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Mahna, premier tiers-lieu au Burkina Faso

Récit d’un essaimage progressif

2 décembre 2024

L’Association Mahna, premier tiers-lieu créé au Burkina Faso, a pour mission de faciliter l’insertion et l’épanouissement professionnel des jeunes burkinabés. Entre espace de coworking, formations, speed-meeting professionnels, et incubateurs, Mahna est un espace clé du centre-ville de Ouagadougou, que ce soit pour les jeunes en fin d’étude qui découvrent le marché du travail, pour les entrepreneurs qui veulent développer leur projet, ou encore pour les travailleurs à la recherche d’un espace calme pour travailler et élargir leur réseau.

Alors que le pays subit des attaques terroristes à répétition La Guerre du Sahel est un conflit armé opposant les États de la région du Sahel – dont le Burkina Faso – et leurs alliés à des groupes salafistes djihadistes liés à al-Quaïda ou à l’État islamique. Depuis 2015, le Burkina Faso est ainsi la cible de nombreuses attaques terroristes qui provoquent des déplacements de population., Hélène Guehenneuc, ancienne directrice du lieu, et Euloge Tohouegnon, directeur actuel, font le récit d’un lieu pensé pour et avec les jeunes étudiants et entrepreneurs de la capitale.

« Faire tiers-lieux » au Burkina Faso

Présente au Burkina Faso depuis 2 ans, Hélène Guehenneuc fut mandatée en 2018 par l’Ambassade de France pour réhabiliter l’ancienne Péri, une structure qui servait à payer les anciens combattants du pays. Idéalement placé, en plein cœur de ville de Ouagadougou et proche des Universités, le lieu a le potentiel de générer du passage, de créer des échanges et ainsi de faire « tiers-lieu ». Cette même année, le lieu est finalement repris par l’Ambassade de France ; intitulé La Ruche Ouaga il comprend alors plusieurs structures à destination de la jeunesse et de l’innovation, comme Campus France, France Volontaires ou encore CFI. Mais le projet de tiers-lieu d’Hélène Guehenneuc n’est pas pour autant aboli, il s’implante indépendamment de La Ruche Ouaga, au deuxième étage du bâtiment, et prend pour nom Mahna (qui se traduit par “fait le” en français). D’abord soutenu par l’Institut de Recherche pour le Développement, le tiers-lieu s’est ensuite autonomisé pour devenir une association entièrement burkinabé. Après 5 ans à la tête du projet et dans un contexte de conflit armé, Hélène Guehenneuc décide de rentrer en France et de léguer entièrement Mahna à l’équipe locale qui suivra la formation « Piloter un tiers-lieu » de la Coopérative Tiers-Lieux, pour assurer la transmission et la pérennisation du lieu.

Centré sur l’insertion professionnelle, Mahna propose des formations, des soirées-débats, des soirées-films, mais aussi des événements de networking et un espace de coworking. Porte d’entrée pour découvrir les activités du lieu, l’espace de coworking est dès le début pris d’assaut, car il permet aux étudiants et travailleurs de bénéficier d’espaces calmes, avec un prix concurrentiel pour accéder à internet. Euloge Tohouegnon, nouveau directeur du lieu, découvre Mahna de cette façon : « j’étais à la recherche d’un espace calme à Ouagadougou au sein duquel je pouvais facilement travailler. Je suis ensuite devenu adhérent de l’association, en 2022 salarié, et aujourd’hui j’en assure la direction. »

« Au tout début on parlait de tiers-lieux, mais l’expression n’était pas très bien perçue par les burkinabés » nous dit-il. Présent dans plusieurs pays limitrophes, le concept de tiers-lieux n’a pas encore trouvé sa place au Burkina Faso et il n’est pas évident pour les habitants de la capitale de comprendre les enjeux et objectifs du tiers-lieu. « Pour simplifier les choses, nous nous identifions souvent comme « l’association Mahna », un espace de travail partagé et coworking » , précise-t-il. Hélène Guehenneuc insiste tout de même sur l’importance d’employer la terminologie « tiers-lieux », qui permet aux acteurs publics et usagers de mieux comprendre ce que sont les fablabs, les espaces de coworking ou encore les incubateurs de projets. Parler de tiers-lieux signifie que les usagères et usagers s’emparent du lieu et de sa vision, s’approprient les usages de l’espace et redéfinissent ensemble ce que signifie « faire tiers-lieux » au Burkina Faso.

Formation et insertion professionnelle

Mahna fonctionne à deux vitesses : d’un côté, la vie quotidienne du lieu avec le coworking, le networking et les activités culturelles, et de l’autre côté des programmes d’accompagnement portés par une équipe de plusieurs salariés (variant entre 5 et 10 personnes) et tout un réseau d’acteurs, et d’associations adhérentes du lieu (appelés MREM). Se crée alors une belle coopération entre les adhérents et le tiers-lieu : en échange d’un lieu qui héberge leur projet, les structures prennent en charge les formations à destination des jeunes de Mahna. Pour Hélène Guehenneuc, cela a permis de faire de « Mahna un catalyseur des structures burkinabés, et notamment de les faire connaître au Ministère local de l’Enseignement. »

Petit à petit se montent trois programmes d’accompagnements : emploi (centré sur la recherche de travail à la sortie de l’Université), entrepreneuriat (pour ceux qui souhaitent développer leur propre activité), et innovation « Mahna’ge ton job », « Mahna Inspire », et le « Programme Déclic ». Outre les partenariats avec les acteurs locaux, le tiers-lieu tisse des liens avec les Universités locales pour guider les étudiants sortants vers le marché du travail. Mahna se fait également connaître en organisant tous les ans la JCE, Journée du Conseil Emploi, qui pendant 2 jours, fait le lien entre entreprises et jeunes à la recherche d’un premier emploi (en moyenne, cette journée mobilise 3 000 jeunes et entre 30 à 40 entreprises).

Les relations avec les entreprises vont au-delà de la simple mise en réseau, le tiers-lieu met à disposition de ces dernières ses compétences pour les aider à développer des programmes de formation et d’incubation de projets. En partenariat avec Nestlé, Mahna ouvre ainsi un programme d’accompagnement de novembre 2024 à mars 2025 à destination de tous les étudiantes et étudiants des universités burkinabés (qu’elles soient partenaires ou non du lieu). Après avoir suivi la formation à l’Université, tous les inscrits soumettent leur idée de projet, l’objectif étant de récolter un maximum de projets innovants et d’en retenir 150 ; ils auront ensuite un mois pour le peaufiner. À l’issue de cette période, 5 seront choisis par un jury et bénéficieront de l’accompagnement (matériel et financier) de Nestlé.

Quand Mahna essaime

Premier tiers-lieu au Burkina Faso, Mahna s’est développé dans plusieurs villes du pays : le tiers-lieu a aujourd’hui des antennes dans les villes de Bobo-Dioulasso et de Koudougou (d’autres antennes ne sont plus en activité à cause de la menace terroriste). Pas forcément « tiers-lieux », les antennes sont plutôt des structures (associations ou groupements de jeunes en lien avec le Ministère de la Jeunesse) déjà existantes auxquelles Mahna propose de déployer des programmes, des formations et de s’associer pour avoir plus de poids dans la recherche de financement. « Nous avons un certain nombre de facilitateurs dans ces villes-là, qui nous accompagnent dans toutes les activités que nous faisons » précise Euloge Tohouegnon. Un partenariat est notamment mis en place avec les LABIS, laboratoires d’innovation sociale situés dans différents endroits du Burkina Faso Au Burkina Faso, Bénin, en Côte d’Ivoire, en Guinée Conakry, les LABIS permettent aux jeunes dans une situation de précarité de développer des compétences.

Malgré le contexte politique tendu, Mahna est plus que jamais présent au Burkina Faso, et porte haut et fort son rôle de facilitateur entre entreprises et étudiants. Loin d’arrêter ses activités, le tiers-lieu souhaite d’ailleurs déployer ses différents programmes dans d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest francophones. « C’est un vaste projet » selon Euloge Tohouegnon, « il faudra bien évidemment réadapter les différents accompagnements en fonction de chaque pays. Par exemple au Bénin, il y a des tiers-lieux et des laboratoires de jeunes qui existent déjà, il s’agira ainsi de conjuguer nos efforts avec ce qui a déjà été fait. » À ce jour des discussions sont déjà en cours avec les laboratoires d’innovation sociale au Bénin, en Côte d’Ivoire et au Sénégal.

Quand on l’interroge sur l’impact du tiers-lieu à ce jour, Euloge Tohouegnon nous répond d’abord par des chiffres : plus de 140 000 jeunes ont bénéficié des programmes de Mahna depuis sa création. Ensuite, il nous rapporte certains témoignages d’anciens adhérents qui ont lancé leur propre entreprise et qui finissent très souvent par revenir au tiers-lieu en tant que formateurs. « Ils veulent être des modèles pour les jeunes et les  sensibiliser, non pas à suivre exactement le même chemin qu’eux, mais plutôt les pousser à continuer les formations de Mahna qui leur ont permis de concrétiser leur projet professionnel ! »

Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.