Interview

Fatima Mostefaoui (Avec Nous) nous parle des tables de quartier

Avec les tables de quartiers, les habitants s’invitent au débat sur les politiques de la ville.

25 avril 2022

Les quartiers Nord de Marseille sont souvent l’objet d’un traitement médiatique stigmatisant, pourtant ils sont aussi un lieu de mobilisation des habitants, et par nécessité, d’invention démocratique. Interview de Fatima Mostefaoui, présidente de l’association Avec Nous. Un espace-temps où se renforce le pouvoir d’agir des communautés locales.

Entretien avec Fatima Mostefaoui

« Le réseau émergent des tables de quartier laisse espérer une réflexion plus large autour de la participation des quartiers populaires à la fabrique de la ville »

Comment l’association Avec Nous est-elle devenue ce que vous appelez « une fabrique des quartiers populaires » ?

Au départ, en 2007, nous nous sommes regroupés en tant que locataires du quartier des Flamants, au Nord de Marseille, pour nous faire entendre. Puis, nous avons participé à la coordination des Pas sans nous (rapport Mechmache-Bacqué), plaidant pour une participation réelle des habitants aux politiques de la ville. Dans cette idée, nous avons ouvert une fabrique numérique en 2019 au pied d’une tour dans la cité des Flamants. C’est ce fablab qui a inspiré l’expression « fabrique des quartiers populaires », car ce tiers-lieu crée une dynamique dans la cité, suscite des vocations, des reconversions. Il prouve aussi qu’un collectif de quartier peut monter et gérer un lieu au service des habitants et avec les habitants.

En 2017, vous lancez une première table de quartier à Marseille. Il en existe 20 aujourd’hui que vous co-animez avec la Fédération des centres sociaux et la Ligue de l’enseignement. Comment ce dispositif favorise-t-il la participation des quartiers populaires à la vie démocratique ?

Nous nous sommes appuyés sur le modèle développé à Montréal, l’idée est de créer un espace où les habitants d’un même quartier peuvent venir discuter de problèmes concrets de logement, d’éducation, etc., et imaginer des solutions ensemble. Dans notre contexte marseillais, il s’agit en premier lieu d’un espace de médiation entre habitants et bailleurs sociaux qui permet de réduire les problèmes de communication et qui améliore la prise en compte des habitants dans les projets de rénovation urbaine. Ensuite, les tables de quartier constituent un maillon intermédiaire entre les habitants et les conseils citoyens. En effet, ces derniers couvrent des territoires trop larges, des réalités trop diverses pour que les personnes des quartiers populaires s’y reconnaissent. En conséquence, elles n’y vont pas. Avec les tables de quartier, nous faisons remonter, de façon structurée et documentée, les difficultés mais aussi les idées de ceux qui n’ont d’habitude pas voix au chapitre.

Comment faites-vous pour les faire venir ?

Nous proposons aux habitants de venir parler d’un problème qui les concernent directement et quotidiennement pour, qu’ensemble, on puisse les aider à trouver une solution. C’est un principe d’entraide. L’autre point important, c’est de laisser les habitants gérer eux-mêmes leur table, décider du lieu de réunion, des sujets, du déroulement de la discussion. Et enfin, chacun est libre de venir, de partir, de revenir. Nous avons aussi recruté cinq animateurs, avec le financement de la préfecture des Bouches du Rhône. Ils outillent les habitants, les soutiennent dans leurs recherches ou l’élaboration de documents, collectent des témoignages auprès des habitants, par exemple sur l’insalubrité. Ils imaginent également des formats qui facilitent la participation, par exemple des cafés nocturnes pour les personnes qui ne sont libres que le soir.

Quels résultats observez-vous ?

Dans le cadre de France Relance et de la rénovation urbaine des Flamants, les tables de quartier ont obtenu la création d’un jardin thérapeutique de 600 m2, au sein duquel les anciens transmettent leur savoir sur les plantes médicinales aux autres générations. Dans cette même dynamique, les habitants des Flamants sont en train de se réapproprier une place monopolisée par le trafic de drogue, en y installant un marché bio accessible et en y faisant régulièrement des fêtes. Ensuite, des échanges commencent à se nouer entre les différentes tables de quartiers de Marseille et avec d’autres villes, comme Grenoble. Ce réseau émergent des tables de quartier laisse espérer une réflexion plus large autour de la participation des quartiers populaires à la fabrique de la ville que ce soit sur les transports, la gestion des déchets, l’alimentation, etc.

Cet article est publié en Licence CC By SA afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.