Interview

La réappropriation populaire des technologies au service de la démocratie ?

31 juillet 2024

Arnaud Bonnet a interviewé Charlotte Rautureau et Meven Marchand Guidevay de l’association PiNG à Nantes, sur leur expérience de fablab pédagogique citoyen qui invite chacun à se forger collectivement et par le faire une pensée critique sur le développement des technologies, leur rôle et leur impact sur la société.

Le projet de PING en quelques mots ?

PiNG, c’est une association d’éducation populaire qui explore le numérique avec la tête et avec les mains. Avec la tête, pour créer des temps de rencontres réflexifs autour de l’impact des technologies sur notre environnement social ou écologique. 

Avec les mains, afin d’amener davantage de monde à ces sujets grâce à la pratique. Créée en 2004, elle compte 8 salariés et 1 à 2 services civiques qui travaillent en lien avec le CA et la communauté d’adhérents. Elle développe plusieurs activités : de la recherche collective autour des thématiques numérique et société, un pôle autour de l’appropriation des techniques par tous ; enfin elle structure une offre de formation par de l’innovation pédagogique en lien avec les écoles, la reconnaissance des open badges … 

Vous avez créé Plateforme C : quel est le sens de ce projet pour PING et qu’est-ce que cela génère pour vous pour la suite ? 

Plateforme C est un fablab ouvert à toutes et tous et qui réunit aujourd’hui  3 grandes communautés : le handicap, la micro-édition et la question du recyclage autour du circuit-court et du plastique. Le fablab a été lancé en octobre 2013 comme expérimentation au départ dans un hangar. On a monté ça avec des écoles d’enseignement supérieur et la Région pour en faire un véritable fablab citoyen et pédagogique. Au fil des ans, des actions ont été menées en direction des scolaires qui ont depuis intégré ces pratiques dans leurs établissements, puis en direction de personnes en situation de handicap, ou encore en faveur de la réinsertion pour toucher des publics non familiers de ces sujets et de ces lieux. Depuis décembre 2016, des discussions sont en cours sur le déménagement de Plateforme C pour rejoindre les anciennes Halles Alstom 1&2 sur l’île de Nantes pour 2023. L’idée serait d’ouvrir un nouveau lieu qui va s’appeler « Hyperlien » dans l’idée de dépasser le concept de fablab pour en faire un espace d’appropriation et d’aide au positionnement face aux évolutions techniques de la société : l’ouvrir à d’autres expertises du territoire pour connecter structures et individus qui viennent réfléchir et agir sur ces questions : un laboratoire citoyen des cultures numériques. 

En quoi peut-on dire qu’il y a un enjeu de réappropriation des techniques par les citoyens pour réinventer notre démocratie à l’ère des GAFAM ? 

Le développement technique n’est pas uniforme mais constitué par des métissages et des allers-retours. C’est ce qu’on a voulu montrer dans le cadre d’une exploration sur la « contre-histoire des technologies” . Généralement, une technique vient bouleverser des équilibres sociaux ou écologiques et suscite des questions qui devraient être posées démocratiquement. Ivan Illich (La convivialité, Seuil, 1973) le disait déjà dans les années 70 :  « L’outil reste convivial dans la mesure où chacun peut l’utiliser, sans difficulté, aussi souvent qu’il le désire. Personne n’a besoin d’un diplôme pour avoir le droit de s’en servir. L’outil juste répond à trois exigences : il est générateur d’efficience sans dégrader l’autonomie personnelle, il ne suscite ni esclaves ni maîtres, il élargit le rayon d’action personnel. J’appelle société conviviale une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d’un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil.” Avec les GAFAM les technologies se développent vers des circuits fermés, privés, soit payants ou gratuits mais financés par la captation massive de données. PiNG porte l’idée qu’il revient aux citoyens de se saisir de ces choix de développement techniques comme des choix démocratiques. Pour ce faire, elle crée des espaces-temps au détour d’ateliers d’exploration, de groupes d’enquête collective pour faire participer des gens d’horizons divers pour ouvrir le débat sur ces technologies, leur neutralité et leur impact et aider à faire des choix éclairés ; par exemple, on démarre par un atelier réparation de grille-pain et c’est là qu’on peut finir en conférence sur l’obsolescence programmée ! C’est l’idée du Labo commun que souhaite faciliter PING : on a tous une expertise à un instant t au sein d’une communauté d’intérêts afin que chacun puisse développer une pensée critique autour des techniques et co-construire cette grille de lecture commune. 

Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.