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Pour des tiers-lieux en recherche-action permanente ?

Faire recherche en tiers-lieux, faire tiers-lieux en recherche

19 août 2024

Dans deux ouvrages qu’ils viennent de faire paraître aux éditions du commun, Pascal Nicolas-Le Strat et Louis Staritzky montrent l’importance qu’il y a aujourd’hui à pluraliser et multiplier les démarches de recherche-action afin que celles-ci viennent outiller et renforcer nos expérimentations collectives. Ils s’intéressent dans cet article à la manière dont ces démarches de recherche peuvent s’acclimater dans les tiers-lieux, et participer de leur fabrication.

Les démarches de recherche-action sont souvent constitutives (de façon plus ou moins formelle) de nos actions collectives et de la fabrication de nos lieux. En effet, la recherche-action n’est pas juste une méthode collaborative, c’est un droit politique dont nous nous saisissons collectivement, et souvent spontanément, pour agir sur nos milieux de vie. C’est un droit à enquêter, à faire récit, à problématiser, à documenter, à conceptualiser, à créer du langage, des savoirs, des connaissances, à faire émerger de nouvelles réalités. Nous pourrions donc dire que la recherche-action est une manière de fabriquer de la démocratie en actes, au cœur de nos expériences collectives. Si ces manières de faire recherche peuvent parfois s’exercer sans nécessairement se revendiquer comme telles, rendre apparentes ces démarches (et leurs processus) permet de se les approprier collectivement. Le fait de leur donner plus de densité, de mieux s’y co-former, d’amplifier la co-reconnaissance, est indispensable à nos coopérations et nos actions collectives.

Lorsqu’en 2019 nous occupions un bâtiment dans le quartier Jean Bart / Guynemer à Saint-Pol-sur-Mer avec le collectif En Rue, il nous avait semblé important de montrer que ce lieu collectif se bâtissait (aussi) avec des mots. Nous rappelions ainsi que chacune de nos expériences de vie et d’activité sont des expériences de mots et avec des mots. Chaque lieu en expérimentation s’équipe toujours d’un atelier de création langagière et conceptuelle qui vient le singulariser, c’est-à-dire le faire exister. « À la question qui m’est fréquemment adressée, “qu’est-ce qu’apporte une recherche ?”, je serais donc enclin à répondre qu’elle apporte parfois simplement un mot, en ayant en tête que ce mot est en lui-même un gisement. En Rue peut alors y puiser pour bâtir. » Pascal Nicolas-le Strat, « Un « lieu » se bâtit (aussi) avec des mots », disponible en ligne : https://quartiersenrecherche.net/un-lieu-se-batit-aussi-avec-des-mots/. Nous sommes donc déjà en recherche sur nos lieux à partir du moment où nous portons attention et considération aux grammaires et aux lexiques que nous fabriquons, et lorsque nous reconnaissons qu’eux aussi participent de la construction de nos espaces collectifs.

Faire recherche en tiers-lieux, faire tiers-lieux en recherche

Tout lieu naît d’un faire. Il n’existe de lieu qu’en fabrication permanente. Aucun ne va de soi Pierre Johan Laffitte, « Tisser les lieux. Logique, production et transmission des praxis, des discours et des langages », In Écrits institutionnalisants (Quelques propositions dans le précaire), en ligne sur le site de l’auteur : https://www.sensetpraxis.fr/Seminaires_colloques/Propositions/LaffittePierreJohan.EcritsInstitutionnalisants2015-2022.pdf/.. De nombreux faits concourent alors à son développement. L’Hôtel Pasteur à Rennes se qualifie de « lieu à tout faire ». Il se veut en réinvention constante grâce à ce qui s’y fait et aux envies de faire de celles et ceux qui y séjournent. La liste est longue des faire constitutifs d’un lieu. Faire lieu, c’est sans doute, en premier lieu, y faire accueil. À L’Hôtel Pasteur cette dimension est décisive. Chaque hôte arrive avec son envie de faire, les ressources dont il ou elle dispose et, en réciprocité, « la participation de chacun·e se concrétise sous la forme de temps passé à veiller le lieu, à accueillir, à entretenir, aménager, transmettre ce que l’on y fait » Idées et formulations glanées sur le site de l’Hôtel Pasteur et collectées aussi à l’occasion de plusieurs de nos séjours dans ce lieu pour des rencontres de travail. À consulter ici : https://www.hotelpasteur.fr/.. Accueillir de nouvelles tentatives et expériences, leur accorder l’hospitalité, contribue à faire exister le lieu, à faire que le lieu continue à se faire, à se tisser, à se composer, à s’architecturer matériellement et symboliquement, relationnellement et imaginairement.

Au nombre de ces faire, plusieurs tiers-lieux mettent en avant l’importance d’un « faire recherche ». Ainsi, l’Hôtel Pasteur valorise un axe recherche-action qui « s’attelle à de multiples chantiers : comment valoriser les savoirs expérientiels qui émergent au sein de cet espace ? Comment transformer des questions communes en objets de recherche ? Comment documenter et mettre en forme les connaissances produites par l’expérience du lieu ? Comment les expérimentations menées peuvent-elles être poursuivies dans de nouveaux projets mêlant universitaires, professionnel·les, et citoyen·nes ? ».

La recherche-action équipe le lieu, et représente un des outils démocratiques pour « faire lieu » en commun et pour faire le lieu au quotidien. La Myne à Villeurbanne se revendique comme « laboratoire citoyen », et inscrit ses activités dans une dynamique de recherche et d’expérimentation permanente. Ce tiers-lieu propose ainsi « d’explorer, investiguer et adresser des questions complexes de société en transition(s) par la recherche-action ». Pour les mynoises et mynois, cette dynamique de recherche participative semble transversale à l’ensemble de leurs activités puisqu’elle agit « aussi bien au sein des projets développés que dans les modes d’organisation sociale et économique de la structure » https://www.lamyne.org/contribute/.. Dans un tout autre champ, à Bagnolet, l’association Hyperlieux inscrit une forte démarche de recherche à ses activités, interrogeant de nouvelles façons de faire architecture et design en commun, afin d’explorer d’autres manières de faire (avec le) territoire. « En tant qu’atelier au service des habitants, associations et structures opérant sur le territoire de Seine-Saint-Denis, [Hyperlieux] explore d’autres manières de concevoir et de produire, nourrissant la mise en œuvre de démarches de social design » https://hyperlieu.com/.. L’association accueille également des programmes de recherche-action à dimension pédagogique.

Ainsi, la recherche-action encourage plusieurs dynamiques. Elle offre la possibilité de mener l’enquête à propos de questions qui importent à la communauté d’expériences et d’activités concernées. Elle permet aussi la valorisation d’un autre « partage du sensible » Jacques Rancière, Le partage du sensible (Esthétique et politique), La fabrique, 2000.. Elle donne à voir des réalités plus modestes ou silencieuses, fait entendre des paroles mineures ou minoritaires en apportant une reconnaissance à des pratiques invisibilisées ou disqualifiées. Elle invite à développer une « écologie de l’attention » Yves Citton, Pour une écologie de l’attention, Seuil, 2014. propre au lieu et bénéfique à la diversité de ses activités en éduquant en commun d’autres manières de voir, observer, sentir-penser et écouter. Elle initie l’effort partagé d’explicitation des faits, des situations problématiques ou des événements, en s’efforçant de les caractériser avec soin (les mots pour dire) dans la perspective d’une délibération démocratique mieux informée. Elle renforce notre capacité à faire récit de l’expérience, à conserver des traces et, ainsi, à doter le lieu de riches antériorités (des archives vivantes) qui soutiendront son avenir. Elle propose l’expérimentation en commun de multiples écritures qui contribueront à faire connaître le lieu et à en diffuser les acquis. Et, finalement, elle ouvre à la co-éducation entre participants de nombreuses capacités dites « de recherche » qui sous-tendent toutes les pratiques énoncées précédemment et qui deviennent alors d’authentiques ressources pour le lieu.

Sur ce dernier point, nous sommes toujours soucieux de défendre l’idée qu’un lieu collectif, qui se fabrique démocratiquement par la participation des premiers concernés et qui revendique une dimension de recherche-action, cultive une pédagogie mutuelle. Un tiers-lieu en recherche doit donc être, avant tout, une École mutuelle Anne Querrien, L’école mutuelle. Une pédagogie trop efficace ?, Les empêcheurs de penser en rond / Le Seuil, 2005.. Nous entendons par là qu’il doit construire des espaces dans lesquels l’acte d’enseigner et de transmettre est une compétence égalitairement distribuée. Il s’agit donc d’expérimenter le droit d’apprendre à l’autre et d’apprendre des autres, de reconnaître la capacité à enseigner comme une compétence commune, de favoriser une culture de la réciprocité dans l’accès aux savoirs et de faire place à la réversibilité des positions de savoir (donc de pouvoir) Pascal Nicolas-le Strat, « Un lieu qui fait école (mutuelle) », disponible en ligne : https://quartiersenrecherche.net/un-lieu-qui-fait-ecole-mutuelle/.. Nous revendiquons une histoire (populaire) de la recherche-action fortement liée aux courants des sciences de l’éducation et de la formation pour adultes du Centre universitaire expérimental de Vincennes Louis Staritzky, « La recherche-action vincennoise : un héritage scandaleux », revue Pratiques de formation, à paraître, 2024. Celle-ci rend visible la dimension co-formative inhérente à toute démarche de recherche participative (en s’inscrivant fortement dans les courants d’éducation populaire politique), et cela nous semble particulièrement fécond pour « équiper » un tiers-lieu. Ainsi, parmi les droits politiques qu’un tiers-lieu (en recherche) devrait revendiquer, celui d’un droit à enseigner qui ne relève d’aucun privilège, ni d’âge, ni de statut, ni de diplôme, et celui d’un droit à apprendre (à « faire recherche » notamment) sans aucun préalable, nous semblent fondamentaux.

Acclimater les dynamiques de recherche-action

Les dynamiques de recherche-action ne doivent pas s’imposer par le haut, de façon déconnectée. Il faut au contraire qu’elles s’acclimatent dans la vie quotidienne du lieu, et que chacun puisse y contribuer. Pour autant, il n’est pas rare qu’un sentiment d’illégitimité s’empare des actrices et acteurs concernés et les dissuade d’engager une expérience de recherche-action. Elles et ils pensent ne pas avoir les compétences pour le faire et espèrent donc trouver la solution à l’extérieur en confiant le travail à un (supposé) expert, avec le risque d’une démarche qui restera largement « hors sol », qui ne parviendra pas à atterrir dans le lieu. Ce contexte entraînera, souvent, un désintérêt et beaucoup de désillusion, sans parler de possibles situations de violence lorsque l’intervenant extérieur assoit son pouvoir et agit de manière verticale, au nom de la légitimité qu’il prête à son savoir. Ce sentiment d’illégitimité des premiers concernés à faire recherche représente un des écueils majeurs qui se présentent en recherche-action.

L’apport d’un soutien extérieur peut s’avérer tout à fait positif mais à condition que les actrices et acteurs concernés restent à l’initiative, soient complètement partie prenante de la démarche et ne s’en laissent pas déposséder. C’est pourquoi une démarche de recherche-action, intégrée à l’activité d’un lieu, doit se concevoir sur un mode radicalement coopératif, et ce tout au long de son processus, de la définition des orientations jusqu’au travail d’écriture, en passant par la conduite de l’enquête. Les acteurs et actrices réussissent à dépasser leur sentiment d’illégitimité (à faire) à la condition qu’ils et elles vivent la recherche-action comme une expérience formative. Celle-ci devient alors l’occasion d’une co-éducation par le faire (recherche), la source de co-apprentissages. La démarche instruit les personnes qui s’y impliquent grâce à cet effort soutenu de co-valorisation de ce qui est tenté, expérimenté et, finalement, approprié.

Un second écueil souvent rencontré tient à l’idéalisation / réification de la fameuse, et bien trop souvent fâcheuse, méthode. Les actrices et acteurs pensent devoir mobiliser ce que l’université a accrédité comme « méthode légitime » et s’engagent alors dans un processus sur-dimensionné, parfois inutilement sophistiqué. Faute de parvenir à le prendre véritablement en main et le porter dans la durée, le risque est grand de renoncer par lassitude et épuisement. Il n’y a pas de méthode idéale. Il n’y a que des méthodes adaptées à leur contexte, proportionnées à la disponibilité dont disposent les personnes et accordées aux attentes de la communauté concernée. Il n’y a donc de « bonne » méthode que singulière, acclimatée au milieu dans lequel elle s’exerce et, donc, conçue en situation, en affinité avec les autres outils et savoir-faire présents dans le lieu.

En matière de méthode, la recherche-action est une invitation à la créativité et à l’ingéniosité, en particulier sur un mode DIY. Cette conception rejoint le mouvement low-tech en valorisant un équipement technique de la recherche qui ne surjoue pas la complexité ou le formalisme et pour lequel les personnes « utilisatrices » préservent leur capacité à effectuer, de manière autonome, tous les réglages et ajustements nécessaires. Une méthode, en soi, n’est pas garante de la pertinence d’une recherche. C’est le bon équilibre qui aura été trouvé entre les attendus de la recherche et ses conditions effectives de réalisation qui assure la qualité du travail. Il s’agit, ici aussi, d’agir en sobriété.

Cette créativité dans les « arts de faire » méthode peut alors devenir un facteur stimulant car elle ouvre de nombreux possibles. Elle relève de ce qu’Ivan Illich Ivan Illich, La convivialité, Seuil, 1973. a caractérisé comme des techniques conviviales, à savoir des techniques, des outils, des méthodes qui se développent au plus près des besoins, sans jamais se couper du milieu dans lequel elles s’intègrent et sans jamais déposséder ceux et celles qui en font usage. Nous pouvons également retenir le terme « convivial » dans son acception ordinaire, en revendiquant, pour une démarche-action engagée au cœur d’un lieu, que les choix de méthode soient, aussi, source de sociabilité avec un réel plaisir à faire (recherche) ensemble. Si les tiers-lieux sont avant tout les « lieux de sociabilité du quotidien » Antoine Burret, Nos tiers-lieux. Défendre les lieux de sociabilité du quotidien, FYP éditions, 2023., il n’y a pas de raison pour qu’une recherche-action ne participe pas de cet élan lorsqu’elle s’invite dans cet espace. Si les tiers-lieux stimulent la créativité et l’expérimentation, ces dimensions ne devraient pas épargner les démarches de recherche qui s’y agrègent, et les méthodes qui s’y déploient.

On pense couramment qu’une enquête participative doit nécessairement passer par la réalisation d’entretiens de recherche. Dans cette perspective, si les formes et formats peuvent varier (du directif au non directif, du long au court, du questionnaire à la question unique) les cadres formalistes doivent être maintenus (posture d’intervieweur/interviewé, début-fin, absence d’autres interactions pendant l’entretien, interruptions des activités ordinaires…) pour assurer leur crédibilité. Nous pensons au contraire qu’il est possible, et souvent nécessaire, de réinventer des moments d’entretien conviviaux qui épousent la dynamique d’un lieu et de ses activités., Ces entretiens relèvent alors d’une sociabilité propre à une communauté et ne s’imposent pas comme des moments de vie artificiels. Il est par exemple possible de défendre, comme nous invite à le faire Annick Madec, un faire recherche en conversant qui « permet de franchir la ligne de partage entre experts et profanes, de faire dialoguer connaissance et expérience, de conjuguer raison et émotions. Enquêter en conversant, c’est raconter des histoires sociales qui seront autant de Biens communs. » Annick Madec, Enquêter en conversant, L’Harmattan, 2015. Cette manière d’enquêter en conversant relève typiquement de ce que nous qualifions de méthode de recherche conviviale.

Les écritures de recherche constituent souvent l’un des endroits les plus crispés, les moins inventifs et les moins démocratiques des démarches de recherche-action. Il n’est pas rare que dans les dynamiques de recherche participative, la participation s’arrête au moment où il s’agit de mettre en mot l’expérience. Le chercheur ou la chercheuse reprend alors la main sur les « livrables », et s’assure de leur circulation et de leur légitimité dans le champ académique. Il nous paraît pourtant indispensable de repenser les écritures de la recherche(-action) afin que celles-ci puissent être non seulement co-produites par le plus grand nombre, mais aussi appropriées par l’ensemble de la communauté. Nous devons donc défendre l’idée que l’article, le rapport de recherche ou le livre ne sont pas les seules formes légitimes de production de recherche, et que nous pouvons réinventer des espaces d’écriture conviviaux et collectifs.

Ces dernières années, nous avons tenté de montrer qu’une recherche participative devait pluraliser ses modes d’écriture et qu’elle pouvait aussi bien « s’écrire en fanzine » Louis Staritzky, « Quand la recherche s’écrit en fanzine… », disponible en ligne : https://comme-un-fanzine.net/quand-la-recherche-secrit-en-fanzine/. qu’en chronique ou en article, en podcast ou en affiche. Les tiers-lieux en recherche doivent donc être, ou devenir, des zones autonomes de publications (ZAP). Nous avons besoin d’ouvrir « des ZAPs dans le cadre de nos recherches-actions, notamment lorsque nous souhaitons travailler nos recherches avec des groupes, collectifs, personnes, pour qui les formes d’écriture en sciences sociales ne sont pas toujours très accueillantes. Et puis, dans une ZAP, on peut facilement zaper, c’est-à-dire tenter, expérimenter, et passer à autre chose si cela ne prend pas. La ZAP c’est aussi le lieu des écritures d’intervention, celles qui agissent rapidement : écrites dans l’action, imprimées dans l’urgence, pliées et distribuées dans la foulée. En cela, elles sont un clin d’œil aux Zap d’Act Up, des actions-éclair de contestations ciblées » Thomas Arnera, Pascal Nicolas-Le Strat, Nicolas Sidoroff & Louis Staritzky, « Pratiques autonomes de publication en recherche-action », Agencements – Recherches et pratiques sociales en expérimentation, n°6, 2021, pp. 130-135..

Pour des tiers-lieux oppositionnels, équipés par la recherche-action

Nous terminons l’écriture de cet article dans une séquence politique inquiétante, alors que les partis d’extrême droite de notre pays viennent de faire un score historique aux élections européennes, et que des élections législatives précipitées par le gouvernement leur laissent l’opportunité d’accéder au pouvoir. Depuis cette annonce, nous assistons à une (partielle) recomposition de la société civile pour faire front (populaire) face à la montée du fascisme. Lors des premiers rassemblements à la Place de la République contre l’extrême droite, le lendemain du 9 juin, on pouvait retrouver des acteurs des tiers-lieux d’Île-de-France. Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour qu’un « forum des tiers-lieux inaugure un espace politique pour donner à voir, partager et mettre en travail réflexif les formes du travail politique dans et avec les tiers-lieux » Post de Nicolas Loubet sur LinkedIn, 14 juin 2024.. Dès le 9 juin, un appel est lancé : « Tiers-lieux de France, c’est le moment de montrer notre rôle politique ! » https://forum.tiers-lieux.org/t/tiers-lieux-de-france-cest-le-moment-de-montrer-notre-role-politique/4670/.. Comme une manière d’exemplifier cet appel, l’équipe de La Mine à Arcueil publie une longue tribune sur ses réseaux rappelant comment leurs engagements locaux, au quotidien, s’opposent (et composent un rempart) à l’extrême droite. « Ne laissons pas la France tomber entre les mains de ceux qui prônent la haine, l’exclusion et le repli sur soi. Nos combats pour l’émancipation et l’autonomie de tous, pour une gestion écologique et solidaire des ressources, sont plus que jamais nécessaires. Face à l’extrême droite, c’est le combat ou l’abîme ».
Ainsi, les tiers-lieux ne sont pas simplement en opposition aux partis d’extrême droite, ils constituent par leurs activités et leurs caractères un espace public oppositionnel, c’est-à-dire qu’ils expérimentent cette conception élargie de l’espace public que théorise Oskar Negt pour désigner « tous les potentiels humains rebelles, à la recherche d’un mode d’expression propre. Ce concept étendu d’espace public intègre le domaine de la production et de la sphère privée, à partir desquels des potentiels politiques peuvent être mobilisés » Oskar Negt, L’espace public oppositionnel, Payot, Tr. d’Alexander Neumann, 2007, p.222. À cet endroit, la recherche-action doit être en mesure d’équiper ces tiers-lieux oppositionnels, de leur donner plus de pouvoir d’agir dans des situations de plus en plus incertaines, de leur permettre d’ouvrir des espaces de réflexion et d’action partagés, de continuer à faire exister, quoi qu’il advienne, les droits politiques fondamentaux qui nous permettent de vivre ensemble : le droit à la parole, à l’histoire, aux récits, à l’enquête, le droit d’apprendre et d’enseigner, de savoir et de caractériser les faits, le droit à un imaginaire pluriel à même de faire advenir des mondes plus égalitaires.

Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.