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Vers une connaissance partagée ?

Les tiers-lieux et le pôle Sciences en société d’INRAE

27 novembre 2025

Le pôle Sciences en société (SenS) de la direction pour la Science ouverte (Dipso) de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) vise à « soutenir le développement et la valorisation des sciences et recherches participatives ». Il accueille en son sein un volet spécifique dédié aux partenariats de recherche avec les tiers-lieux. Découverte de ce dispositif en dialogue avec Marco Barzman (ingénieur de recherche, direction pour la science ouverte, pôle Sciences en Société, INRAE) et Catherine Tailleux (ingénieure d’étude, direction pour la science ouverte, pôle Sciences en Société, INRAE).

La création en 2020 de la direction pour la science ouverte s’est faite dans un contexte national et européen de prise conscience de la nécessité d’ouvrir la science et de mettre en place des protocoles plus conformes aux souhaits et besoins du terrain. C’est ainsi qu’une équipe dédiée aux sciences et recherches participatives a vu le jour et accompagne les chercheurs désireux de porter des projets impliquant des modalités de travail différentes. Il faut noter qu’en 2016, INRA (aujourd’hui INRAE) avait remis un rapport sur les sciences participatives en France au ministère en charge de l’enseignement supérieurHoullier F. et Merilhou-Goudard, J.-B. (2016). Les sciences participatives en France. Rapport élaboré à la demande des ministres en charge de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. https://doi.org/10.15454/1.4606201248693647E12. Dans la continuité de cette logique d’ouverture et avec l’émergence du mouvement des tiers-lieux, le pôle SenS a élargi son champ d’action à ces derniers.

Concrètement, au pôle, sortir du cadre « traditionnel » de fonctionnement des équipes et des projets de recherche pour faire pour et avec la société s’est d’abord concrétisé dans des actions de partage, de diffusion de données (données ouvertes, open publishing), de formation et d’appui aux équipes, de médiation auprès de publics divers. Pour Marco Barzman de l’équipe du pôle SenS, aujourd’hui « la science ne peut plus se faire dans son coin ».

Le mouvement des tiers-lieux a fait paraître un nouvel acteur dans le paysage de la recherche participative ou recherches collégiales – terme utilisé par Dominique Desclaux, chercheuse INRAE et prix de la recherche participative 2022 pour son programme « Des semences à l’assiette »Desclaux D. (2024) Qu’apportent les sciences participatives aux pratiques de recherche Séminaire 2024 du Centre d’Alembert – Université Paris Saclay https://www.youtube.com/watch?v=6hmzXZ8EyBU. Les tiers-lieux avec leur prise directe avec le(s) terrain(s) présentent un intérêt certain pour les chercheurs. Ils peuvent être demandeurs de résultats de recherche, expérimentateurs et conduire eux-mêmes des recherches. D’ailleurs, 28% des 3 500 tiers-lieux recensés dans l’enquête de l’Observatoire des tiers-lieux de 2023 ont exprimé le souhait de développer un volet recherche-action dans leur tiers-lieux. Pour INRAE, les partenaires sont potentiellement nombreux : les tiers-lieux dit « nourriciers » (tiers-lieux tournés vers l’agriculture et/ou l’alimentation qui intéressent principalement INRAE) représentent 10% des tiers-lieux recensés et 20% du total des tiers-lieux recensés accueillent des agriculteurs ou des exploitants agricoles.

Pour mieux envisager l’action d’INRAE avec les tiers-lieux et mieux les connaître, Catherine Tailleux, qui en a la charge au sein du pôle, a commencé par aller à leur rencontre en visitant quelques tiers-lieux nourriciers de la région Occitanie qu’elle avait précédemment identifiés. Elle a aussi mis en place une veille sur la recherche en tiers-lieux et elle a participé à la première rencontre nationale des tiers-lieux : Faire tiers-lieux organisée par France Tiers-Lieux à Metz en 2022.

Elle a constaté l’absence d’outil permettant de connaître les tiers-lieux nourriciers qui souhaiteraient s’investir dans un projet de recherche, qui font ou qui pourraient faire de la recherche ainsi que la nécessité d’un espace de discussion dans lequel la relation tiers-lieux-recherche pourrait être co-construite. Depuis lors, Catherine Tailleux a contribué à la création du groupe de travail Recherche de l’Association nationale des tiers-lieux (ANTL), membre de France Tiers-Lieux, et participe aux différents projets mis en place. Ainsi, en 2023, un cycle de 3 webinaires permettait d’informer sur les différentes manières de conduire des recherches en tiers-lieux avec une session dédiée au sciences et recherches participatives et l’annuaire Recherche et Tiers-Lieux est mis en ligne en octobre 2025.

Pour Catherine Tailleux, les tiers-lieux sont « des lieux où s’inventent de nouvelles pratiques culturales, des lieux physiques, hybrides, créant des liens sociaux » qui permettent l’innovation en réponse à des besoins précis. Cependant, les tiers-lieux sont des partenaires difficiles à cerner, aucun tiers-lieu ressemblant à un autre. Mais tous présentent l’intérêt d’être ancrés sur leur territoire et d’avoir une puissance d’agir.

Si les partenariats chercheurs-tiers-lieux ne sont pas encore monnaie courante au sein d’INRAE, cela ne veut pas dire qu’ils n’existent pas. INRAE compte 12 000 personnes, le travail d’identification des projets existants et d’acculturation à considérer les tiers-lieux comme des partenaires possibles ne fait que commencer. Mais il avance : il y a maintenant des échanges avec des tiers-lieu, comme La Vigotte Lab par exemple ; et les équipes INRAE d’Avignon mènent un projet de recherche participative associant des tiers-lieux (Grab/Ferme de la Durette). D’autres pistes de développement sont envisagées comme une prise de contact avec les Boutiques des sciences hébergées dans les universités pour comparer/étudier les approches ou une connexion via les unités expérimentales d’INRAE pour leur lien avec leurs territoires.

La prise en compte des tiers-lieux dans le pôle SenS d’INRAE en est à ses débuts : la mise en lien et le faire savoir sont déjà mis en œuvre, l’essaimage et la traduction en actes seront la prochaine étape. Il reste à espérer que la baisse actuelle des moyens financiers n’entrave pas la poursuite de la mise en place de cette action au sein d’INRAE et des tiers-lieux.

Pour aller plus loin :

Lerayer P.-Y. (2024). Les tiers-lieux, espaces d’innovation pour la recherche participative https://science-ouverte.inrae.fr/fr/sciences-et-recherches-participatives-srp/les-reseaux-partenaires/les-tiers-lieux-espaces-dinnovation-pour-la-recherche-participative

Portail Science ouverte INRAE, onglet Sciences et recherches participatives (SRP) 
https://science-ouverte.inrae.fr/fr/sciences-et-recherches-participatives-srp

Illustration :
Visite au tiers-lieu la Palanquée à Sète, INRAE, 2022
Sur la photo de gauche à droite : Dominique Desclaux (Docteure en Biologie, chercheure en agronomie et génétique à INRAE) Chloé Roumy (co-responsable de l’incubateur à la palanquée) , Marc Barzman (ingénieur de recherche, direction pour la science ouverte, pôle Sciences en Société INRAE) Catherine Tailleux (Ingénieure d’étude, direction pour la science ouverte, pôle Sciences en Société INRAE), Odile Kirchner (présidente et co-fondatrice du tiers lieu la Palanquée).

Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.