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Le GRAP : une construction de filière inspirante pour les tiers-lieux

Autogestion, protection sociale et sécurité économique

5 octobre 2022

La structuration des tiers-lieux se partage entre des petites organisations territorialisées avec un travail souvent précarisé et de plus grands opérateurs de tiers-lieux dont les centres de décision sont plus éloignés mais qui réussissent, par leur taille, à se sécuriser. Alors existe-t-il une alternative permettant l’autonomie des initiatives territoriales et une sécurisation économique à long terme ? Faisons un pas de côté pour analyser la construction de la filière de l’alimentation bio-locale de proximité en Auvergne-Rhône-Alpes avec le GRAP.

D’une épicerie solidaire à une structuration de filière

Le GRAP, acronyme de “Groupement Alimentaire de Proximité”, est une Société Coopérative d’Intérêt Collective (Scic) agissant principalement sur la région Auvergne-Rhône-Alpes. Ce groupement coopératif lie une équipe support à des initiatives de transformation et de distribution alimentaire bio-locale et mutualise de nombreux services pour développer ces activités agro-alimentaires dans la région. Parti d’un groupe d’amis ayant lancé l’épicerie coopérative Les 3 Petits Pois à Lyon à la sortie de leurs études, le GRAP a été créé par la suite pour fédérer des projets alimentaires alternatifs (épicerie, restaurant, halle alimentaire, foodtrucks, transformations artisanales…) et structurer la filière à l’échelle régionale. Aujourd’hui, la coopérative fédère 62 activités, 217 salariés (hors CDD et extras) dont 22 salariés en support pour 20M € de chiffre d’affaires. Deux fois par an, GRAP réunit 250 salariés et sociétaires dans une ambiance festive durant 2 jours, pour co-construire son projet politique et organiser sa mise en œuvre. Deux sujets stratégiques actuels :  1) accentuer le développement de l’organisation distribuée en décentralisant encore plus les prises de décision avec un principe d’”archipel coopératif” 2) créer des partenariats solides avec des coopératives de production agricole. 

Une inspiration venant des Coopératives d’Activités et d’Emploi

Le GRAP propose l’hébergement de l’amorçage et du développement d’une activité alimentaire locale. L’équipe support accompagne les travailleurs de chaque activité (qui créent leur propre identité collective) et leur propose un contrat de travail spécifique, le Contrat Entrepreneur Salarié Associé https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072050/LEGISCTA000029317511/2020-11-01 (CESA) créé par la loi ESS de 2014 et mis en œuvre dans les Coopératives d’Activités et d’Emploi (CAE). Ce contrat permet de bénéficier de l’autonomie décisionnelle des entrepreneurs et de la protection sociale et des avantages du salariat. De façon concrète, le chiffre d’affaires des différentes activités est agrégé dans une même structure, réparti en comptabilité dans des comptes séparés pour chaque activité et redistribué en salaires aux travailleurs ayant développé cette activité. La coopérative prend au passage un pourcentage pour les services mutualisés. Le niveau du pourcentage et donc de services mutualisés est décidé par les sociétaires de la coopérative qui en sont les parties prenantes, dont les travailleurs en CESA. GRAP a tout simplement appliqué l’organisation des Coopératives d’Activités et d’Emploi (CAE) dites généralistes (Coopaname, Oxalis, Optéos…) qui salarient des travailleurs individuels à des activités collectives territorialisées. 

La structure gère donc, pour chaque activité collective, l’administratif, la comptabilité, le social (réalisation des fiches de paie notamment, accompagnement) mais aussi l’outil informatique, la formation et mutualise des moyens logistiques. Comme pour les tiers-lieux, les activités type épicerie ou restaurant doivent contractualiser des baux ou des conventions d’occupation, qui, dans ce modèle, sont donc signés par la coopérative. Dans le cadre d’un lancement d’activité, bénéficier de l’expérience d’une équipe support et de tels services mutualisés vient crédibiliser la démarche auprès de collectivités ou des bailleurs. Certaines activités peuvent être aussi associées et elles continuent de bénéficier des services et de la participation à la gouvernance partagée.

Un apport aux tiers-lieux 

Quand les réseaux régionaux de tiers-lieux peinent à faire contribuer des praticiens locaux sur la durée, que de nombreux travailleurs de tiers-lieux luttent pour la survie de leur organisation, dans l’isolement, et que les plus gros opérateurs ne mettent pas en place de gouvernance territoriale, cette forme organisationnelle ne manque pas d’intérêt. Cette structure mutualisée réussit en effet à trouver l’équilibre entre autogestion des activités territoriales, sécurisation des parcours et des rémunérations des travailleurs, protection sociale, montée en compétences des travailleurs, mutualisation de services, sans oublier la co-construction d’un projet politique multi-acteurs. Autre apport inspirant : cette forme organisationnelle permet de développer un sentiment d’appartenance à l’activité collective locale ET à l’entité mutualisée à l’échelle régionale. Cela doit nous faire réfléchir dans la construction de nos Communs de tiers-lieux. Alors pourquoi ne pas tester cette façon de fédérer les tiers-lieux ?

Cet article est publié en Licence CC By SA afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.