Le Loubatas est un tiers-lieu d’éducation à l’environnement qui gère un écogîte autonome en énergie en pleine forêt provençale (Peyrolles-en-Provence). Il propose depuis le printemps 2024 des formations individuelles et collectives à destination des personnes éloignées de l’emploi sur les métiers de l’accueil en cuisine, de maintenance, dans l’entretien du bâtiment, dans l’hôtellerie mais aussi sur les métiers d’éducation à l’environnement. Quatre questions à Marie Laudat, chargée de projets et développement du pôle formation et Damien Rabourdin, directeur du Loubatas.
Pouvez-vous revenir sur la genèse du tiers-lieu et faire un tour d’horizon sur ses activités ?
Damien Rabourdin : Le Loubatas existe depuis 1980 en tant qu’association d’éducation à l’environnement et à la forêt provençale dans un contexte de recrudescence des feux de forêt. À cette époque, les citoyens se réunissent pour créer une association de sensibilisation à ces problématiques, et surtout se mettent à chercher un lieu qui pourrait être entièrement dédié à ça : ils font la rencontre d’une donatrice d’un terrain constructible de 7 hectares en pleine forêt. S’ensuit 11 ans de construction du lieu en chantier participatif par des jeunes internationaux pour créer un lieu qui fonctionne à l’énergie solaire et qui soit le moins impactant possible pour la forêt et la biodiversité environnantes, et qui, assez rapidement, se dotera d’une démarche alimentaire durable.
Marie Laudat : Le lieu ouvre en 1997 et a pour vocation initiale de faire des classes découvertes pour les enfants, des animations à la journée et des formations pour les adultes sur les thématiques de l’environnement, du développement durable ou de ce que l’on appelle « d’autres manières d’habiter la terre. » Il y a une dimension participative forte sur le lieu avec 12 salariés et beaucoup de bénévoles : le lieu s’est d’ailleurs construit grâce à la force bénévole et on continue de faire plein de chantiers participatifs ! L’idée c’est que les bénévoles viennent aussi bien pour faire tourner le lieu, que pour apprendre d’autres manières de faire ; c’est un lieu qui accueille à la fois des séminaires et à la fois des touristes pour des locations de groupe le weekend. Le tiers-lieu se déploie également hors-sol avec des programmes d’éducation (formation et accompagnement) sur le territoire.
On essaie d’essaimer dans d’autres contextes ce qu’on a appris à faire pendant 25 ans, notamment sur les questions « cuisines collectives » et « éducation à l’environnement » : on souhaite faire bénéficier à d’autres lieux des savoir-faire qu’on a pour qu’il le fasse à leur manière. Finalement on est une structure très axée sur les réseaux qui sont pour nous des espaces où on vient se co-former, participer mais aussi recevoir avec d’autres tiers-lieux.
En quoi l’appel à projets DEFFINOV a été une opportunité pour développer et structurer le projet de formation du Loubatas ? Et comment la réunion d’un consortium d’acteurs a été moteur pour le
projet ?
D.R. : DEFFINOV nous a permis de nous adresser aux demandeurs d’emploi et/ou éloignés de l’emploi qui ne sont pas forcément sensibilisés aux questions environnementales, mais qui sont tout de même touchés par ces enjeux. Même s’ils venaient habituellement au tiers-lieu, ce n’était pas par eux-mêmes ; et avec DEFFINOV on a pu être dans l’aller-vers tout en expérimentant des formats nouveaux. Le programme nous donne trois ans pour expérimenter autour d’un gite (outil grandeur nature) en consortium, pour faire le bilan de ce qui marche ou pas, et pour garder ce qu’on peut directement mettre en place sur le territoire.
En termes de coopérations c’est fructueux, car ça nous permet de prendre le temps de rencontrer les gens, d’expliquer ce qu’on fait et de toucher un public et des partenaires qu’on ne côtoie pas forcément au jour le jour.
M.L. : Avec DEFFINOV, on se questionne sur les apports de la formation au Loubatas, un lieu démonstratif, emblématique et qui incarne ce qu’il dit. On le faisait déjà pour les enfants – puisque le lieu a été construit pour ça – mais on se rend compte que c’est aussi très important pour les adultes d’avoir des formations sur les enjeux d’alimentation durable autre part que dans une cuisine industrielle ou que dans une salle blanche qui n’a rien à voir avec le sujet. Expérimenter avec les adultes, nous oblige également à faire les aménagements nécessaires pour qu’on soit de plus en plus légitime : parce qu’un lieu d’accueil d’enfants n’est pas forcément un lieu adapté pour les adultes.
Le programme nous offre ainsi du temps de coopération, du temps de recherche de contenu et en même temps un peu d’investissement pour pouvoir faire en sorte que l’accueil de formation soit adapté. Notre consortium est composé de trois acteurs : nous, l’organisme de formation coopératif « Travail et Transition » et la structure d’insertion Aix Multi Service, un chantier d’insertion « Espace Vert » et « Jardin Cocagne ». Avec ces deux structures, on se connaissait déjà avant, mais on ne travaillait pas vraiment ensemble. Aix Multi Service nous permet de savoir comment s’adresser à un public qu’on ne connaissait pas auparavant. Et avec « Travail et Transition » nous travaillons sur notre modèle économique « formation » avec les agréments Qualiopi, qui permettent d’avoir des fonds de financement pour la formation professionnelle.
En quoi consiste le projet de formation (activités, bénéficiaires, partenaires …) ?
D.R. : On propose une offre de formation dans un lieu singulier pour travailler sur d’autres méthodologies pédagogiques et être plus dans le « faire faire » que dans la pédagogie descendante. On est persuadé que ça permet un meilleur ancrage et de développer d’autres compétences : au-delà des compétences pures et dures d’un métier, des compétences psycho-sociales. On propose ainsi une offre de formation qui est à la fois pertinente sur des métiers en tension (la restauration et un peu l’agriculture), mais également sur l’axe transition écologique (avec des métiers verdissants). Ce qui rend l’offre de formation pertinente car en lien avec les enjeux d’aujourd’hui et accessible dans le sens où on s’ouvre à des nouveaux publics : éloignés de l’emploi, jeunes en reconversion … Tout ça dans un lieu qui démontre qu’on peut vivre et travailler dans de bonnes conditions en prenant en compte tous ces enjeux.
Parce que l’on a un lieu singulier avec des gens qui aiment leur boulot et qui incarnent ce qu’ils font dans leur travail, on touche d’une autre manière les personnes qui viennent. Ils ne sont pas derrière une table, ils apprennent en faisant : un rôle important dans les parcours de reprise d’emploi.
M.L. : On a trois grands axes de formation : le premier, sous forme d’accompagnement individuel, propose des immersions sur nos différents métiers : accueil en cuisine, chargé de maintenance, dans l’entretien du bâtiment, hôtellerie, mais aussi dans notre pôle pédagogique sur des métiers d’éducation à l’environnement. Ensuite, on a de l’accompagnement collectif : les personnes peuvent venir une semaine et en groupe en observation sur des chantiers d’insertion pour remettre du sens dans certains métiers. Le 3e axe est à destination d’un public professionnel (2-5 jours). Il y a un sens de cheminement car il y a des personnes venues en immersion par la cuisine qui reviennent par la suite sur d’autres actions qu’on mène au Loubatas. Et en filigrane, on souhaite structurer le pôle formation du Loubatas en lien avec « Travail et Transition CAP » et d’autres partenaires pour que le tiers-lieu soit identifié comme un lieu ressource en termes de formation sur la transition écologique. Dans ce cadre, on a également une discussion avec l’école ETRE de Marseille, qui fait partie du même département. Pour l’instant, on a trois propositions mais on est tout à fait ouvert à s’adapter en fonction des besoins des habitants. Au Loubatas on a une grosse culture pédagogique, on est capable de s’adapter assez vite à ce qu’on nous présente. On a ainsi un vrai boulot pour aller à la rencontre des gens et qu’ils viennent jusque chez nous.
Comment ce projet contribue-t-il à la structuration de coopérations en matière de formation dans les zones blanches du territoire et à répondre aux besoins des métiers en tension ?
M.L. : Le projet nous donne le temps de construire des partenariats qui sont solides et pérennes avec des acteurs avec qui on a des valeurs similaires. Même si on n’est pas dans les mêmes champs, on travaille sur les mêmes enjeux, et cela nous permet de travailler avec des acteurs avec lesquels on n’a pas forcément l’habitude de travailler et de vraiment construire des partenariats forts et qu’on espère pérennes. On espère continuer à travailler avec eux après la fin du dispositif DEFFINOV, donc avoir plus de coopérations dans le milieu de la formation et de l’emploi. Le sujet de la formation au métier de la transition écologique devient très important : on considère que ce n’est pas seulement en éduquant les enfants à l’école qu’on va y arriver, c’est important de le faire mais ça ne suffit pas. Le Loubatas est d’ailleurs né dans ce courant-là. Nous, on est dans le nord du pays d’Aix donc c’est une zone blanche, il y a beaucoup de villages-dortoirs dans cette zone-là – à part à Aix – il n’y a pas de ville-village ou de grosses références de lieux. On s’est aperçu qu’on était un peu les seuls qu’on pouvait assimiler à un tiers-lieu dans le coin donc ça ouvre le champ des possibles : on pourra à terme accueillir d’autres formations chez nous.
D.R. : Au Loubatas, on propose avant tout de vivre une expérience où de faire la cuisine ou de l’hôtellerie peut être différent de ce que l’on présente dans les endroits habituels, où il y aura beaucoup d’exploitation, avec des conditions de travail difficiles. Au-delà de la formation, on ouvre un champ des possibles pour se dire qu’on peut faire les choses autrement et que ces métiers peuvent reprendre de l’attractivité. On encourage à aller vers ces métiers, on essaie d’apporter une autre image, d’autres réponses. France Travail propose déjà des choses différentes pour les différents profils de chômeurs. Nous proposons quant à nous quelques pièces du puzzle en plus. Et parce que l’on a un lieu singulier avec des gens qui aiment leur boulot et qui incarnent ce qu’ils font dans leur travail, on touche d’une autre manière les personnes qui viennent. Ils ne sont pas derrière une table, ils apprennent en faisant : rôle important dans les parcours de reprise d’emploi (presque plus important que d’avoir des compétences). DEFFINOV nous rend légitimes pour proposer tout ça : aujourd’hui, la DREETS voudrait qu’on soit un lieu référencé sur le territoire alors qu’on ne travaillait pas ensemble auparavant.

Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.