Interview

Entretien croisé autour des espaces communs Kpacité

Interviews de deux responsables de l’accompagnement d’une coopérative KPA-Cité* respectivement à Coudekerque (dans le Nord) et à la Rochelle.

25 avril 2022

Comment la contribution à la vie d’un tiers-lieu renforce-t-elle la capacité d’agir de personnes fragilisées et favorise-t-elle l’engagement dans des formes de démocratie locale ? C’est la question posée par Charlotte Filibien (La Compagnie des Tiers-Lieux) à Stéphanie Ambellié et Florine Jollivet, toutes deux responsables de l’accompagnement d’une coopérative Kpa-cité respectivement à Coudekerque (dans le Nord) et à la Rochelle.

Kpa-cité est une initiative nationale dédiée au développement coopératif dans les territoires concentrant de fortes inégalités économiques et sociales qui appuie la capacité des habitant.es d’un quartier fragilisé à produire et explorer les vertus du “faire ensemble” et accompagne les volontaires vers des activités marchandes reconnues.

A Coudekerque, une épicerie solidaire dans une église

 “Faire ensemble” chez Kpa-cité signifie pour l’équipe commencer par mettre en place un cadre convivial et familier. A Coudekerque, ce cadre prend vie dans les locaux d’une ancienne église où l’association a installé une épicerie  solidaire ouverte à tous pour y faire ses achats, mais également contribuer bénévolement voire tester de nouvelles activités. L’équipe utilise cet espace comme une invitation à s’ouvrir, à s’exprimer, à refaire confiance, à apprendre de l’autre. L’outil Kpa-cité sert lui plutôt à favoriser l’engagement et la contribution des volontaires, amenés à inventer leurs modes de gouvernance et de gestion autour de cet outil en commun. On mesure là que cette démarche apprenante de pratiques démocratiques prend du temps et combien cet espace commun de création composée d’une cuisine partagée, d’un atelier créatif d’upcycling, d’un atelier bois peut la soutenir. 

Repère convivial à la Rochelle 

A la Rochelle, la coopérative Kpa-cité a pris vie au pied d’une résidence de jeunes. Sur la terrasse de l’immeuble, les coopérants volontaires ont élu leur repère convivial. La cuisine professionnelle du restaurant voisin leur permet de se tester dans l’univers de la cuisine. Un atelier de menuiserie leur ouvre ses portes pour apprendre à fabriquer des meubles avec du bois de récup’. Dans ces espaces, ils réinventent une société horizontale dans laquelle ils ont leur place, peuvent s’exprimer et trouver un tremplin.

Contribution et renforcement du pouvoir d’agir 

Un peu comme Marie, coopérante de Kpa Coudekerque qui a repris confiance dans ses compétences culinaires dans la cuisine collective de Label Epicerie. Elle compte créer une cantine de quartier alimentée par les produits de l’épicerie. A Coudekerque ou la Rochelle, ces espaces sont des plateformes pour prendre part à la vie d’une coopérative dans tous ses aspects et correspond à l’apprentissage de formes de pratiques démocratiques, au contact des collectifs rassemblés. Par exemple, Label Epicerie a choisi d’offrir des produits locaux et saisonniers à ses clients. A travers ce choix différenciant par rapport aux autres structures de l’aide alimentaire, elle promeut une vision écologique sur un territoire comme la Communauté Urbaine de Dunkerque qui est parmi les plus industrialisés de France. Elle initie également un projet de cuisine de rue qui vise à offrir aux habitants l’opportunité de s’exprimer sur les enjeux de précarité alimentaire à travers des podcasts. Objectif : amener la parole habitante dans les débats du futur plan alimentaire du territoire. 

La proposition de valeur de Label Epicerie amène donc les habitants qui y adhèrent à cette double posture d’attention et de coresponsabilité vis-à-vis de leur environnement. 

S’initier à la démocratie locale

Il ne suffit pas d’avoir du pouvoir d’agir, il faut en avoir conscience et savoir comment l’utiliser. La gouvernance, la démocratie sont des sujets très abstraits pour tous celles et ceux qui n’en ont jamais fait l’expérience. Il ne suffit pas d’instaurer une gouvernance collégiale, il faut encore la faire vivre.

Florine Jollivet, responsable de Kpa-cité La Rochelle depuis trois ans, s’étonne souvent d’accueillir des jeunes de 16 à 25 ans déjà très tôt brisés et plein de désillusions. Les équipes aident les coopérants volontaires à se libérer de ce qui les empêchent de se réaliser. A partir de leurs envies et besoins, les lieux leur servent de terrains d’expérimentation et de partage. La durée de l’accompagnement KPA-cité est limitée dans le temps. Régulièrement, de nouveaux coopérateurs rejoignent ces espaces communs de création. Les plus anciens transmettent alors aux nouveaux qui testent, prennent leur place. Les règles de partage des espaces s’ajustent. Les couleurs des locaux évoluent. Le mobilier est pensé sur roulettes. Il est important de se sentir à l’aise, de s’approprier les lieux, de l’atelier au jardin, du jardin au quartier, du quartier à la cité. 

Kpa-cité amène donc ses coopérants dans un cheminement tant individuel, professionnel que sociétal.

Cet article est publié en Licence CC By SA afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.