De nombreux grands groupes voient un intérêt à la dynamique des tiers-lieux. Cela questionne les mutations à l’œuvre dans le travail en entreprise et la manière dont les tiers-lieux viennent questionner les modèles établis. C’est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit de l’innovation en entreprise. Rencontre avec Manuel Zacklad, directeur du laboratoire en Sciences de l’Information et de la Communication DICEN-IDF et co-auteur de « Les Labs internes : de l’innovation au design » avec Gilles Garel, Naïk Guezel Béa Arruabarrena, Anne Berthinier-Poncet.
Pouvez-vous nous présenter le programme Observatoire des labs d’innovation que vous animez ?
Le programme de recherche « Observatoire des Labs d’Innovation » est né de la collaboration initiée depuis plusieurs années entre le collectif Codesign-it et le Conservatoire National des Arts et Métiers. Il prend la suite d’une initiative de Codesign-it, le « Lab des Labs », portée par Catherine Foliot (également impliquée dans l’observatoire) et Nadège Lossouam. Les rencontres du Lab des Labs ont été très productives et ont débouché sur l’ouvrage le Lab des Labs dans lequel Greg Serikoff a aussi joué un rôle majeur. Le CNAM et Codesign-It! ont été rejoints par des partenaires publics et privés tels qu’Airbus, la Française Des Jeux, Valeo, la DITP, la préfecture d’Occitanie, celle des Pays de la Loire… L’objectif de ce programme de recherche est de comprendre l’émergence du phénomène des Labs d’innovation interne dans les grandes organisations. Il faut savoir que quasiment toutes les grandes organisations aujourd’hui, privées ou publiques, sont dotées d’un lab d’innovation. Il nous a donc semblé légitime de chercher à comprendre les effets que produisent ces lieux sur les processus d’innovation, quels sont les effets sur les organisations, les métiers…
Quelle définition donneriez-vous aux Labs d’innovation interne ?
Les Labs sont des dispositifs organisationnels qui impliquent une logique spatiale (espaces pérennes ou éphémères, équipements particuliers…), une logique événementielle (car dans ces lieux seront organisés des activités récurrentes dédiées au co-design) et enfin une logique sociale, communautaire, puisque qu’un personnel dédié à l’animation de ce lab est désigné et que ce dernier fera vivre une communauté autour de l’innovation. Les labs d’innovation ont une fonction principale : conduire l’innovation de manière différente. Le lab devient le dispositif « ressources » lorsqu’on a besoin de faire du design collaboratif.
Qu’est-ce qui les différencie les labs d’innovation des autres méthodes d’innovation traditionnelles ?
L’élément différenciant central est qu’on va associer au processus d’innovation un dispositif particulier qui, dans la terminologie proposée dans l’ouvrage « les Labs internes : de l’innovation au design », va articuler design de solutions (innovation produit, service, procédés, organisation…), le design de relations et le design de milieu. Le design de relation renvoie à l’idée d’ouverture et de recherche de modalités de coopération originales entre des acteurs qui n’ont pas l’habitude de se parler sur un mode égalitaire favorisant la créativité. Tous les acteurs – même ceux qui exercent des fonctions et des métiers très différents – peuvent s’y rencontrer, échanger et donc innover. Tous les niveaux de l’entreprise peuvent bénéficier de cette approche. Le design de milieu, quant à lui, interroge l’espace, le temps, la documentation et les équipements pour favoriser la rencontre et la créativité. L’idée est de créer un décalage avec les us et coutumes de l’entreprise pour faire sortir les usagers du cadre normal du travail et les rendre plus performants dans leurs échanges.
Accueil, co-construction, partage, exploration, animation… Les labs d’innovation partagent des valeurs communes avec les tiers lieux. Est-ce que finalement les labs s’inspirent des tiers lieux et inversement ?
Tout à fait ! De manière générale, les entreprises ont recours aux tiers lieux pour leur processus d’innovation externe. Souvent, les labs d’innovation sont connectés à des tiers lieux, essentiellement des fablabs parfois dans un même territoire. Ces lieux partagent la même ambition de transversalité, d’ouverture, d’innovation. Le lab interne, d’une certaine façon, va reproduire certaines caractéristiques du tiers lieu, à la différence près qu’il est réservé à la communauté de l’entreprise. Des acteurs externes à l’entreprise sont parfois invités, bien évidemment, mais disons que ces invitations font l’objet d’un protocole spécifique à la différence des tiers lieux qui se caractérisent par un accueil inconditionnel. D’une certaine façon, les labs internes peuvent être vus comme des tiers lieux internes de l’entreprise !
Cet article est publié en Licence CC By SA afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.