Interview

L’Uzinou

Une manufacture en partenariat avec un ESAT

30 juin 2025

L’Uzinou est une manufacture, partenaire d’un ESAT, établissement visant à l’insertion des personnes porteuses de handicaps, qui diffuse ses savoir-faire, ses expériences et ses compétences. Le tiers-lieu héberge un atelier textile, et un atelier de fabrication numérique et de recyclage des produits plastiques, à destination des professionnels. Quatre questions à Morgane Schlumberger, responsable du développement de la formation à l’Uzinou.

Pourriez-vous raconter la genèse du tiers-lieu et faire un rapide tour d’horizon de ses activités ?

Morgane Schlumberger : C’est un tiers-lieu qui a été imaginé à la Fabrique du Loch (fablab à Auray) soutenu par le programme Manufactures de proximité de l’État. Il s’appuie sur un collectif avec l’ESAT des Ateliers Alréens et sur l’Argonaute qui fait du coworking pour les artisans et les créateurs.

L’idée est d’allier le côté machines, fablab, activité autour de la fabrication (autour du recyclage du plastique) avec l’énergie des créateurs et créatrices de l’Argonaute. On a d’abord proposé un projet autour du textile, ce qui a permis de créer une mixité de genre dans les publics (dans le textile, il y a un public plus féminin et au fablab on est plutôt sur un public masculin). Et ensuite, avec les Ateliers Alréens, pour voir ce qu’on pouvait proposer autour de l’insertion et du handicap.

En quoi l’appel à projets DEFFINOV a été une opportunité pour développer/structurer le projet de formation ? En quoi la réunion d’un consortium d’acteurs de formation a été moteur pour le projet ?

M. S. : Dans l’Appel à projet Manufacture de proximité on s’est engagé à transmettre des savoirs et savoir-faire principalement autour du textile. Depuis le Covid, on avait déjà une communauté de couturières qui s’était constituée autour de la confection de masques. On a ainsi voulu réimplanter cette communauté à l’Uzinou pour transmettre des savoirs textiles et sur la fabrication du plastique.

Finalement, la transmission de savoirs était vraiment notre projet de base et DEFFINOV nous a permis d’aller approfondir ce projet-là pour proposer des actions de formation, de transmission et de montée en compétences de façon plus sérieuse. On a voulu axer le projet DEFFINOV du côté de l’insertion des personnes en situation de handicap pour voir comment la confrontation d’univers et de pratiques allait bousculer nos a priori et la façon dont on fait de la formation.
Dans le consortium, on a à la fois l’organisme de formation Ludiques Métiers (formation de formateurs et en entreprises) et les Ateliers Alréens : et pour chacun des acteurs, on est confronté à des terrains très différents. Ludiques Métiers nous accompagne sur la formation : comment on la met en place et comment on le fait de façon ludique avec de la ludopédagogie , ou comment aller chercher d’autres façons de faire. Ce qui correspond bien à « l’esprit tiers-lieux. »

En quoi consiste le projet de formation (activités, bénéficiaires, partenaires …) ?

M.S. : Les bénéficiaires, c’est d’une part la communauté qui vient à l’Uzinou, notamment les professionnels qui utilisent l’espace textile. Mais on a aussi d’autres cibles un peu élargies : toutes les personnes qui sont intéressées par le textile (mais pas de façon professionnelle) et qui viennent pour apprendre par le loisir. Et l’autre public, c’est celui des ESAT avec pour objectif de faire monter en compétence leurs ouvriers. Les formations professionnelles sont très cadrées, contrairement à ce qu’on fait avec les Ateliers Alréens, mais c’est ça qui est intéressant !

C’est un laboratoire où on observe et où on essaie de voir ce qu’on peut faire pour être bénéfique pour tout le monde.

Moi, j’ai beaucoup de questions sur comment on peut, à partir de ces expériences-là, les valoriser, en faire quelque chose : c’est un laboratoire où on observe et où on essaie de voir ce qu’on peut faire pour être bénéfique pour tout le monde. J’aimerais ainsi explorer la piste des Open Badges ou comment on peut valoriser des compétences de façon beaucoup moins scolaire et lourde qu’avec les référentiels de compétences. Comment peut-on valoriser des gestes, des savoir-faire, des savoirs autrement que par des référentiels classiques ?

Quel est l’impact du projet UZINOU sur l’inclusion des personnes en situation de handicap et l’adaptation des pratiques pédagogiques à des publics spécifiques ?

M.S. : La simple ouverture du lieu est déjà un pas énorme vers l’ouverture de ponts entre deux univers. Comme c’est un tiers-lieu, il y a plein d’activités qui se mélangent, et de publics qui interagissent autour d’un même plateau, de mêmes ressources techniques. On cherche des pistes pour alléger la reconnaissance des compétences et la rendre plus immédiate et c’est là que les Open Badges sont une belle piste à creuser. Comment ça se passe concrètement ? Les ouvriers viennent accompagnés avec leur moniteur et leur monitrice pour faire différents ateliers, mais il faut se rendre compte que la formation se fait sur un temps extrêmement long. Pour ce qui est de la pérennisation de notre formation, on travaille avec la région et on explore d’autres pistes : comment faire bénéficier notre expérience à d’autres acteurs de l’insertion ? Et, vu les échanges avec la région et les acteurs de l’insertion, on voit que c’est des lieux qui sont très propices à mobiliser, valoriser des publics qui en ont besoin, et des lieux qui amènent aux premières étapes de remobilisation vers la formation.

On a de nombreux échanges avec d’autres lieux grâce à Bretagne Tiers-Lieux qui anime les temps de rencontres et de co-développement. On a beaucoup à apprendre les uns des autres. Je vais vraiment œuvrer pour qu’on puisse développer le projet Open Badges avec le tiers-lieu Pépiterre (à Sarzeau). Eux, ont fait pleins d’actions de remobilisation avec le GRETA. Nous sommes devenus organisme de formation donc nous faisons une partie du travail mais pour aller travailler avec les appels d’offres de la région nous allons devoir créer des partenariats.

En Bretagne il y a des tiers-lieux qui accueillent des formations et il y a des tiers-lieux qui proposent directement des formations, comme nous. Tous les acteurs sont très contents : ils perçoivent l’intérêt des lieux, mais le nerf de la guerre c’est les financements. Comment les organismes de formations
flèchent leur budget pour ces actions ? La question qu’on se pose tous c’est : est-ce que ceux qui ont les budgets sont prêts à faire différemment et à s’engager pour faire fonctionner les tiers-lieux ?

Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.