Alors que nombreux sont les tiers-lieux à prôner l’horizontalité, la parité et l’inclusivité pour toutes et tous, la prise de conscience des dernières années post-metoo vient interroger leur place concrète dans ces espaces. Mihaela Cretu (Empow’her), Lise Dary (chargée de projets tiers-lieux à l’ANCT) et Élise Armentier (Association Bouillon Cube/La Grange), viennent apporter un regard féministe sur les actions menées par les tiers-lieux pour favoriser l’inclusivité dans leurs lieux, tout en portant un regard critique sur les rapports de pouvoir encore présents dans ces espaces et qu’il est essentiel de ne pas invisibiliser.
Est-ce que vous pouvez vous présenter et expliquer votre travail/vos recherches et vos actions sur le féminisme en tiers-lieux ?
Mihaela Cretu : Je suis arrivée en France il y a 13 ans et je me suis investie dans le mouvement des tiers-lieux des Hauts-de-France. J’ai co-animé un lieu féministe qui s’appelle Chez Violette à Lille pendant six ans et j’ai développé plusieurs projets liés au féminisme, dont « Les communs des féminismes » qui vise à mettre à disposition des ressources pour les équipes dans les tiers-lieux ou tout type de collectif qui souhaitent questionner et installer des pratiques féministes égalitaires et non discriminatoires.
Lise Dary : Je suis également une militante féministe, mais aujourd’hui en manque d’espace de luttes suite à mon déménagement. Très tôt je me suis intéressée aux questions des relations de genre dans les mouvements collectifs et les raisons pour lesquelles les femmes sont facilement invisibilisées ou s’auto-excluent de dynamiques militantes. J’ai fait une formation en politique culturelle pour me spécialiser dans l’action publique locale et la production de spectacle vivant. Ce sont justement des endroits avec une surreprésentation de femmes, notamment sur des sujets autour de la médiation et des métiers administratifs ou d’animation… Mais finalement qui tient les grands rôles ? Les hommes ! Cette réflexion autour de la répartition genrée des tâches et métiers s’est concrétisée quand j’ai commencé à travailler en tiers-lieu en temps que chargée d’étude puis chargée de projet culturel et tiers-lieu au sein du WIP à Caen (Normandie). J’y ai travaillé pendant trois ans avec beaucoup d’enthousiasme et de passion (le lieu a fermé en juillet 2023) suite à quoi j’ai suivi la formation du D.U. Espaces Communs (Yes We Camp, Ancoats et Université Gustave Eiffel). C’était l’occasion d’avoir un support pédagogique pour explorer l’invisibilisation des femmes, et ce malgré leur surreprésentation, dans les espaces de luttes/les espaces collectifs et communs. Ce travail personnel a pris la forme d’un podcast qui s’appelle « Femmes en tiers-lieux, bâtisseuses de demain ? » (réalisé entre juin et octobre 2024 et diffusé en février 2025).
Elise Armentier : Je suis codirectrice de l’association Bouillon Cube (Causse-de-la-Selle, Occitanie) sur un lieu-dit qui s’appelle La Grange, créé il y a bientôt 20 ans. Avec Clayre Pitot, on est deux co-directrices femmes d’un projet rural sur une commune de 350 habitantes et habitants. Mon approche du féminisme est un peu old-school, dans le sens où elle s’est construite sur le tas : on est entré dans notre projet par l’action et par le terrain, on est des bosseuses acharnées, et les questions féministes et politiques sont incarnées par le projet que l’on porte. Elle passe par le faire et les expériences traversées plutôt que par l’approche théorique et universitaire. Depuis 2018, avec les prises de conscience sur les VHSS (violences et harcèlement sexistes et sexuels), on a porté un projet qui s’appelle le « KIF, kit inclusif et festif », on fait également parti du mouvement HF (égalité femmes-hommes dans les arts et la culture), et on porte une attention rigoureuse à la répartition femmes/hommes dans notre tiers-lieu et dans nos programmations.
Les tiers-lieux, organisations attachées à des valeurs d’inclusivité et de mixité, restent des lieux de travail et de rencontre traversés par des dynamiques de pouvoir. Quels sont les enjeux actuels des tiers-lieux sur cette question selon vous ?
M.C. : Quand j’ai vécu l’expérience « tiers-lieux » à l’étranger, c’était plutôt des lieux déjà féministes et militants et les rapports de domination n’étaient pas forcément seulement entre les femmes et les hommes. On veillait quand même à se dire qu’on n’était pas exemptes de ces rapports : les bonnes intentions ne suffisent pas.
Dans mon expérience des « tiers-lieux » dans les Hauts-de-France, il y avait pas mal de sexisme ordinaire : avec les femmes à l’accueil et les hommes à la régie. Et, par ailleurs, on voyait que les femmes étaient sur-représentées mais invisibilisées parce qu’elles n’étaient pas dans les instances de prise de pouvoir et de décision alors qu’elles portaient plein de projets.
Souvent, tout le monde se voile la face en se disant : « On est des lieux de l’innovation sociale et territoriale » et « chez nous, tout le monde est égal parce qu’il n’y a pas de différence femmes/hommes ». Pour moi, ça a le même écho que lorsque l’on dit « les tiers-lieux doivent être ouverts à priori », or ce n’est pas parce qu’on ouvre une porte que de nouvelles personnes vont y entrer. Ces actions n’ont – très souvent – pas lieu par malveillance, mais plutôt par aveuglement avec des discours tels que : « en tant que tiers-lieux on réinvente le travail, les manières de faire et donc forcément il ne peut pas y avoir de sexisme… »
L. D. : Il y a un vrai enjeu dans le passage à l’échelle : entre l’ouverture de la guinguette d’été par un tiers-lieu au niveau local qui émane directement d’un collectif qui incarne des valeurs féministes et entre les institutions où les schémas sexistes se répètent parce que les organisations bougent moins vite, sont plus hiérarchisées et empreintes d’une organisation old school de structuration des forces de travail et de la ressource humaine. Il y a tout de même une évolution, mais elle reste trop lente.
Au niveau local, il y a également un effet assez intéressant qui vient toucher à l’ADN même des tiers-lieux : le fait d’expérimenter, d’innover et de faire. Il y a un côté très artisanal, à la fois dans les activités proposées et aussi dans le mode d’organisation et de fonctionnement interne. Ce côté « fait maison » fait appelle à des notions et métiers techniques qui vont avoir une origine plutôt genrée : les métiers de la construction, du bâtiment, de la régie technique, du cadrage financier, de la tech, etc. Par ailleurs, les tiers-lieux en France sont aussi liés à l’émergence des logiciels libres et open source, des espaces de collaboration numérique, des domaines d’activités qui sont historiquement plutôt masculins. Ça c’est la première strate et la deuxième strate qui est aussi liée à l’ADN des tiers-lieux : le principe d’organisation horizontale et de confiance par subsidiarité, la personne qui « fait », fait foi. On fait confiance à la personne qui est sur le terrain : la valeur de la connaissance technique est surélevée et fait autorité sur le groupe, ce qui renforce cet effet de sur-représentation des métiers et des avis émis par les hommes.
Au WIP, par exemple, on essayait d’être vigilante à ça, mais on s’est vite rendu compte que nos deux collègues hommes qui étaient à la régie faisaient autorité dans l’organisation du lieu. Ils avaient des contraintes très fortes parce qu’on était un lieu avec beaucoup d’événementiel et il y avait une certaine pression financière : leurs décisions faisaient ainsi automatiquement autorité sur les 15 salariés du lieu. Autre exemple : dans les activités qu’on proposaient aux bénévoles et participants, on organisait des chantiers participatifs avec Les Ferrailleurs de Granville qui venaient en résidence pendant un mois et qui réalisaient des marionnettes géantes constituées d’une structure métallique soudée par dessus laquelle sont posés des tissus cousus et peints. Je vous laisse deviner où les bénévoles femmes allaient entre l’atelier soudure et l’atelier couture…
M. C. : Quand il y a une surreprésentation masculine, pour que cela change, il faut aussi que les hommes laissent leur place. Mais on remarque dans beaucoup de collectifs que le discours est là mais quand il s’agit de laisser sa place ça devient plus compliqué, parce qu’il s’agit de laisser une place de pouvoir.
Les tiers-lieux, espace de lien social, sont souvent associés à des caractéristiques longtemps reléguées aux femmes : soin, convivialité, créer du lien. Qu’observez-vous en termes de dynamique de travail et de répartition des tâches ? Que reflète l’organisation genrée du travail dans les tiers-lieux ?
L. D. : Je voudrais privilégier une approche de convergence des luttes pour répondre à cette question. Comment prendre soin des travailleuses et des travailleurs en tiers-lieux en général ? Une question qui a été très sollicitée au cours du dernier Faire Tiers-Lieux à Toulouse, avec une salle remplie à bloc. On se rend compte que le « prendre soin » des travailleuses et travailleurs en tiers-lieux est un vrai enjeu quel que soit le genre. Ce sont des espaces où tout le monde est le mouton à 5 pattes donc il y a énormément de surinvestissement parce que ce sont des lieux où beaucoup de personnes y vont par militantisme, par centre d’intérêt et passion donc il y a de vrais enjeux de débordements et de risques. Les femmes ont une propension d’autant plus forte à être exposées à ces risques psycho-sociaux, qu’elles ont une tendance à être sur des métiers qui les exposent le plus au public, notamment dans les tiers-lieux d’action sociale qui sont dans l’accueil et l’accompagnement de publics extrêmement fragiles. Il y a à la fois un enjeu intersectionnel et un enjeu de calculer la proportion genrée de cette répartition du travail – qui n’est pas facile à chiffrer – ; et je pense que ce serait très intéressant que des études soient développées sur cette question.
Beaucoup de lieux cherchent à développer plus de mixité dans leur public, à quelles difficultés se confrontent-ils ? Quels conseils ou retours d’expérience voudriez-vous partager aux tiers-lieux qui voudraient s’outiller pour une meilleure inclusion de toutes et tous ?
M.C. : Le conseil que je donne pratiquement à tout le monde : ne pas penser que l’on connaît tout et qu’on comprend toutes les discriminations et accepter qu’on a nos limites et biais sur de nombreux sujets. Il faut s’entourer des personnes concernées, leur laisser une place dans son lieu, mais aussi ne pas hésiter à faire des partenariats avec des associations et des structures qui connaissent ces sujets. Et également, on ne peut pas agir sur tout ; on parle de l’intersectionnalité mais c’est difficile pour un lieu de tout prendre en compte. C’est bien d’aller étape par étape. Il faut aussi que des choses viennent des réseaux régionaux, nationaux et des pouvoirs publics en général car à partir du moment où un espace existe pour se questionner sur des projets, avec des financements, il sera beaucoup plus facile pour les lieux de déconstruire collectivement les rapports de pouvoir et de domination à l’œuvre dans les tiers-lieux, et de mettre en place des actions. C’est important également d’aller voir d’autres associations et partenaires et de laisser entrer dans le lieu des personnes différentes pour parler de leur propre expérience de discriminations.
E. A. : Je suis d’accord mais j’aimerais ici amener la nuance de la ruralité, voire de la grande ruralité, qui a tendance à fonctionner à l’inverse : la fonction sociale d’un lieu comme le nôtre (dans un bassin de vie très petit) est primordiale. Ça ne veut pas dire qu’on ne fait pas appel à des partenaires, notamment sur les questions VHSS et RDRD (Réductions des Risques et des Dommages), mais je crois que la spécificité du milieu rural fait qu’on est obligé de créer un collectif « couteau-suisse », une boîte à outils polyvalente ; et que l’on se retrouve de fait à devoir répondre à des problématiques sociales et des enjeux politiques en constante évolution. Aujourd’hui on est à la fois un lieu culturel, un espace de vie sociale avec des animations locales très variées (fêtes populaires, quizz, balades thématiques, nettoyage de rivière, soirées cuisine et films…), un espace ados et accueil de loisirs, un tiers-lieu avec des espaces de travail partagés et on développe un axe nourricier et agricole. Le dernier nouveau né de Bouillon Cube : la création d’une cantine scolaire qu’on ouvre en septembre 2025. On propose cette nouvelle formule alors qu’on a plutôt un ADN culturel et artistique. Et pourquoi ? Parce qu’on est obligé d’adapter nos propositions et actions au changement du territoire.
L. D. : Il y a deux questions qui s’entrechoquent, celle d’éviter l’entre-soi et celle de l’accueil inconditionnel, qui n’est pas encore résolue en tiers-lieu : Comment ne pas être « qu’entre nous » ? Et comment, en même temps, s’assurer d’être une « safe place » ? Comment faire en sorte que le tiers-lieu soit à la fois un espace qui facilite la mixité des publics et à la fois un espace qui offre un coussin sécurisant de règles de fonctionnement, d’organisation et d’ouverture ? Et s’ajoute à cela des réalités hyper diverses d’un territoire à l’autre, on ne peut pas vraiment faire un kit tout en main.
Observez-vous des violences sexistes et sexuelles dans les tiers-lieux ? Et si c’est le cas, comment prévenir ce type de violences ?
E. A. : Le KIF (le kit inclusif et festif) a été créé au Bouillon Cube parce que sous prétexte qu’on était en ruralité, dans un lieu assez idyllique, on était soi-disant exempts des VHSS. Or, plusieurs observations d’agressions nous ont été remontées. Après ça, il a été important de mettre cette question au centre de nos réflexions, avec nos spécificités rurales, dans un lieu accessible à tout le monde, et avec un public familial. Mais on avait vraiment besoin de créer nos propres outils parce qu’en 2019-2020 on trouvait que les outils de sensibilisation étaient encore dirigés pour des niches et dans des mouvements très conscientisés à ces questions, donc on a eu besoin de créer des outils qui soient accessibles au plus grand monde (enfants, adolescents, etc.). Il y a également la question de la RDRD (réduction des risques et des dommages) Réduction des risques et des dommages (RDRD) est un principe de santé publique visant à réduire les conséquences et les dommages – sanitaires et socio-économiques – induits par la consommation de substances psychoactives chez les individus, sans attendre d’eux un arrêt ou une diminution de leur consommation qui n’est pas encore bien prise en compte dans nos lieux (sachant que l’alcool n’est pas considéré comme une drogue en France…) : il y a des automatismes et un bagage culturel fort qui multiplient les risques en tiers-lieux, c’est ainsi une question primordiale à traiter dans des lieux qui font de la programmation et proposent des événements festifs.
L. D. : Ce qui m’intéresse c’est la question de briser le tabou et de faire de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles un sujet qui soit partagé avec joie. Il y a par exemple le collectif des Catherinettes, une association qui fait de la prévention contre les VHSS en milieu festif. Non seulement elles interviennent dans un contexte festif mais elles interviennent de façon festive. Elles sont costumées et habillées avec des couleurs hyper vives et viennent parler de plein de sujets, dans lesquels elles insèrent la question de la prévention. C’est une façon de faire qui me paraît intéressante à intégrer dans les tiers-lieux, car elle supprime le côté culpabilisant et dramatique habituel qui peut générer une deuxième victimisation.
M. C. : Il ne faut jamais imaginer que ça ne va pas arriver chez nous. L’idée d’avoir un espace safe c’est l’affaire de toutes et tous et pas seulement l’affaire d’une ou deux référentes. Je sais bien qu’il est plus facile de virer quelqu’un d’un festival à cause de son comportement inapproprié, que de virer quelqu’un d’une structure, d’un collectif ou d’un lieu. J’ai une position très tranchée là-dessus et je pense qu’il faut assumer que parfois c’est inévitable. Aussi, dans les tiers-lieux il y a ce mélange de public, avec des salariés, des bénévoles, des membres du CA, des partenaires institutionnels, ainsi de suite… et ce mélange du cadre travail et du cadre vie privée, n’aide pas… Dans les ateliers que je donne en tiers-lieux, j’essaie toujours de rappeler que les tiers-lieux sont des espaces de travail où les propos racistes, sexistes et homophobes sont interdits par la loi.
L. D. : Complètement ! Surtout qu’en tiers-lieu on a tendance à toujours vouloir être en dehors des règles. Or, il y a un cadre réglementaire qui nous protège. Parfois, avoir des collègues plus âgé.es avec une connaissance et une expérience en termes de conscience collective et de protection des salariés, c’est hyper important ! En tiers-lieu, il s’agit souvent d’équipes très jeunes – remplies de bonne volonté – mais qui peuvent manquer d’expérience, d’historique et d’expérience à certains endroits. C’est là où l’intergénérationnel peut être super important ; il permet de valoriser les cadres réglementaires et l’expérience acquise par les autres.
Comment faire des tiers-lieux des espaces de réappropriation féministe et d’inclusion (mères, femmes enceintes, personnes LGBT+, femmes racisées…) ? Au niveau de la conception et de l’animation de l’espace lui-même, comment ces enjeux résonnent-ils ?
E. A. : De notre côté, on a agrémenté notre lieu au fur et à mesure et en fonction des financements possibles. On a commencé à faire par nous-mêmes la peinture, à décrouter les murs… Les choses se sont faites avec des bouts de ficelles au début, et par la suite avec des financements d’équipement plus important. On n’est pas sur le même modèle économique que les nouveaux tiers-lieux, basés sur des fonctionnements plus actuels, que ce soit avec les aides foncières ou autres.
Mais dans tous les cas, je pense qu’il est important d’avoir de l’affichage préventif, des endroits avec des temps d’accueil, un espace bibliothèque/café/thé un peu plus « safe » pour accueillir les personnes et connaître leur besoin. La décoration contribue également à mettre les personnes dans des endroits où elles se sentent bien. Quand on a conçu le KIF c’était hyper important que les visuels soient des outils esthétiques qui puissent toucher tout le monde : dans le langage, le vocabulaire et le graphisme. Pareil pour les espaces, que tout le monde s’y sente bien et accepté.
M. C. : Parfois on n’a pas les moyens de tout faire. Notre lieu, Chez Violette, n’était pas PMR pendant des années parce qu’on n’en avait pas les moyens. Et puis, on a déménagé et on a décidé de construire nous-mêmes des toilettes PMR.
Plus globalement, il s’agit d’écouter les usagers et usagères et les personnes qui viennent dans le lieu pour leur laisser de la place : on s’est aperçu que beaucoup de personnes venaient avec leurs enfants et souhaitaient une crèche solidaire : on les a écoutés et on en a fait une.
E. A. : Sur la question de l’inclusivité, on s’est creusé la tête pour faire en sorte que notre lieu soit accessible à des personnes qui sont éloignées de la culture, qui se condamnent par elle-mêmes parce qu’elles ne se sentent pas concernées sur ce qu’on fait à La Grange. On a lutté pendant très longtemps contre des clichés : « la bande de chevelu qui débarque pour faire communauté ». Il y a trois semaines on a accueilli une rencontre des Quartiers Généreux, une association en plein centre de Montpellier très militante et encartée LFI et Nouveau Front Populaire mais qui essaie de se détacher des partis politiques et de porter un projet politique au sens plus large. Ils sont venus pour rencontrer des associations rurales, et s’en est suivi des ateliers autour de la montée de l’extrême droite. C’était intéressant d’entendre les différentes problématiques entre milieu urbain et rural et les endroits de luttes communes.
Pour nous c’est hyper important que des personnes qui votent Rassemblement National viennent aussi sur notre lieu, parce qu’il faut continuer à échanger ! Même si c’est dur… on est hyper découragées, comme pour les VHSS. Mais il y a une nécessité d’ouvrir le lieu et d’aller vers des personnes qui ne se sentent pas touchées par des projets écologiques et dédiés à l’inclusion, car ils peuvent avoir l’impression que c’est réservé à certaines personnes ou certains bords politiques… Pourtant ça n’est pas le cas ! Et c’est pourquoi on entretient un lien très fort avec le village et on insiste sur le concept de tiers-lieu à ciel ouvert pour dépasser les frontières du seul espace de La Grange.
Quelle place des manuels/guides/études/formations pour outiller les personnes qui souhaitent créer des lieux plus inclusifs ?
M. C. : Les outils sans animation sont très bien pour une infime minorité de personnes. Si derrière, il n’y a pas de soutien humain, leur place est ultra limitée. Quand on dépose un dossier, c’est hyper important de penser au temps et au travail autour de cet outil. Il y a un guide pratique sorti récemment par Empow’her : Développer et gérer un lieu sûr et féministe ; bien qu’il soit intéressant, on s’est très vite rendu compte que les seules personnes à l’avoir téléchargé c’était des personnes dans notre réseau, donc l’impact n’est pas très important.
E. A. : Il y a vraiment cette notion d’incarner les choses, que ce soit pour les questions sociales, de féminisme, ou d’écologie. À un moment, il vaut mieux éviter de rajouter des labels et des outils et d’en faire un millefeuille qui n’a plus de sens. Avec Clayre on intervient une fois par an sur la formation « Piloter un tiers-lieu » et je pense qu’on vient nous chercher parce qu’on est sur un lieu qui a 20 ans et qu’avant même de s’appeler tiers-lieux, on était une association d’éducation populaire qui portait une envie très forte de s’ancrer sur un territoire et de faire avec lui avant tout. On est des idéalistes et des utopistes : on croit vraiment en ce qu’on fait depuis 20 ans et la question des féminismes, des égalités et de l’inclusivité est portée dans notre projet depuis toujours !

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