Interview

Remettre le tiers-lieu au milieu du village

30 juillet 2025

Les communes d’Arvieu, en Aveyron et de Saint-Julien-en-Born dans les Landes possèdent chacune un tiers-lieu sur leur territoire. Si le Jardin d’Arvieu célèbre ses 25 ans, La Smalah en dénombre 10. Guy Lacan et Gilles Ducout, respectivement maires d’Arvieu et de Saint-Julien-en-Born, échangent sur la création de ces lieux, la posture et le rôle des élus dans l’accompagnement de ces projets en milieu rural.

Cet article a été produit dans le cadre du partenariat Média avec Horizons Publics. Cet article est republié à partir du site d’Horizons Publics. Lire l’article original.

Comment sont nés les deux projets de tiers-lieux ?

Guy Lacan (G. L.) – Le projet est très ancien. Nous venons de fêter les 25 ans de l’arrivée de l’entreprise Laëtis. À l’origine, nous avions accueilli 5 ingénieurs dans des locaux disponibles, ils ont développé une société dans le numérique. Depuis une dizaine d’années, l’entreprise compte 20 salariés. C’est autour de cette entreprise que la communauté de communes a développé le tiers-lieu. Le coworking date de cinq ans. Un ancien couvent a été totalement réaménagé, ces locaux sont pratiquement devenus le centre de vie du village qui compte 350 habitants, 800 si l’on ajoute les 40 hameaux qu’il englobe.

Gilles Ducout (G. D.) – La genèse de La Smalah est un peu plus récente : une première association s’est créée en 2013, elle s’appelait la « Sauce Ouest ». Sa vocation consistait à soutenir les associations et entreprises locales, à créer de l’événementiel, en particulier culturel, sur le territoire. Pendant deux ans elle a réalisé des actions ponctuelles avant de devenir La Smalah en 2014. Aujourd’hui, le bâtiment privé, propriété de deux actionnaires de La Smalah, se trouve en zone d’activité économique. Il ac- cueille plusieurs auto-entreprises, des associations, et depuis 2014, un café associatif.

Qu’y trouve-t-on aujourd’hui ?

G. L. – La médiathèque — déjà présente avant que cela ne soit un tiers-lieu —, une Maison France Services (MFS), un point Poste, une salle de spectacles (entièrement rasée et reconstruite il y a sept ans). Cette salle de 120 sièges peut accueillir jusqu’à 150 personnes. On y organise des projections, des assemblées générales, des résidences artistiques, etc. Le coworking est aussi le siège d’entreprises, d’une coopérative de producteurs de lait de brebis, de l’association les Loco-motivés. Cette dernière fait le lien entre les producteurs et les consommateurs via des commandes numériques. Chaque semaine, 200 paniers d’une valeur de 40 euros sont servis, une trentaine de producteurs y participent. Cela va bien au-delà de la commune d’Arvieu.

G. D. – Dans le tiers-lieu, un espace privé, on trouve notamment une entreprise de fabrication et réhabilitation de planches de surf. Des espaces sont loués aux associations locales.

Dans la sphère publique, le café associatif offre de multiples activités à toutes les générations, l’association compte 1200 membres, alors que le village dénombre 1700 habitants. Il y a des ateliers de cuisine, d’écriture, du gaming (pour éduquer les jeunes à l’intérêt et aux risques de passer par l’outil numérique), de raccommodage, de tricot, de crochet, une chorale, des cours de dessins, des conférences, des concerts, des débats et des formations de re-mobilisation à l’accompagnement professionnel. À l’automne 2024, nous allons démarrer une formation bivouac pour les jeunes entre 18 et 29 ans, sans emploi, sans formation, en panne d’inspiration et avec le besoin de trouver un travail.

L’association exerce aussi des activités dans d’autres villages voisins, notamment à Mézos avec la fabrication d’une tiny house pour la collectivité avec des logements destinés aux saisonniers. Il y a également des ateliers de réhabilitation de matériel informatique, de mécanique, de réparation de vélos, de scooters et mobylettes. Une imprimante 3D permet de fabriquer des petites pièces. La Smalah et ses animateurs ont également lancé une formation à l’autonomie paysanne.

Avec la commune de Mimizan, La Smalah travaille également à la réhabilitation de logements dédiés aux saisonniers à travers des chantiers d’insertion. À la fabrication de tiny house, s’ajoute une formation plus théorique comprenant des cours de français et de mathématiques. C’est un petit campus rural qui, six mois dans l’année, accueille des jeunes en quête de projets d’avenir. Certains deviennent ainsi charpentiers ou encore médiateurs numériques.

Qu’est-ce qui faisait de vos communes respectives des lieux propices à l’accueil de tiers-lieux ?

G. L. – Le maire précédant voulait créer du participatif, il a associé la population aux décisions concernant le réaménagement des locaux, de la salle de spectacle et de l’ancien château devenu espace de coworking. La communauté de commune a pris en charge l’aménagement de cet espace en sachant que l’entreprise Laëtis, locataire des lieux, assurerait ensuite sa gestion : l’accueil, la tarification, l’animation et le développement du lieu. À côté de l’espace privé, une partie est restée communale : la médiathèque, la Poste, quelques salles de réunions à disposition pour tous les usages et associations. Ainsi ce lieu rassemble tout ce qui est vivant dans le village.

G. D. – J’ai été élu en 2008, dès 2010, nous avons vu apparaître dans notre village — attractif grâce à sa proximité avec le littoral — des jeunes fortement diplômés, avec l’envie de s’y implanter durablement. Ils souhaitaient rendre des services aux associations existantes et aux entreprises, apporter de l’ingénierie, travailler sur le projet culturel. Dans nos villages, éloignés des grandes villes, les élus, nous sommes quelque peu démunis face à ces thématiques… Ces jeunes ont créé une première association, la Sauce Ouest, ils ont exploré plusieurs directions pendant deux ans avant de se recentrer sur l’idée d’un tiers-lieu porté par les membres fondateurs à titre privé et d’un café associatif. Malgré notre proximité avec l’océan (8 km), nous n’avions pas de café en cœur de village. Aujourd’hui, nous essayons de créer des liens entre les habitants et le café, de faire connaitre le tiers-lieu et ses activités, ces espaces qui vivent six jours sur sept et apportent de la vie sociale.

Comment la population locale s’approprie-t-elle ces espaces ?

G. L. – À l’origine, l’entreprise Laëtis était spécialisée dans la réalisation de sites touristiques de destinations françaises. Ils ont diversifié leur activité. Ils se sont davantage orientés vers le milieu agricole, ils accompagnent dans leur développement un groupement devenu une coopérative de producteurs. Ils entretiennent également des liens avec EDF pour travailler sur la qualité de l’eau. Laëtis est reconnue comme une entreprise impactant le territoire, elle a des liens avec les commerçants, les artisans, les agriculteurs.

G. D. – Nous tentons d’accompagner les interactions : nous avons notamment créé une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) pour construire une conserverie légumerie à partir d’une production locale en circuit court.

La quasi-totalité des 1200 membres de l’association est constituée de nouveaux résidents. Ce sont plutôt des jeunes, en partie issus de villages voisins, dans la mouvance de l’économie collaborative, sociale et solidaire, intéressés par l’environnement et l’écologie. Les habitants sédentaires depuis des décennies ont plus de mal à aller vers ce lieu.

Au milieu des années 2010, nous avons créé une amicale des associations dans le village, qui, chaque samedi matin, propose un casse-croûte sur le marché aux commerçants et aux clients. Les associations, La Smalah y compris, prennent en charge ce casse-croûte à tour de rôle. La Smalah a ainsi montré sa volonté de s’intégrer aux habitudes du village.

Si cela participe à la démystification de ce lieu, quelques freins demeurent, en particulier la crainte de ce qui vient de l’extérieur et pourrait perturber les mœurs locales. Les jeunes de La Smalah ont voulu bousculer les coutumes locales avec des thématiques innovantes. Leur mode de vie interroge une catégorie de population. Pour pouvoir vivre, avec 14 salariés, ils doivent aller chercher des financements, des subventions, notamment auprès de la région Nouvelle-Aquitaine. Pour une partie de la population locale, la moins investie dans ce lieu, ce sont des jeunes qui vivent de l’argent public.

À votre avis quel doit être le rôle d’un élu dans une telle démarche ?

G. L. – Notre rôle consiste à montrer à quoi sert ce tiers-lieu et à l’accompagner. La communauté de communes paie une partie du personnel qui tourne dans les 10 communes pour faire notamment des formations dans le numérique. Le rayonnement de notre médiathèque avec 400 inscrits va largement au-delà de notre commune, il touche tout le territoire. L’objectif c’est bien de faire profiter l’ensemble des communes limitrophes ou plus éloignées de ce que nous avons à Arvieu.

Arvieu se trouve à 800 mètres d’altitude, son climat est assez rude en hiver, raison pour laquelle les nouveaux arrivants doivent pouvoir tester la vie sur place. C’est pourquoi une partie de l’ancien château, un hectare de terrain inutilisé est devenu un espace d’habitat léger, comprenant une yourte et une tiny house.

G. D. – Nous avons vendu le foncier qui accueille le tiers-lieu aux deux membres fondateurs à 23 euros le mètre carré, aujourd’hui il se négocie à 300 euros. Nous venons de racheter le café associatif, pour éviter qu’il ne soit pas vendu à un promoteur ou à un propriétaire de résidence secondaire.

Nous collaborons avec La Smalah depuis deux ans, pour que, lors des chantiers d’insertion, les tiny houses puissent être installées sur un camping municipal. Nous hébergeons leurs apprentis à tarifs très modérés dans des mobil home dont on est propriétaires, les nourrit gracieusement. Nous mettons à disposition des agents municipaux pour accompagner l’organisation de concerts.

Nous valorisons ce que fait La Smalah à travers tous nos moyens de communication, sur tous nos supports : les panneaux lumineux, le site Internet, l’application dont dispose la collectivité. Lors des événements plus formels comme la cérémonie des vœux, je valorise ce que ces jeunes font pour notre territoire.

Enfin, la collectivité a acquis des parts sociales de la SCIC pour montrer son implication dans l’accompagnement de ce projet vertueux pour le devenir de notre territoire. D’ailleurs, lors des réunions thématiques organisées par La Smalah un élu représente toujours la commune.

Après quelques années de fonctionnement, quel bilan dressez-vous ?

G. L. – Les personnes en charge de l’animation du lieu comptent beaucoup. Laëtis salarie une personne, une ancienne employée de la médiathèque. Elle fait en sorte de ne pas rester en milieu fermé, de créer du lien social.

De plus, Laëtis a répondu à plusieurs appels à projets avec des financements à la clé, le fablab a été soutenu par la région. On bénéficie régulièrement des accompagnements de la région.

G. D. – Objectivement, les activités de La Smalah se sont diversifiées, multipliées et étoffées. En tant qu’élu, je suis assez fier de ce qui se passe à cet endroit, quoi qu’en pense une partie de la population. La diversité des activités, l’implication des bénévoles, les 14 salariés, la création d’un campus rural avec des résultats observés, c’est valorisant pour les élus d’avoir à échanger sur ces thématiques au fil des années.

La difficulté que j’observe en tant qu’élu et qui est relayée par les membres fondateurs de La Smalah c’est que pour pouvoir continuer à exister, comme ils ne disposent pas de suffisamment d’autonomie financière, ils doivent se saisir de toutes les opportunités de financement, notamment des thématiques soutenues par la région Nouvelle-Aquitaine. Chaque fois qu’ils entrent dans un dispositif, ils s’approprient la thématique proposée, cela dure trois ans puis ils sont obligés de réfléchir de nouveau à leur survie, à travers l’appropriation de nouvelles directions qui leur permettront de continuer à exister tout en restant fidèles à leur ADN. Pendant quelques années, ils ont été exclusivement dédiés à la médiation numérique avec des résultats assez probants. Actuellement, nous sommes sur des chantiers d’insertion liés à l’artisanat et à la charpente. Dans les prochaines années, le volet agricole sera investi par La Smalah. Cette incertitude est pesante et elle délivre une mauvaise image. Pourtant, ils sont présents sur le territoire depuis dix ans, leur crédibilité est réelle et factuelle.

Quelles sont les réussites et quels sont les axes d’amélioration ?

G. L. – Ce qui prouve l’utilité de ce lieu, c’est son impact sur le territoire et son lien avec le milieu agricole. Les Loco-motivés fournissent 200 paniers par semaine comprenant tous types de produits, des huîtres au canard gras en passant par les légumes. Avec une trentaine de producteurs impliqués, cela va bien au-delà de la commune. Le fablab n’a pas encore trouvé un équilibre économique, il dépend d’aides pour le moment, comme beaucoup d’autres projets. La difficulté consiste à prouver que le tiers-lieu est un atout et pas une charge pour la collectivité.

G. D. – Le tiers-lieu est privé, je n’ai pas un regard très prégnant sur son mode de fonctionnement. En revanche, le café associatif en plein cœur de village, sa longévité, la diversité des activités proposées, le fait que la sphère culturelle soit présente, c’est un plus qui est loin d’être anodin pour le village. Le campus rural et la société coopérative à l’origine de la conserverie légumerie méritent d’être valorisés.

Parmi les axes d’amélioration, citons l’autonomie financière et économique. Elle est difficile à trouver. Tant que l’association sera soumise aux financements de la région pour pouvoir exister, l’incertitude perdurera sur la pérennité de son action et de sa présence même sur le territoire. L’autre axe d’amélioration consiste à démystifier ce lieu, à multiplier les interactions entre l’espace et le quotidien du village. Plusieurs initiatives ont vu le jour, mais cela peut sans doute être encore amélioré.

Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.