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Pourquoi une dynamique tiers-lieu en EHPAD ?

D’une prise en charge plus globale des personnes à l’ouverture des établissements

22 décembre 2022

“​​Aujourd’hui, la volonté est de construire beaucoup plus d’aller-venues, de créer du lien entre les personnes âgées, celles qui les accompagnent et la société.” – Stéphane Corbin, Directeur Général adjoint CNSA – 4 octobre 2022 – ESSpace Quand l’appel à projet de la CNSA “Un tiers-lieu dans mon EHPAD” est sorti en 2022, cette ouverture des EHPAD en plein covid a été vécue d’abord comme contre intuitive par les acteurs historiques et pourtant elle relève d’une nécessité absolue.

Nous avions déjà en tête l’existence de logements inclusifs dès 2019 avec les grands chantiers lancés par l’État et des habitats partagés et accompagnés qui se développent à l’image de l’Habitat des Possibles à Lestiac sur Garonne en Gironde dédié au bien vieillir dans des conditions proches de celles du domicile pour les personnes en perte d’autonomie. 

La prise en charge du grand âge et son intégration dans la société relèvent de la transition générationnelle à venir. La France vieillit et en 2030, une personne sur 4 sera en situation d’aidance familiale. Comment les EHPADs deviennent-ils des centres de ressources locales autour de ces questions ?

La démarche tiers-lieu en EHPAD est venue questionner leur raison d’être et fait vivre des dialogues. En pleine crise sanitaire, médiatique et sociale, les EHPADs qui empruntent la démarche tiers-lieu n’hésitent pas à bousculer les codes de la prise en charge du grand âge et des fragilités. Le travail quotidien autour de cette apparente opposition “ouvrir l’EHPAD en plein Covid” a permis de révéler de nouveaux radars pour construire un autre futur pour ces établissements. 

A l’image des 7 lieux portés par l’EHPAD Kersalic de Guingamp depuis plusieurs années déjà, le projet se donne à lire par les choix sémantiques qui y sont faits. La directrice d’EHPAD est maire d’un village de 80 habitants, le régisseur est cantonnier, l’habitant est même contributeur, facteur. Conçu comme un village et vécu comme tel, l’habitat n’est pas qu’hospitalier. Ce long processus d’apprentissage collectif au sein des équipes a permis de révéler des logiques dominantes à l’œuvre et de les contorsionner. Cela permet de libérer la valeur du jugement qu’on porte à une logique ou une autre en discernant les complémentarités pour avancer ensemble.

Loin d’être le dernier lieu de vie, c’est davantage un lieu de lien social qui dépasse les représentations et change le regard sur l’EHPAD. Les peurs et les réticences à passer la porte présentes dans l’imaginaire collectif n’ont plus leur place dans la façon de vivre dans les 25 EHPAD lauréats. Bâtiment 84 initié par l’EHPAD La bonne Eure à Bracieux et les Jardins d’Haïti à Marseille font d’ailleurs l’expérience d’une combinaison crèche – ehpad, d’autres école de musique, cinéma ou encore cuisine partagée viennent faire bouger leurs cadres de référence.

Ces transformations viennent sécuriser l’établissement et notamment dans leur relation avec les professionnels qui s’échangent les rôles et qui favorisent la participation des habitants. Résultat : une espérance de vie de 4 à 5 ans en EHPAD contre 18 mois en moyenne annonce Madame le Maire des 7 lieux à Guingamp.

Relation servicielle ou contributive ? Les EHPADs déplacent le curseur et renouvellent leur contrat avec les habitants et les familles. La relation soignant-soigné s’efface au profit de la reconnaissance de la citoyenneté des personnes elles-mêmes et de leurs différentes identités : soigné, contributeur, parent, enfant, citoyen, aidant, aidé… Les blouses tombent au profit de tenues civiles.

Autre dialogie remarquable en EHPAD, celle de la parentalité inversée ! Quand l’enfant devient responsable de son père ou de sa mère. L’inversion des rôles et des responsabilités a démarré. Comment gère-t-on et discute-t-on de cette nouvelle parentalité inversée en EHPAD ? Comment la famille est considérée avec cette nouvelle casquette ?

Un tiers-lieu dans un EHPAD, ce n’est pas juste une pièce en plus. C’est une démarche globale qui vient interroger sa relation avec les personnes accueillies, les familles, le personnel mais aussi ses interactions avec l’extérieur. Parce que vieillir ou porter un handicap n’est pas une condition absolue, mais une réalité située, dans un contexte culturel et social, la coopération et le partage d’expérience sont une clé indispensable pour faire face à ces défis.

Ce processus est long, car il aborde trois enjeux à intégrer au sein des établissements :
l’ouverture à d’autres publics, avec une nouvelle fonction d’accueil et d’écoute des initiatives et des projets (se perturber),
– le décloisonnement en activant des liens hors champ médico-social (se bousculer),
l’appropriation des parties prenantes au projet, en favorisant la co-construction avec elles (se faire confiance).

Ces enjeux vont participer de cette transformation. En découle presque naturellement une recomposition dans l’organisation de l’établissement à plusieurs endroits : organisation du travail, participation des personnes, partenariat local et empreinte territoriale, débordement du champ sanitaire… Ils permettent de changer en profondeur les codes pour renouveler le contrat social avec les personnes. Même si on note que les tiers-lieux EHPAD portent une vision politique d’une autre philosophie de l’autonomie et de la vieillesse, le défi ne sera relevé qu’après avoir opéré les changements précités.

Parmi les déclencheurs, ont d’abord été abordées les transformations territoriales avec des équipements structurants sur les territoires. Les EHPADS peuvent être le lieu de création de nouvelles ressources pour les habitants, mais aussi des leviers d’intégration et de transmission culturelle pour les nouveaux arrivants. Des opportunités matérielles peuvent aussi servir de point de départ : une salle qui se libère, une aile à reconstruire, ou même une friche à investir dans la ville. L’EHPAD Tiers-Lieux pose aussi un “droit à la fragilité” qui va au-delà du grand âge et nous interpelle sur la place des personnes marginalisées dans la vie de la cité. Enfin, une ambition de changement de culture autour des métiers du soin et du lien a été nommée comme un puissant levier de passage à l’action. Il est temps de revaloriser les compétences multiples des métiers du soin, et de ne pas les cantonner à une simple vision de la prise en charge médicalisée.

Plus de 300 candidatures ont été déposées lors de l’appel à projet de la CNSA en 2022, un signe que les structures appellent de leur vœu ce changement.

Cet article est publié en Licence CC By SA afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.