Avec Tiers-Lieux edu, les enseignants Erwan Vappreau et Anne-Solen Gourdon se sont retrouvés propulsés dans une dynamique où chacun, à son échelle et dans des territoires différents, développe les pratiques maker à l’école et contribue à soutenir l’essor du volet éducatif dans les lieux de fabrication numérique qui le développent. Interview à deux voix sur le projet “Je fabrique …” qui invite un large public à contribuer à cette dynamique.
Dans le cadre professionnel, il n’est pas toujours évident de partager ou co-construire avec des personnes issues d’horizons variés. Participer à « je fabrique… », c’est repartir gonflé à bloc
Qu’est ce qui fait que vous vous retrouvez ensemble investis sur la coordination du dispositif « Je fabrique mon matériel pédagogique » dans vos territoires respectifs ?
[Anne-Solen] : Il me semble que nos chemins se sont croisés en 2018, à l’émergence de l’association Tiers-Lieux Edu (TL-Edu) qui favorise la collaboration entre tiers-lieux et monde de l’éducation. Nous y sommes tous bénévoles, issus d’univers différents et impliqués localement dans le secteur éducatif et/ou associatif, ce qui permet des rencontres très riches, des transferts de compétences, des collaborations et rencontres « hors cadre », inattendues et prolifiques. Comme la nôtre !
[Erwan] : En effet, et il s’est trouvé, ensemble et avec d’autres, que nous avons en commun une pratique de terrain tournée vers la dynamique de projet, la coopération et l’ouverture vers l’extérieur, et sommes dans nos univers respectifs convaincus de la richesse qu’apporte cette transversalité au service des élèves et au service de nos pratiques enseignantes. Nous touchons, à travers le forum de l’association et les événements que nous impulsons ou accompagnons, un public bien plus large d’utilisateurs occasionnels ou assidus qui deviennent contributeurs dans cette même logique de partage et de construction commune.
Qu’est-ce que “je fabrique mon matériel pédagogique” ?
[Erwan] : Cet événement initié dès octobre 2020 par TL-Edu et mené en partenariat avec France Tiers Lieux, le Réseau Français des Fablabs (RFF), le Réseau Francophone des Fablabs d’Afrique de l’Ouest (RFFAO), l’Atelier des chercheurs et les fablabs partenaires localement, invite la communauté éducative et les espaces de fabrication numérique à se mobiliser pour fabriquer et documenter sous licence ouverte la conception et les usages de matériel pédagogique de la maternelle à l’université dans un espace de fabrication numérique près de chez soi.
[Anne-Solen] : Pour ne prendre que nos deux exemples, en Corse, le projet a été intégré au **P.A.U.F. l’événement s’est déroulé sur plusieurs lieux en simultané. En 2022, ce sera une journée de fabrication asynchrone, et une demi-journée de rencontres contributives autour de la documentation, ouverte à tous les participants. En Bretagne, l’architecture de l’événement était différente.
[Erwan] : En Bretagne l’opération s’est échelonnée sur trois semaines. Elle s’est concentrée sur un fablab (La Fabrique à Amanlis) mais avec la présence d’autres acteurs de la région et des représentants de dispositifs propres à l’éducation nationale (Canopé, Interactik, My Human Kit, BrailleRap-SP…). Le jour J, rendez-vous est donné aux participants dans les lieux de fabrication. Les participants sont invités à coopérer pour fabriquer ensemble du matériel pédagogique spécifique dont ils ont besoin en classe ou en intervention, après avoir découvert les machines et la philosophie du lieu (notion de commun, le faire ensemble, l’entraide, la low tech… ).
[Anne-Solen] : Finalement, parmi les objets réalisés et documentés, on retrouve du matériel lié à la manipulation dans l’enseignement des mathématiques ou en géographie, mais pas que. Les objets et donc l’inspiration, sont à retrouver, car documentés en même temps, sur la plateforme de création d’objets à vocation pédagogique. Il n’est pas rare de voir les participants revenir finaliser leur projet au sein du lab, avec le soutien de toute la communauté maker du lieu.
Quel lien entretenez-vous professionnellement avec le monde des fablab ?
[Anne-Solen] : Le déclic pour monter notre makerspace au **L.P. a eu lieu en 2016 avec l’obtention d’un prix pour notre « parcours du patrimoine ». L’idée était d’offrir un environnement capacitant ouvert sur son environnement. C’était au moment de **Fab14 et de la création de l’association TL-Edu. C’est à ce jour le seul en son genre dans l’académie. Depuis, le réseau des fablabs insulaires s’est bien structuré et ramifié. A l’échelle de la Corse, je participe à l’animation du réseau des fablabs, et au sein de la **D.A.N.E. essentiellement par un rôle de référencement. Outre les conventions de partenariat classiques, nous « troquons » des compétences, comme une formation et un accompagnement machines en fablab contre un atelier ou un service réalisé par nos jeunes makers. En 2022 il est prévu, et c’est en soi un petit défi, que le makerspace du lycée prenne part à une édition locale de “Je fabrique” avec des partenaires associatifs et institutionnels.
[Erwan] : En écho avec ce que tu évoques, ce sont aussi des réseaux d’acteurs éducatifs fréquentés depuis de nombreuses années qui ont renforcé mon attachement à poursuivre ma réflexion. Aujourd’hui professeur des écoles je reste attaché aux pédagogies actives et aux méthodologies de projets dans le champ de la culture scientifique…. Notamment dans les projets de classe que je fais vivre dans le makerspace de ma classe, je cherche régulièrement à développer des approches transdisciplinaires intégrant progressivement de plus en plus la fabrication numérique, et la philosophe maker, j’ai été conforté dans cette voie par les rencontres faites à **Fab14 en 2018. Cela implique à la fois de chercher à développer l’équipement technique présent au sein de ma classe et de mon école, favoriser des projets associant des partenaires extérieurs d’une façon innovante, développer des problématiques qui mettent l’accent sur une posture solidaire de mes élèves au point qu’aujourd’hui ma classe se concentre sur la fabrication d’objets au service des autres. Il s’agit enfin d’avoir le souci avec les élèves de documenter et de partager ce qui est réalisé.
Pourquoi contribuez-vous au développement des opérations « Je fabrique mon matériel pédagogique » sur votre territoire ?
[Erwan] : Dans le cadre professionnel, il n’est pas toujours évident de partager ou co-construire avec des personnes issues d’horizons variés. Participer à « Je fabrique… », c’est repartir gonflé à bloc, avec le matériel que vous avez fabriqué et beaucoup d’idées dans la tête. Mais l’essentiel c’est peut-être tout simplement de créer des ponts, des passerelles entre tiers-lieux et éducation nationale, qui ont vocation à durer. Cela ne peut selon moi que favoriser l’émergence de ces pratiques, favoriser encore plus le développement de projets transversaux enrichissants sur le plan éducatif et citoyen.
[Anne-Solen] : En faisant vivre cet événement et en nous y impliquant, nous pensons contribuer à des enjeux sociétaux du XXIe siècle liés à au concept de société apprenante tournés vers le « faire ensemble » et le développement de compétences liées au numérique et à la créativité, à l’entraide et au bien commun. Autant de compétences essentielles au développement de l’individu et du citoyen, qui loin de s’opposer, entrent en résonance avec le reste. Cela a été mis en évidence plus d’une fois, et François Taddei l’exprime très clairement : “on trouve d’autant plus de sens aux apprentissages fondamentaux qu’ils ont été mobilisés de manière coopérative”. Je suis aussi attachée à l’idée de communs de la documentation : j’aime l’idée que nous contribuons à faire se rencontrer des individus autour de projets de fabrication, des personnes qui vont coopérer et documenter la démarche et le processus de réalisation tout autant que le résultat, réfléchir en expérimentant à ce que documentation (libre) veut dire, et intégrer qu’il est possible et plaisant d’y contribuer ensemble.
Cet article est publié en Licence CC By SA afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.