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Entretien croisé autour de « L’École des Possibles » à l’Hôtel Pasteur

Entretien avec Fabienne Depeige, directrice de l’école maternelle, Gwenn Pacotte, coordonnatrice de l’édulab et Gwenola Drillet, concierge et coordinatrice générale de l’Hôtel Pasteur.

26 avril 2022
Hotel-Pasteur

D’une « permanence architecturale », où furent collectivement élaborés les principes d’hospitalité qui fondent l’usage du bâtiment, à l’apprentissage permanent qui doit maintenir le projet en mouvement, on vous ouvre les portes de l’Hôtel Pasteur. Au centre-ville de Rennes, le bâtiment Pasteur est un tiers-lieu singulier à la fois pôle pédagogique, avec l’école maternelle Faux-Pont, l’édulab Pasteur et une association collégiale, l’Hôtel Pasteur, qui, telle une ruche, accueille des expérimentations de 3 heures à 3 mois et donne le cap d’une recherche-action en associant tous les acteurs du lieu.

Nous pourrions commencer par présenter l’Hôtel Pasteur en questionnant qui sont les communautés qui fréquentent le lieu ?

Gwenola Drillet : 

Avec la permanence architecturale, la fréquentation de ce lieu est en renouvellement permanent, aussi on n’aime pas trop établir des typologies. Concrètement, cette semaine [où a été réalisé cet entretien], il y avait à la fois une association, Bulles de français qui essaie d’inventer une autre façon d’apprendre le français, là avec huit nationalités différentes au sein d’un même groupe (un projet mené en partenariat avec le centre d’art La Criée, et avec l’éduLab), et des séjours longs, de trois mois : quelqu’un qui prépare un projet documentaire ; une personne issue du graphisme qui travaille sur l’écriture inclusive, un petit groupe qui est en train d’élaborer un projet de tiers-lieu en milieu rural, qui est venu pour découvrir le fonctionnement de l’Hôtel. Un groupe va arriver pour un projet sur la fabrique en terre crue ; ils lancent une expérimentation qu’ils vont tester ici en écho à une briqueterie solidaire qui s’est créée dans une commune voisine. Il y a aussi eu un workshop d’étudiants des Beaux-Arts qui ont travaillé sur les teintures végétales, sur la broderie traditionnelle et les techniques de peinture à l’aiguille. Ils ont fait découvrir ces techniques à tous les curieux de passage. On pourrait aussi citer un duo qui a un projet d’ESS basé sur le réemploi du textile. Et nous avons aussi accueilli Survie 35, une association qui milite pour une refonte de la politique étrangère de la France en Afrique. Pour revenir à la dénomination d’« hôtel », elle s’est imposée à l’issue de la phase d’expérimentation du projet ; il y a eu une assemblée d’acteurs et de partenaires qui s’est interrogée sur les lignes de force qui traversaient tout ce qu’on avait partagé. Ce qui est sorti en premier a été la notion d’hospitalité. L’idée d’un « hôtel », pour donner un nom à cette grande maison, est venue de là : que ce soit un lieu où l’on puisse être de passage, mais qui soit aussi un bien commun. Et ce mot d’hôtel a un double sens. On peut y accueillir mais nous sommes aussi les hôtes du lieu. Nous devons passer le relais et transmettre ses usages.

Le bâtiment Pasteur regroupe une association, elle-même baptisée Hôtel Pasteur, l’éduLab, tiers-lieu d’expérimentation et d’apprentissage dédié aux usages et aux cultures numériques, et une école maternelle. Comment ces trois entités se sont-elles retrouvées sous le même toit, et en quoi cela forme-t-il communauté ?

Gwenola Drillet : Dans sa configuration actuelle, l’Hôtel Pasteur hérite d’expérimentations qui se sont succédées dans un lieu vacant du patrimoine rennais (l’ancienne faculté dentaire). Il y eut d’abord une « université foraine », puis une « permanence architecturale » portée par Sophie Ricard, et trois ans de chantier et de laboratoires pour questionner le devenir de ce lieu, avec des assemblées de partenaires, où nous avons mis en travail les questions de gouvernance, de modèle économique du lieu, et de recherche-action. Ce que nous sommes aujourd’hui est le fruit de toutes celles et ceux qui ont contribué depuis le début en 2012. L’assemblée des partenaires s’est constituée en association : l’Hôtel Pasteur à laquelle participe la ville de Rennes, et qui a pour objet d’accueillir des projets de durée variable dans les 2500 mètres carrés d’espace à disposition. Malgré des temps de controverses compréhensibles, nous avons pu bâtir une véritable confiance avec la collectivité qui accompagne aujourd’hui l’Hôtel Pasteur. Cette histoire-là nous rapproche et fait lien entre les entités qui cohabitent dans le lieu. Concernant l’école, la ville de Rennes a souhaité intégrer une école maternelle voisine, dont les locaux étaient devenus trop étroits et vétustes. La Ville de Rennes a confié la gestion du site à l’association mais de fait, coexistent trois réalités juridiques qui participent à cette association collégiale. L’école, ainsi, ne peut statutairement être membre de l’association, mais elle est représentée, pas nécessairement par sa direction : ce peut être un enseignant, ou quelqu’un du périscolaire. Ce qui fait communauté est en train de s’écrire. Notre convention d’occupation précise que l’on peut mutualiser certains espaces, mais cela ne suffit pas à créer du lien. C’est plutôt une visée, un travail que l’on fait ensemble : comment se mêlent nos fonctionnements ? Qu’est ce qui interagit entre nous ? C’est cela qui va faire communauté, au-delà de la seule cohabitation.

Fabienne Depeige : Je suis directrice de l’école maternelle depuis septembre 2021. Je suis donc arrivée une fois le chantier terminé. Pour le moment, ce qui fait communauté, c’est le bâtiment. Mais on entame des actions, des pistes de travail sont identifiées autour de réflexions communes, des rencontres sont organisées. Et il y aussi des moments de vie partagés, par exemple lorsque tout Pasteur se rend au Théâtre National de Bretagne. Pour les enfants, c’est une opportunité de sortir de l’école, ce qui est aujourd’hui indispensable. C’est vraiment génial de pouvoir apprendre hors les murs.

Gwenn Pacotte : Je suis agent public, missionnée par la Ville de Rennes pour coordonner l’édulab, un service municipal déconcentré avec comme objet les politiques éducatives et les enjeux liés au numérique responsable. L’EduLab Pasteur est géré par la Direction éducation et enfance de la Ville de Rennes et, de ce fait, a déjà des relations privilégiées avec les écoles. Nous avions donc des contacts avec l’équipe de l’école maternelle avant même son déménagement au sein de l’Hôtel Pasteur, et des temps de concertation, d’expérimentation et d’exploration du bâtiment en chantier avec d’autres classes. La permanence architecturale a permis des temps de préfiguration, des expérimentations in situ, l’accueil d’une classe transplantée ou l’aménagement d’une classe témoin au milieu du chantier. Les enfants venaient y faire classe une journée par mois, casqués et avec l’avis favorable de la commission de sécurité. 

Au quotidien, on est souvent submergés de tâches à accomplir et accaparées par les nouvelles technologies. Comment résister à cette pression pour dégager, au-delà de vos activités respectives, le temps nécessaire pour « faire commun» ?

Fabienne Depeige : Je suis directrice d’école depuis 20 ans. Depuis une dizaine d’années, je dispose d’une décharge d’une journée pour les tâches de gestion, et ça ne suffit pas. Avec un tel projet, on pourrait s’attendre à ce qu’on nous donne les moyens de pouvoir pleinement s’y investir, mais ça n’est pas le cas. Cela tient grâce à la bonne volonté de chacun, mais cette question du temps, elle est permanente. 

Gwenn Pacotte : Au sein de l’Edulab, des temps sont dédiés à l’accueil des classes, de la maternelle à l’enseignement supérieur. On rencontre les enseignants en amont, pour préparer ensemble les séquences pédagogiques. Nous réfléchissons avec l’Education Nationale à la possibilité pour les enseignants de primaire de disposer de temps de formation et de préparation. Pour le moment, il est vrai que cela repose beaucoup sur le volontariat. On reçoit aussi des personnels du périscolaire, des conseillers d’animation avec qui on travaille sur des projets au long cours. C’est lié au fait que l’édulab soit un service de la Direction éducation enfance, qui réunit tous ces métiers-là.

Vous évoquez tout ce qui a été préfiguré lors de la permanence architecturale. Que reste-t-il de l’accueil inconditionnel des personnes en situation sociale difficile ? Et plus largement, que reste-t-il du côté un peu “punk” des débuts et des principes initiaux de la permanence architecturale dans les pratiques que l’on retrouve aujourd’hui à l’Hôtel Pasteur ? 

Gwenola Drillet : Sur les 2.500m2 de la partie hôtel, les règles du jeu de la permanence architecturale perdurent. On a une boussole pour veiller à la diversité des personnes qui investissent les lieux. La collégialité de l’association permet de continuer à faire vivre ces principes. Il faut venir sur place ou jeter un œil au registre pour saisir les traces que chaque hôte laisse en lien avec Jade Bechtel à la conciergerie. Ce registre permet en outre de nommer et valoriser. Et c’est inscrit dans notre modèle économique. Par exemple, les hôtes consacrent une heure par semaine à l’entretien du bâtiment que nous valorisons selon un coût horaire indexé au salaire moyen à Rennes. Et c’est vraiment relié à une ligne budgétaire : cela permet de montrer aux tutelles que l’on a un modèle économique qui s’appuie sur la contribution et les réciprocités établies avec tous ceux qui sont dans le lieu. Que reste-t-il de « punk » ? Cela dépendra des hôtes, il n’y a pas d’injonction. Enfin, on maintient l’accueil dit inconditionnel. Pour proposer un projet, il suffit d’écrire un mail à bienvenue@hotelpasteur.fr. Cette adresse enclenche une conversation qui va déterminer combien de temps, quelles envies, les besoins d’espace, les interactions possibles avec les hôtes présents. En ce moment, on a à la fois une association qui propose des cours de français à des personnes migrantes, en lien avec l’EduLab, et un workshop issu de l’école des Beaux-Arts. Certains accueils sont plus informels : le bâtiment est ouvert tous les jours au public, on peut librement s’y balader. 

Comment faire pour que l’Hôtel Pasteur puisse concerner davantage d’enseignants, passer d’un lieu qui offre des marges de manœuvre pour des personnes particulières à la possibilité de toucher la masse du corps enseignant ? 

Gwenn Pacotte : On s’appuie sur les liens forts entre les services de l’Education nationale et ceux de la direction éducation et enfance de la ville de Rennes, sur le plan numérique éducatif local co-écrit par les services éducatifs de la VIlle (DEE) et les acteurs de l’éducation nationale. Le soutien apporté par le conseiller pédagogique départemental dédié aux usages numériques éducatifs, auprès des enseignants du premier degré est primordial. Pour le second degré, nous avons un homologue au sein du Rectorat.

Fabienne Depeige : Rien de mieux que le bouche à oreille entre enseignants qui sont déjà venus. Mais il y a encore du boulot à faire, la ville de Rennes est soucieuse que l’éduLab soit investi : les directeurs d’établissements du premier degré ont reçu un document en ce sens de la part de la ville. 

Cette nouvelle configuration du bâtiment Pasteur « institue » de nouvelles pratiques, mais n’y a-t-il pas de risques de voir ceci se figer dans une forme institutionnelle qui pourrait en uniformiser le fonctionnement ? L’implication des 3 entités dans l’association vous en protège-t-il ?

Gwenn Pacotte : Je suis missionnée pour participer à la mise en œuvre de politiques publiques, nous sommes donc concernés par l’institutionnalisation. Mais le fait d’avoir participé au chantier, et d’être aujourd’hui dans un contexte singulier offre de grandes libertés. Nous continuons à expérimenter et explorer chaque jour, nous sommes dans un lieu qui reste en mouvement.

Fabienne Depeigne : Dans le cadre de l’école, on fait ce qu’on sait faire de mieux, à savoir la classe. Néanmoins, des fenêtres s’ouvrent. L’autre jour, nous avons fait la récréation à un étage de Pasteur. Comme il n’y a pas de barre d’escalier à hauteur d’enfant, nous prenons l’ascenseur par groupes de dix. Nous avons aussi invité des hôtes à participer à une de nos séances de sport et à la fête de printemps de l’école. 

Gwenola Drillet : Ces porosités mettent du temps à se déployer. Il faut d’abord trouver des temps pour faire connaissance, mais ces temps ne sont pas extensifs. On a alors commencé à travailler avec des tiers. Il y eut ainsi un labo intitulé Jouer l’école en commun où sont intervenues l’architecte et illustratrice Céline Tcherkassky et la designer-architecte Agathe Chiron. Quelque chose de très simple qui a émergé lors du dernier labo, c’est que nous, « concierges » de l’Hôtel Pasteur, passions une journée à l’école pour prendre conscience des réalités de l’intérieur. Ce fut l’occasion de rencontrer le personnel de ménage, les animateurs périscolaires, les parents…

Fabienne Depeigne : Les réunions de travail, les temps de gouvernance ne suffisent pas. Il faut de l’informel, manger ensemble, s’entraider au quotidien.

Quelle place prend déjà, et pourrait prendre à l’avenir, la notion de recherche-action qui semble être l’un de vos principaux leviers d’action en commun ? Par exemple, comment cela se traduit-il dans le laboratoire « jouer l’école en commun » que vous avez initié ?

Gwenola Drillet : Dans tout le travail que l’on mène, on implique l’école, pas seulement l’équipe pédagogique mais aussi périscolaire, ainsi que des élus. Il s’agit de mettre en œuvre un véritable partage de ressources. De façon plus large, la dynamique de recherche action est un axe majeur de notre développement avec trois points d’entrée : l’école en commun ; la participation de l’Hôtel Pasteur à la fabrique de la ville solidaire ; et enfin, une mise en question des normes, celles liées au bâtiment lui-même, mais aussi celles qui sont liées à la société et à la fabrique plus ou moins consciente d’une sorte de « normalité ». 

Est-ce que cela forme une « intention commune », dont Antoine Burret dit, dans sa thèse, que c’est à travers elle que peuvent se réunir des personnes hétérogènes pour faire tiers-lieux ?

Gwenola Drillet : C’est tout l’objet de notre travail et des labos. L’intention commune doit se construire ensemble et n’est pas donnée d’emblée. C’est un processus qui se nourrit de tous ceux qui sont dans le lieu. Comment, à l’échelle de ce bâtiment, être en vigilance au quotidien ? Est ce qu’on a des choix communs ? Qu’est ce qui peut parfois nous en empêcher ? Nous n’avons pas tous les mêmes réalités et on doit composer avec certaines pesanteurs de l’Éducation nationale, ou encore avec des logiques internes à l’échelle d’une ville métropolitaine. Mais nous n’avons pas de rapports hiérarchiques et pouvons mettre tous les acteurs autour de la table. Par exemple, le dernier atelier que nous avons organisé réunissait l’équipe pédagogique, le périscolaire, mais aussi l’inspection académique et des partenaires associatifs : un tel mélange des genres n’est pas courant.

Fabienne Depeige : Nous sommes une école de centre-ville, mais l’éduLab offre la possibilité à des enfants de quartiers moins favorisés de venir ici. Et puis, dans ce lieu, il y a une vraie mixité : des enfants de trois ans, des personnes âgées, des étudiants de Rennes 2 qui viennent y travailler. L’objectif commun serait une appropriation complète du lieu et que toute personne se sente légitime pour y venir et participer.
Gwenola Drillet : L’Hôtel Pasteur est un lieu de transformation qui fait écho aux transformations sociétales. C’est la raison pour laquelle nous accordons autant d’importance à la recherche-action ; Nicolas Kühl, un des concierges de Pasteur y est entièrement dédié et aide à ce que les expérimentations qui sont menées ici ne restent pas sous cloche, qu’elles soient partagées et qu’elles permettent de monter en généralité. En tout cas, le lien entre l’expérimentation et l’apprentissage apparaît fondamental. C’est cette expérience, que l’on doit rendre possible ici, qui permet d’acquérir des connaissances. Le philosophe Thierry Paquot, que nous avons invité ici, parle d’apprentissage comme un moyen sans fin, avec l’idée que le processus doit se suffire à lui-même .« Faire école », enfin, c’est considérer que les apprentissages que nous mettons en œuvre ne doivent pas être circonscrits au seul lieu de l’Hôtel Pasteur. Pour une école, donc, qui soit aussi une « école dehors », une école multi-sites.

Cet article est publié en Licence CC By SA afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.