activités de formation et de sensibilisation aux enjeux de la transition écologique (construction, alimentaire, sociabilisation). Accompagné par l’APESA, Centre de Ressources Technologiques (CRT) et porteur de méthodologies innovantes d’évaluation des impacts, l’Usine Végétale contribue à la réflexion sur les démarches d’évaluation.

Quel est l’impact d’un tiers-lieu sur son territoire ? Une question souvent posée par les tiers-lieux et de plus en plus par les financeurs. La question divise, notamment entre les partisans d’une approche plus qualitative de l’évaluation pour décrire fidèlement ce qui est, et ceux qui s’inscrivent dans un cadre d’impact et d’objectifs comme le mouvement Impact France.

Cette question s’est posée récemment au tiers lieu l’Usine Végétale, basé dans la commune du Fieu près de Libourne en Gironde. L’impact du lieu est une question récurrente des parties prenantes locales, notamment des financeurs et des acteurs du développement économique habitués aux évaluations chiffrées. L’Usine végétale souhaitait également pouvoir communiquer plus facilement sur les actions menées afin de donner de la lisibilité aux projets du lieu et de faciliter la conclusion de collaborations et la recherche de financement.

Le choix de développer un tiers-lieu multi-activités dans en territoire rural en déprise est plutôt audacieux : l’accent mis sur la transition écologique et les activités culturelles n’était pas des plus évidents pour les acteurs territoriaux en place, à commencer par la mairie du Fieu et la Communauté d’Agglomération du Grand Libournais. Ces difficultés n’ont pas découragé l’équipe de l’Usine Végétale, convaincue que l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) et la transition écologique étaient des leviers puissants pour revitaliser le territoire.

L’impact en ricochets d’un tiers-lieu

Afin de donner de la lisibilité à son action et de faciliter ainsi le dialogue avec les acteurs en place, l’Usine Végétale a décidé de mener une démarche évaluative équilibrée : qualitative dans son appréhension de la multiplicité des interventions et des publics, quantitative dans la volonté d’identifier des impacts finals et donc des objectifs donnés aux différents formats d’intervention. S’appuyant sur une méthodologie en 7 étapesLa méthodologie originale proposée par l’APESA est fondée sur une diversité de cadres existants. La dimension d’évaluation de l’innovation sociale est inspirée des marqueurs de l’innovation sociale proposés par l’institut Godin. Le volet gestion de projet est adapté à partir des exigences des partenaires de l’Usine Végétale. Le volet environnemental est finalement inspiré des démarches proposées par la Capitals Coalition et des expériences passées d’évaluation de données extra-financières par l’APESA., l’équipe de l’APESA a pu accompagner l’Usine Végétale dans l’identification de ses parties prenantes internes et externes, la clarification du périmètre des activités et la définition d’indicateurs associés aux objectifs pour donner corps à la transition dans le territoire.

L’accompagnement de la transition au sein de l’Usine Végétale

Le travail de définition des indicateurs est basé sur les enjeux des parties prenantes et la clarification du lien de cause à effet entre les actions de l’Usine Végétale et les attentes des acteurs territoriaux. Il apparaît alors rapidement que l’action de l’Usine Végétale est indirecte : le tiers lieux sensibilise et forme des acteurs dont les projets et initiatives vont faire l’impact souhaité sur le territoire. 

Deux jeux d’indicateurs sont donc proposés : un premier jeu porte sur l’évaluation des actions de l’Usine Végétale (nombre d’heures de formation délivrées, nombre de marqueurs de l’innovation sociale associés à un projet, etc.). Un second jeu d’indicateur concerne les impacts finals des projets (contribution à la production d’énergie renouvelable en Kwh, à l’autonomie alimentaire en kcal, etc. ) et doit être évalué en aval de l’accompagnement par l’Usine Végétale. Le choix des indicateurs a été dicté par des considérations de faisabilité (lourdeur de la collecte dans le temps) et de pertinence par rapport à la relation causale action/résultat que les équipes de l’APESA et de l’Usine Végétale souhaitaient décrire.

Enseignements à mi-chemin

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ce travail. Le premier tient dans la différenciation des périmètres d’action selon les activités : petit territoire d’une vingtaine de kilomètres de diamètre pour les activités nourricières, régional pour la construction et international pour les activités culturelles. Cela suppose d’associer clairement une activité à un domaine d’intervention afin d’être identifié par les parties prenantes adaptées et de pouvoir mobiliser les ressources nécessaires (financements, bénévoles, lieux, etc.).

Le second est à trouver dans l’évolution de la perception du lieu au fil de sa structuration. Projet associatif et culturel à l’origine, L’Usine Végétale a rapidement pris le virage du développement économique local et de l’ESS pour faire émerger des initiatives de transition sur le territoire. Le lancement d’une plateforme d’accompagnement des projets, Éclosion, a notamment permis de mobiliser des ressources encore concentrées sur la métropole bordelaise au service de la ruralité girondine. Des indicateurs spécifiques à cette plateforme ont été proposés (indicateurs de gestion et d’impact) afin de mettre en avant la singularité des projets accompagnés par rapport à une logique de développement économique classique. C’est tout un écosystème qui est mobilisé autour de l’impulsion du tiers lieux : ESS (CRESS, ATIS, Coopérative des tiers lieux), institutionnel (département, communauté d’agglomération, région, État en région) et technique (Nouvel’R, Arrêt Minute, Technowest). C’est une autre manière de développer le territoire qui se dessine, autour de projets porteurs de sens et de valeurs alignées avec les enjeux de la transition.

En quelques années, l’Usine Végétale est donc devenu un acteur incontournable de la dynamique ESS sur le territoire, relais d’initiatives économiques et sociales et partenaire des transitions. Cette trajectoire consacre le rôle des tiers lieux comme partenaires de l’aménagement local et réel facteur de dynamisme dans les territoires ruraux.

Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.