Dans les Hautes-Pyrénées, La Soulane, tiers-lieu artistique et artisanal perché en montagne, a porté en 2024-2025 une formation unique en son genre : « La Tela » (la toile, en langue occitane). Ce projet, financé par le programme Deffinov, a réuni des élèves du lycée professionnel Reffye à Tarbes et des étudiants de l’école de mode Casa93 Mirail à Toulouse autour d’une aventure humaine, créative et collective. Rencontre avec Sarah Langner, coordinatrice de la formation, fondatrice du bureau d’études textile responsable Marelha et administratrice de La Soulane. Cet article est le second opus de la série “Se former en tiers-lieux”, explorant les relations entre tiers-lieux et partenaires de la formation et de l’insertion.
Pouvez-vous nous raconter comment est née La Tela et ce qu’elle propose ?
L’appel à projet Deffinov semblait écrit pour nous ! Avec mon équipe de Marelha, nous sommes installés dans le tiers-lieu La Soulane, où nous avons créé un fablab textile. Nous avions envie de créer une formation qui transmette aux étudiants les enjeux du textile responsable, depuis la matière première jusqu’à la vente. L’objectif était de leur faire découvrir la filière laine locale, de les sensibiliser aux impacts environnementaux du secteur de la mode, et surtout, de leur faire vivre toutes les étapes de création d’une collection, en conditions réelles : sourcing des matériaux, transformation, création, conception, confection et vente. La Tela, c’est une formation en immersion professionnelle, qui permet de se frotter aux réalités du terrain et sortir des imaginaires classiques de la mode.
Comment s’est déroulée la formation, concrètement ?
Nous avons embarqué quatre élèves du lycée Reffye (bac pro confection-couture) et quatre étudiants de l’école de mode Casa93 Mirail (antenne toulousaine désormais fermée), mais en réalité, c’est l’ensemble de leurs classes qui a été mobilisée, grâce au tutorat en interne. Les jeunes avaient entre 15 et 23 ans. Le projet a débuté par un week-end à Lourdes, où nous avons visité un musée d’histoire pour ancrer la démarche dans les Pyrénées. Ensuite, nous avons organisé quatre sessions à La Soulane pour réaliser les différentes étapes, entrecoupées d’interventions de partenaires : le collectif Tricolor, sur la filière laine locale, Arts et Vie en couleurs, sur la teinture et sérigraphie végétale… Après la conception et la production, il y a eu la commercialisation dans une boutique éphémère à Lourdes, où nous nous sommes relayés avec les jeunes.
Quelles pièces ont été imaginées et confectionnées par les jeunes ?
Alliant modernité et patrimoine, la collection s’inspire des vêtements traditionnels pyrénéens et des contes et légendes. Elle utilise exclusivement de la laine de brebis lourdaises, une race rustique du territoire de Lourdes et se compose de sept vêtements aux coupes créatives : une cape-veste, un sweat, un pantalon, une jupe, une doudoune, un manteau et un chapeau, ainsi que des accessoires en feutre. Chaque modèle a été réalisé en petite série, à hauteur d’une cinquantaine de pièces. La confection s’est partagée entre La Soulane et les ateliers du lycée. L’expérience a nécessité beaucoup d’investissement de la part des jeunes : respect des délais, coordination logistique, vente en boutique etc. Les élèves ont ainsi découvert les réalités concrètes de la production textile.
Comment les élèves ont-ils vécu cette expérience ?
Ils ont été engagés et très enthousiastes. Pour les étudiants de Casa93, issus de milieux urbains, découvrir La Soulane, en pleine montagne, a également été une révélation. Certains ignoraient que les Pyrénées n’étaient qu’à une heure de route ! Humainement, ça a été très fort. Le groupe, dans sa diversité, a super bien fonctionné, il y avait une émulation stimulante ! In fine, les jeunes sont passés d’une vision idéalisée du secteur à une compréhension plus fine et plus engagée. En arrivant, ils rêvaient tous de créer leur marque ou de travailler chez Chanel, leur regard sur la mode a clairement évolué. Beaucoup nourrissent désormais un intérêt réel pour les filières responsables. Ils ont compris que ce n’était pas un domaine de « baba-cools ». Certains envisagent même de s’y insérer professionnellement.
Quelle suite envisagez-vous pour La Tela ?
Nous préparons une seconde édition, à la fois plus ambitieuse, car transfrontalière avec l’Espagne, et plus réaliste, avec cette fois la création d’un seul produit, pour une marque. Car j’ai pris conscience que concevoir une collection complète était excessif. Quatre écoles seront associées, en France et en Espagne (le lycée Reffye ainsi qu’une école de mode et deux écoles de céramique). La formation comportera la création d’une fibre de laine issue de races française et espagnole, et de boutons en marbre, en partenariat avec l’Atelier des Marbres de la vallée d’Aure. Le lancement est prévu pour janvier 2026 ! En attendant, les dernières pièces de La Tela sont en vente sur notre eshop.
La Tela a permis à nos élèves de plonger dans le réel, d’expérimenter un vrai processus de conception et de confection, avec un enjeu commercial. Il y a eu un stress final, avec des délais à tenir, mais ils ont réussi ! Cette formation nous a également appris à tous, élèves et professeurs, les nombreuses possibilités offertes par la laine. On ne rendait pas compte de tout ce qu’on pouvait faire en partant de ce matériau brut, la question du tri lors de la tonte, les subtilités sur les différentes qualités de la laine… Même découverte sur les teintures naturelles.
Témoignage de Caroline Daries, professeure de confection au lycée Reffye

Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.