Interview

Les Campus Cédille

Un réseau de campus ruraux multi parties-prenantes

30 juin 2025

Le projet Campus Cédille est porté par Le Moulin Digital, en consortium avec 3 tiers-lieux drômois : Les Tracols en Royans, 8fablab à Crest et Asoft à Nyons. L’entreprise Prima Terra accompagne le consortium pour la coordination générale et stratégique du projet. Ce projet a pour but de mettre en réseau l’ensemble des parties prenantes – écoles, organismes de formation, collectivités locales, France Travail et tiers-lieux – pour construire un réseau de campus ruraux spécialisés qui partagent leurs expériences et pratiques. Le Campus associe différents acteurs (employeurs, organismes de formation, écoles, collectivités, porteurs de projets …) pour répondre à la fois à des besoins urgents sur des métiers actuellement en tension, et anticiper les compétences pour des métiers d’avenir. Quatre questions à Marie Massiani, coordinatrice de Cédille et Alexis Durand, cofondateur de Prima Terra.

Pourriez-vous raconter la genèse du projet et faire un rapide tour d’horizon de ses activités ?

Marie Massiani : Cédille c’est un réseau d’acteurs par et pour les tiers-lieux drômois. Depuis 10 ans le réseau comporte une quarantaine de structures : du coworking, au fablab, en passant par le bar associatif. Et via ce réseau, il y a le souhait et l’habitude de porter ensemble des projets d’ampleur : que ce soit la réduction des déchets, les communs ou encore la formation professionnelle. Cédille est une interface de coopération entre les acteurs eux-mêmes (tiers-lieux) et les acteurs publics. Et c’est via le réseau que les tiers-lieux de la Drôme portent des projets d’ampleur : c’est pourquoi on a répondu en consortium aux Fabriques de Territoires et à DEFFINOV.

Alexis Durand : Prima Terra existe depuis 2010, c’est une structure de recherche appliquée qui est dédiée à l’innovation et à la coopération territoriale pour accompagner à l’échelle francophone les acteurs publics et privés. Dans le cadre des Campus Cédille, il s’agit de participer à la conception du projet et au montage du consortium de façon à pouvoir en faire un lieu pilote.

L’ambition du projet Cédille est de rendre accessible la formation professionnelle en milieu rural avec une démarche structurée autour de la coopération.

En quoi consiste le projet de formation ?

M. M. : Cédille est composée de 4 campus ruraux donc de 4 thématiques et 4 filières d’avenir. Au sein de Cédille, on creuse l’idée de la formation en milieu rural depuis plusieurs années. Mais c’est dans le cadre de Fabrique de Territoire qu’on a créé un organisme de formation par et pour les tiers-lieux pour leur permettre de mutualiser des moyens administratifs et financiers et de pousser les métiers et compétences nouvelles sur les sujets de transition. Au moment où DEFFINOV est lancé, on a cet outil « organisme de formation mutualisé », Cédille Formation, avec des désirs de transition sur les métiers du vivant, sur l’économie circulaire, sur le « prendre soin » ou encore sur le numérique.

On a 4 tiers-lieux (Le Moulin Digital, Les Tracols, 8fablab et ASOFT Nyons Numérique) qui sont particulièrement impliqués et qui forment le consortium : ce sont eux les référents de thématique et des bassins géographiques pour tous les tiers-lieux du territoire. L’ambition du projet Cédille est de rendre accessible la formation professionnelle en milieu rural avec une démarche structurée autour de la coopération. Or, le premier frein pour une formation professionnelle de qualité en milieu rural c’est la parcellisation des solutions : il n’y a pas souvent de parcours continu et la communication est particulièrement difficile. Nous, on propose ainsi de rassembler les acteurs pour qu’ils coopèrent, mais ce n’est pas si simple ! Tout l’enjeu de DEFFINOV, bien plus que l’émergence de nouvelles formations, c’est avant tout de l’animation et de la coopération territoriale.


A.D. : Le principe essentiel est de s’inscrire dans la durée. Mais la façon d’y arriver est différente d’un bassin de vie à l’autre : de par l’histoire relationnelle, l’implantation du tiers-lieu, la culture de la coopération, etc. Le fait d’avoir 4 bassins de vie, 4 campus pilotes permet finalement d’avoir 4 retours d’expérience pour travailler en simultané. Une des réussites du projet c’est de réussir à intégrer l’axe formation et accompagnement dans des Plans Climat, dans la CTG, dans des schémas de mobilités ou d’attractivité … Par exemple, on a réussi à intégrer un axe du Plan Climat Air Énergie Territorial, où on figure comme seul acteur sur le territoire pour mettre en œuvre un objectif opérationnel. La grande force de Cédille c’est cette possibilité de mutualisation, de travailler par coalition, à l’échelle des bassins de vie ou à l’échelle départementale, mais aussi de faire du plaidoyer au niveau national, avec des acteurs qui n’arrivent pas à aller dans le grain fin des territoires.

Notre pensée dépasse DEFFINOV car elle est calculée sur un temps long. L’intérêt c’est de se dire : comment pérenniser une dynamique qui nous relie avec un esprit de franchise sociale territoriale ? Et c’est toujours les tiers-lieux de Cédille qui animent l’ensemble avec cette notion de culture du commun.

M.M. : On propose beaucoup de choses ! Si, par exemple, on fait un focus sur la Drôme provençale, il y a trois axes de travail (ceux qu’on retrouve dans le le Plan Climat-air-énergie territorial) : des parcours de formation, des chantiers de la transition écologique, et les campus MOOC. Pour simplifier : on ne propose pas un apprentissage de la pédagogie, mais plutôt tout ce qui est autour, soit la stratégie dirigeante, la communication autour de l’OF, comment mieux vendre son offre de formation, etc. Notre chantier de transition écologique va être relié aux jeunes publics, sur le modèle des écoles ÊTRE, quand les campus MOOC, ressemblent eux, aux campus connectés (sans le label).

En quoi l’appel à projets DEFFINOV a été une opportunité pour développer / structurer le projet de formation ? En quoi la réunion d’un consortium d’acteurs de formation est moteur pour le projet ?

M.M. : L’appel à projets DEFFINOV nous a donné la légitimité de le faire. Grâce à DEFFINOV le temps de concertation est rémunéré ce qui nous permet d’écrire la performance des dites-formation. Quand la première version de notre projet est arrivée à son terme, avec atouts et faiblesses, DEFFINOV nous a permis d’aller vers l’étape 2.

A.D. : En effet avec DEFFINOV, on a pu réaliser la 2e génération du projet en se demandant : comment peut-on mutualiser les sujets de formation sur de l’ingénierie ? Il y a eu un souhait politique de le faire à l’échelle de la Drôme, mais aussi limitrophe avec au centre les tiers-lieux en tant que facilitateurs de communs (comme acteurs qui permettent le maillage territorial). Cette pensée s’est bien déclinée parce que les formes de maturité étaient différentes d’un bassin de vie à l’autre. Ça a généré des défis différents, qui prouvent l’importance de travailler en consortium. Et par extension, plus on a tiré ces fils là, plus ces défis ont fait résonance avec d’autres régions/territoires.

Aujourd’hui, on voit bien qu’il y a une sorte de plafond de verre sur la question de la mise en visibilité extra-locale, et c’est à cet endroit qu’il est intéressant de travailler en réseau et d’être en lien avec les DEFFINOV d’autres régions en France.


M.M. : On fait donc avant tout de la coopération territoriale pour pouvoir sortir de ce côté parcellaire. Notre projet DEFFINOV va être assez lent parce qu’on a besoin de trois ans pour amener tout le monde à coopérer et travailler ensemble. On bâtit un navire très solide parce qu’on vise déjà un temps bien plus long que ces trois ans.

Quel est l’impact du projet des campus Cédille sur la transformation des organismes de formation locaux, et comment contribue-t-il à répondre aux enjeux spécifiques de la formation dans ces territoires ?

A.D. : Le premier élément c’est l’inscription dans le temps long avec des petits publics. Deuxième point : la part recherche-action et innovation. Il y a une pensée de franchise territoriale avec des pilotes qui documentent. Après, on s’inspire de la méthodologie qu’on a pu travailler avec le groupe de travail Sud Tiers-lieux sur l’impact de son réseau interne/externe, qu’on met en œuvre petit à petit pour évaluer. Troisième point : l’exportation elle-même donne lieu à de la formation, il y a une pensée maquettage pédagogique. Et le dernier point c’est qu’il y a ce travail d’évaluation des tiers-lieux sur lesquels on s’inscrit et qui ont cette culture de l’évaluation : ça aide énormément parce qu’il y a beaucoup de documentations.

Finalement, qu’il y ait DEFFINOV ou pas, avec les tiers-lieux, la culture de l’impact et de l’utilité sociale est déjà bien installée.


M.M. : Notre objectif c’est aussi d’être capable de faire venir de la formation de qualité chez nous. Par exemple, un grand groupe d’enseignement supérieur nous a contactés à la suite d’un webinaire qu’on a fait avec France Tiers-Lieux et la Caisse des Dépôts pour tester le déploiement de leur MOOC en Drôme. À rebours, chez nous, il y a des acteurs « pépites » avec des écoles sous les radars et des niches énormes. Par exemple le Centre de formation professionnelle et de promotion agricole de Nyons est réputé pour son enseignement filière « huiles essentielles/herbes aromatiques » et ça draine des gens de partout en France, voire d’Europe.

Et les tiers-lieux ont discuté avec le CFPPA de Nyons et ont répondu à leur besoin d’actualiser la maquette de la formation sur le volet permaculture. Par ailleurs, la possibilité d’être paysan herboriste est passée récemment dans la loi (début 2025). Et ça c’est grâce à un gros travail qui a eu lieu sur notre territoire. Ainsi, beaucoup de rencontres nationales avec des élus ou encore des sénateurs vont se faire à Nyons dans le cadre de cette dynamique. Là on se rend compte de l’impact, parce qu’on se retrouve à être un révélateur grand public d’une ultra spécialité dont on parle un peu partout en France et qui est née là, juste à côté de chez nous. Un autre exemple inspirant aujourd’hui, c’est l’organisation du salon Bien vivre ici qui s’adresse aux gens du coin où « tu peux trouver du travail, te former, et tu peux entreprendre sur ton territoire avec tous ces acteurs-là. » C’est un sans faute : le projet est en train de prendre une ampleur importante !

Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.