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Vers un BTP plus écologique : les tiers-lieux,  propulseurs de l’éco-construction ?

Décryptage des initiatives en écoconstruction du tiers-lieu Le Sonneur en Dordogne

13 janvier 2025

Les tiers lieux, en tant qu’innovateurs dans les sphères du travailler autrement, des dynamiques coopératives ou encore de gouvernance à tendance horizontale, promeuvent des intentions récurrentes autour de la transition écologique. En miroir, la sphère politique entend faire des tiers-lieux des pivots de la transition. Dans cette perspective, la transition écologique est devenue un item incontournable dans les dossiers de financement des tiers-lieux. Pour autant, chaque tiers-lieu est unique et propose une spécificité née des richesses de ses fondateurs et usagers, de son lieu d’implantation, de sa branche principale d’activité. Le Sonneur a choisi de se spécialiser sur l’éco-construction et l’éco-habitat : construire, puis habiter et travailler tous ensemble dans le respect du vivant. Cet article écrit à quatre mains par deux travailleuses du Sonneur compose un retour d’expérience sur les initiatives du tiers-lieu autour de l’écoconstruction, en décrypte les itérations et oeuvre à identifier bonnes pratiques, conditions de réussite et points de vigilance au travers d’une question en fil rouge : peut-on s’appuyer sur les tiers-lieux pour opérer la transition écologique dans le secteur des BTP ? Le récit d’une trajectoire, depuis le cas situé du Sonneur, au service de deux ambitions de l’Observatoire des Tiers-Lieux : d’une part se faire la chambre d’écho de la parole de praticiens et praticiennes, de l’autre dépasser les éléments de langage pour décrypter, de plain-pied dans le réel, des expérimentations, dans leurs réussites comme dans leurs échecs, leurs lignes de crête et leur paradoxes et donner à lire la complexité du mouvement tiers-lieu.

L’écoconstruction : un seul vocable, mille métiers

Une première version du projet d’activité du Sonneur s’est construite en janvier 2020 en “jumelage” avec une association partenaire, Ecopéli (écocentre du Périgord-Limousin), organisme de formation en écoconstruction, agréé Qualiopi, et fournisseur de services de maîtrise d’oeuvre et conseils en architecture. Les deux associations ont partagé un lieu, et mutualisé des moyens jusqu’en 2023, année de cessation d’activité d’Ecopéli.

Murs en paille, enduits terre et chaux, bioclimatisme, assainissement écologique, autonomie énergétique… Jusqu’en 2023, l’éco-construction est la marque de fabrique du Sonneur, notre valeur ajoutée, qui permet aux autres activités de s’arrimer au vaisseau amiral : coworking, offre culturelle, animation jeunesse…

L’éco-construction regroupe l’ensemble des outils, des savoir-faire et des ressources du BTP qui permettent de respecter les occupants, de préserver et de régénérer l’environnement. On peut inclure dans cette démarche toutes les étapes de conception, de construction, d’entretien et de démontage. L’écoconstruction se démarque en ce qu’elle impose une vision holistique et, disons-le, un catalogue pléthorique.  Le Sonneur a donc fait le choix de décliner systématiquement son offre en suivant les besoins identifiés. De la sensibilisation à l’accompagnement personnalisé des projets, chaque item est une pièce du puzzle qui constitue l’action du Sonneur.  

Sensibiliser

La préservation de l’environnement et la transition écologique n’ont pas encore convaincu tout le monde de leur utilité. Comme de nombreux tiers-lieux, de tous les horizons et de tous les territoires, le Sonneur veut faire sa part de la mission de sensibilisation. Sensibiliser commence à la porte d’entrée, par l’accueil de tous les publics, invités ou de passage, au sein du bâtiment qui héberge le tiers-lieu.

Censée accueillir à l’origine un centre de formation, la construction de 600 m2 est atypique et affiche une intention d’expérimentation des techniques de construction et d’occupation écologique. Le lieu porte donc en étendard le design à visée écologique. Il est le fer de lance de l’activité : un bâtiment relativement récent, conçu selon les principes du bioclimatisme, presque uniquement en matériaux écologiques. Le système de chauffage à plaquettes de bois est novateur, les toilettes sèches sont adaptées à un bâtiment recevant du public. Une phytoépuration et une toiture végétalisée complètent le tableau. 

C’est dans ce berceau pionnier que l’activité de sensibilisation auprès du public se déploie. Ainsi, en plus des nombreux visiteurs, l’équipe accueille par exemple des groupes scolaires sur des thèmes très variés allant de l’autonomie en énergie au design en permaculture.  Particuliers comme professionnels en visite abordent donc l’écoconstruction et l’écohabitat par un exemple concret : une expérience utilisateur sensible, en direct et sans intermédiaire. En considérant le bâtiment comme le témoin d’une culture alternative du bâtissage, on peut considérer que le tiers-lieu a embrassé son rôle de médiateur culturel.

Mutualiser 

Naturellement, le chantier de la transition est colossal, mais les solutions existent et nous sommes des milliers, des millions à y travailler déjà. Mutualiser tous ces savoirs est l’enjeu du centre de ressources développé au Sonneur. 

Ainsi, le tiers-lieu entretient un fond documentaire composé d’essais, de manuels, de documentation technique et de ressources numériques. Point de départ historique du projet de tiers-lieu, ce centre de ressources est un volet d’activité charnière, gourmand en investissements humains et matériels. Le catalogue de la bibliothèque couvre tous les thèmes de la transition : santé et alimentation, éducation et relations humaines, écologie et économie… En miroir, une matériauthèque présente des échantillons de matériaux de construction avec leurs caractéristiques techniques. Les experts d’Ecopéli s’en servent pour conseiller les porteurs de projet de construction. Les visiteurs peuvent toucher les matériaux et lire les cartouches explicatives ; et les stagiaires peuvent élargir leurs apprentissages.

Dernière pierre à l’édifice : la ludothèque, qui permet de construire des mondes imaginaires, sources d’inspirations du monde réel. Au Sonneur, on considère que le fait de jouer a, entre autres vertus, la capacité de pacifier les relations, de développer le sens de la résilience, ou celui de la confiance en soi et en son prochain. 

Faciliter 

Une fois qu’un lieu attire les visiteurs et les mobilise sur un besoin partagé, il se produit un phénomène “d’agora” (à rapprocher du phénomène de “tribus” théorisé par S. Gaudin – Tribes, 2008 – bien que le terme nous paraît maladroit). Au Sonneur, on observe que des groupes d’usagers se constituent en cercle informels, poursuivant et entretenant la dynamique de mutualisation. 

Des électrons libres se fixent au Sonneur car ils y trouvent des ressources et un toit : une agora, dans laquelle tenir leur rencontres et centraliser leurs échanges et leurs ressources. Cet appétit pour la mise en commun s’incorpore progressivement jusqu’à devenir un nouvel ADN. Il ne s’agit plus simplement de bibliothèque, de coworking, de stages ou de matériel commun : les usagers s’unissent pour répondre à leurs problématiques, et mobilisent le tiers-lieu pour les soutenir dans leur recherche de solutions.

Pour illustrer ce phénomène, prenons l’exemple du groupe des “rencontres en autoconstruction” qui s’est tenu en 2023. Attirés par le bâtiment, intéressés par le fonds documentaire, des porteurs de projets, essentiellement des particuliers, se sont rencontrés sur place. Puis, avec la facilitation de deux architectes spécialisées d’ECOPELI, ils se sont réunis pour échanger  sur leurs projets respectifs et apprendre ensemble : retours d’expériences, questions, mais également “bons plans” en achats de matériaux et partage des meilleurs contacts d’artisans…

Certains de ces artisans font partie d’un autre groupe, le “café des indépendants”, qui se réunit mensuellement au Sonneur. Ils y parlent de leur actualité professionnelle, cherchent à rompre leur isolement en tant que chefs d’entreprise, à monter en compétences de gestion, ou simplement à prendre le pouls du tissu économique local. Là encore, des synergies se créent, et le phénomène d’agora porte ses fruits.

Ces deux exemples montrent que le Sonneur assure un rôle de facilitateur en éco-construction, qui suit la définition de Wikipedia : « la facilitation peut être vue comme un ensemble de fonctions dynamiques qui sont exécutées avant, pendant et après une rencontre pour aider un groupe à atteindre ses objectifs ». Ainsi, le Sonneur accueille les visiteurs, centralise les ressources et collecte les besoins de son territoire. Il sollicite ensuite ses parties prenantes pour organiser la réponse aux besoins s’articulant autour de questions écologiques. 

Former

Pour favoriser la diffusion des savoir-faire en éco-construction, offrir un environnement qui garantit les 4 piliers de l’apprentissage (cf travaux de S. Dehaene) est capital. A cet effet, le centre de ressources et la facilitation stimulent l’attention et favorisent la consolidation, mais ils ne suffisent pas. Pour assurer un engagement actif des stagiaires, et permettre le retour sur erreur, il est incontournable de proposer des opportunités d’ateliers d’application pratique, sur chantier réel ou école, et en toute sécurité. 

Dès les premières années, le binôme tiers-lieu/Ecopéli s’appuie sur l’agrément Organisme de Formation et le label Qualiopi d’Ecopéli pour proposer tout un éventail de formations au sens large : de l’atelier d’initiation des scolaires sur la construction en terre crue, en passant par des chantiers de sensibilisation pour des jeunes en insertion, des stages pratiques sur les enduits de finition, des stages de permaculture pratique, jusqu’à la formation certifiante PROPAILLE. En tout, entre janvier 2022 et juillet 2023, environ 400 personnes ont bénéficié de ces interventions. Sur cette période, quelques 70 journées de formation professionnelle et d’action de sensibilisation ont été dispensées. 

Accompagner

Pour écoconstruire ou écorénover, les porteurs de projets qui contactent Le Sonneur et Ecopéli font part de leur besoin d’être accompagnés par des professionnels. Pour eux, la qualité de l’accompagnement fait la différence entre un projet “greenwashé” et un projet respecté, véritablement écoconçu, résilient, respectueux de l’environnement et des habitants. Ecopéli est alors dans son cœur de métier, assurant les contenus de formation, la maîtrise d’œuvre, et le conseil en architecture. Le tiers-lieu s’assure de fluidifier la gestion de projet, en remplissant les fonctions supports pour Ecopéli (contractualisation, logistique, communication).

Ainsi, le partenariat entre le Sonneur et Ecopéli a permis de mettre en place une dynamique qui a sans conteste œuvré au développement de l’éco-construction, en diffusant des savoirs, en rassemblant des professionnels de l’éco-construction, en les mettant en relation avec des porteurs de projets, en formant et en accompagnant ces différentes personnes. Malgré cette réussite, le partenariat s’est arrêté en 2023…

Anatomie d’une chute (prévisible)

Et pourtant… En 2023, l’aventure s’est effondrée brutalement mais pas sans signes annonciateurs. Difficultés financières, difficultés avec le bâti, difficultés de gouvernance… malheureusement, il y a un moment où, percé de part en part par les récifs, le bateau finit par couler. Le décès brutal de  Jean-Luc Fraux, qui cumulait la casquette de directeur salarié d’Ecopéli et de trésorier du tiers-lieu, a, notamment, précipité la chute. L’épreuve humaine que cette disparition a représenté et le déséquilibre soudain qu’il a provoqué dans les deux structures, ont eu raison d’Ecopéli et par conséquent du Sonneur tel qu’il s’était développé… Ecopéli a été placée en liquidation judiciaire à l’été 2023 et le Sonneur a dû effectuer un virage sec pour assurer sa survie : déménagement et restructuration complète.

Le sort du Sonneur et d’Ecopéli, avec toutes ses spécificités, n’est cependant pas un cas unique dans le panorama associatif ni dans celui des tiers-lieux. En premier lieu, la construction de projets de tiers-lieux est très dense, très impliquante. On a « la tête dans le guidon », tout va si vite qu’on oublie de s’astreindre à des temps d’analyse, de réflexivité. Pour se relever, il faut savoir ce qui nous a fait tomber, qu’il s’agisse des écueils habituels ou de ceux propres à l’écoconstruction. Le temps est venu de les regarder sereinement en face. 

“To be or not to be” une association loi 1901 ?

Le BTP, comme la formation, est un secteur d’activité risqué, financièrement et humainement. Il faut à la fois disposer de beaucoup de temps de main d’œuvre, mais aussi d’un niveau de compétence élevé en matière de gestion de projet et d’administration d’entreprise. 

Travailler en modèle associatif permet d’associer/faire cohabiter différents profils : bénévoles, salariés, adhérents et de valoriser des compétences et des énergies variées… En corollaire, cet atout multiplie le risque de rater l’harmonisation de son action, même quand le système de prise de décision tient la route. La répartition de ces compétences et des responsabilités est souvent maladroite ou inégale, la plupart du temps mal définie.

Qui est alors le vrai responsable quand le projet déraille ? Les administrateurs élus, mal formés au leadership, à la fonction employeur, à la stratégie, mal informés des risques inhérents à leur position d’élus ? Les salariés, aux fiches de postes gargantuesques, sans direction identifiable, sans légitimité décisionnelle ? Les adhérents, qui n’ont qu’un quart des informations et peu d’opportunités d’intervenir ?

Dans le cas du duo tiers-lieu / Ecopéli, il faut mettre l’affect de côté et faire un constat sans détour : le travail de consolidation du financement, d’ancrage politique, d’aiguillage stratégique n’a jamais été sérieusement pris en charge. Dans une tourmente relationnelle et de choix stratégiques cruciaux, les administrateurs des deux associations ont démissionné, laissant les salariés sans interlocuteur et avec une charge de responsabilité inappropriée.

Point de salut sans notoriété

Pour l’utilisateur en quête de ressources sur l’écoconstruction, qu’il soit local ou éloigné sur le territoire, l’essentiel est d’y voir clair avant de se déplacer. Qui fait quoi ? A quoi m’attendre une fois sur place ? Est-ce que ce sera bon marché ou haut de gamme ? Autant de questions auxquelles Le Sonneur, dans sa version initiale (version 1.0 ci-après), n’a pas réussi à construire de réponse limpide.

Le Sonneur occupait un bâtiment associé à une marque reconnaissable “Ecocentre du Périgord Limousin”, lui-même sur le domaine d’un éco-hameau aussi appelé éco-lieu. Pendant environ 5 ans, cet écocentre a fourni formations et conseils en écoconstruction, avant de déposer le bilan et de renaître sous le nom Ecopéli. La notoriété de ces deux noms, porteuse au niveau national mais relative voire négative au niveau local, était un frein majeur pour le rayonnement du Sonneur 1.0. 

Comme on le devine, la multiplication des vocables portait elle aussi à confusion : les bénévoles eux-mêmes avaient parfois du mal à expliquer qui faisait quoi entre tiers-lieu, écocentre, éco-hameau, éco-lieu, Sonneur, Ecopéli, etc. Enfin, la démocratisation récente du mot “tiers-lieu”, couvrant une multiplicité d’usages et donc difficile à définir sans équivoque, n’a pas aidé à dissiper la confusion. 

L’enseignement à tirer de cette expérience relève par conséquent du marketing. Il ne suffit pas de changer de nom pour effacer une réputation.

Dimensionner l’offre en fonction du besoin réel

En écoconstruction comme dans tous les champs de compétences, la réussite d’une offre de formation relève à la fois de la qualité du contenu, du caractère innovant de l’approche pédagogique et de la qualité des conditions d’accueil. Négliger l’un ou l’autre aspect affaiblit nécessairement le nombre de participants, quel que soit le prix de la formation.

Au Sonneur 1.0, la mise en place de formations longues signifiait l’accueil de stagiaires, sur plusieurs nuitées. Notre bâtiment amiral, bien qu’immense, ne disposait pas des équipements nécessaires : pas de chambres, pas de dortoir, pas de douches, pas de cuisine de collectivité. Nous étions locataires, donc les possibilités d’adaptation des lieux étaient très fortement limitées. 

Cela a eu au moins deux conséquences : celle de freiner significativement le nombre d’inscrits à chaque session, et celle d’amputer les ressources du Sonneur. En plus de la charge de travail pour vendre, puis organiser, une partie importante du chiffre d’affaires généré était immédiatement aspirée dans des dépenses d’externalisation de ces fonctions, déjà coûteuses par nature.

La charge foncière 

Les tiers-lieux ont semble-t-il presque toujours des problèmes de place. Soit c’est trop petit, soit c’est trop grand : friches, bâtiments classés à restaurer, par exemple. Par rapport à certains tiers-lieux (nous pensons aux Usines à Ligugé dans la Vienne, à Main d’œuvres à Saint-Ouen ou à la Minoterie à Gardouch en Haute-Garonne), l’écocentre est modeste. Par rapport à bien d’autres, il est gigantesque.  On sait quel poids peut représenter le bâti pour des structures dont l’équilibre économique est fragile. Dans notre cas, la surface du bâtiment et son caractère expérimental ont déséquilibré la balance. Au cours de l’aventure, nous sommes passés, sans l’avoir assez anticipé, du statut « outil de travail à valoriser » à « bâtiment à restaurer pour pouvoir l’utiliser». De démonstratif et exemplaire, le bâtiment devient le contre-exemple, d’outil il devient obstacle.

D’un point de vue purement pratique, l’occupation de l’écocentre a fini par être impossible. En effet, celui-ci a été construit avec les techniques anciennes, en partie oubliées, mêlées à des techniques nouvelles encore en rodage. L’entretien d’une telle construction, déjà délabrée malgré sa relative jeunesse, était donc un chantier herculéen, pour lequel nous n’avions pas capacité à agir en tant que locataires, non plus que le volume de bénévoles ou de stagiaires pour intervenir sans participation financière des propriétaires. Malgré l’étude par une foncière solidaire, le projet de rachat par le tiers-lieu n’a pas abouti.

Cela rappelle donc qu’il ne suffit pas d’avoir la compétence et les bénévoles pour éco-construire. Sans titre de propriété, les associations n’ont qu’une chance infime de réussir à trouver du financement. Il n’existe d’ailleurs pas de subvention sur le gros œuvre quand on est une association locataire. L’accès aux emprunts est conditionné à la capacité à garantir des retours sur investissement et une rentabilité élevée.

La bataille pour la trésorerie ne fait pas de prisonnier

Entre autres particularités des tiers-lieux, le caractère hybride de leur financement est à double tranchant. Leur rôle d’animation de territoire, voire souvent de relais de service public, est en grande partie financé par des subventions. Cependant, l’impératif d’autonomie (partielle) mobilise les équipes sur des questions récurrentes de trésorerie, et ces mêmes équipes, occupées à générer de l’activité, à maintenir une accessibilité « solidaire », à travailler les partenariats de territoire, s’épuisent à se battre sur tous les fronts.

Dépendant des subventions, de salariés ou de bénévoles à tout-faire et surchargés, dépendants eux-mêmes les uns des autres, les structures associatives vivent sur un modèle économique précaire et il suffit qu’un partenaire trébuche pour que l’ensemble s’écroule. La démultiplication des structures est alors autant une force qu’un facteur de risque : deux associations, c’est deux trésoreries à entretenir.

L’écoconstruction rencontre la même problématique que le BTP traditionnel. A moins d’avoir atteint l’envergure d’une grande entreprise, les sommes en circulation (avance de matériaux, délais de paiement des clients…) sont rapidement trop importantes par rapport à la rentabilité, que ce soit pour de la formation ou pour de la conduite de chantier. Cela s’explique par le coût de la masse salariale – on ne paiera jamais un bon architecte ou un bon formateur au SMIC – et par celui des immobilisations – matériaux, outillage, maquettes-écoles, etc.

Une fois déstabilisées, les petites structures comme les nôtres n’ont que peu de chances de redresser la barre de la trésorerie.

Le cas particulier du marché de la formation en France.

La formation a subi des mutations radicales ces dernières années. Chaque fois que le législateur modifie les conditions d’attribution des financements, le marché privé se trouve modifié en profondeur. En schématisant à l’extrême, on peut considérer que la loi sur le CPF de 2014 a permis de développer en masse l’offre de formation en écoconstruction ; et que cette dynamique s’est arrêtée brutalement avec la nouvelle obligation de certification Qualiopi (2022), et la refonte du catalogue des certifications (2023).

Ce qui devait permettre la transmission à grande vitesse des savoir-faire les plus innovants, s’est transformé en amer mirage. C’est l’exemple des fonds CPF : pour être éligible, il n’y a plus que deux solutions. Soit il faut des épaules très larges pour absorber le coût et les risques liés au développement de sa certification. Soit on achète la certification d’un autre organisme et on perd intégralement la main sur le programme de formation, perdant au passage la possibilité d’enseigner notre savoir propre.

Ce qui faisait la singularité du Sonneur, son positionnement, a été consommé dans la disparition d’Ecopéli et le départ du bâtiment “écocentre”. Le tiers-lieu s’est aujourd’hui réorienté, comme nous le verrons plus bas.

(Ré)inventer l’offre d’un tiers-lieu en matière d’écobâtissage

Nous voyons sur le terrain que l’écoconstruction n’est pas une mode mais une mutation culturelle. Nous sommes convaincus que ce qu’elle a d’alternatif ou de bousculant aujourd’hui sera regardé comme du simple bon sens avant la fin du siècle.

Comment participer à cette nécessaire révolution des BTP ? Comment faire en sorte que notre offre soit pertinente, à la fois accordée au besoin de la société, et alignée sur notre nature et nos circonstances de tiers-lieux ?

Pour ce qui est du Sonneur, à l’issue de l’été 2023, Ecopeli a été mise en liquidation et le tiers-lieu a déménagé. On ne pouvait pas changer plus radicalement de cadre. Hormis le code postal, tout est différent : le local fait 60m² et plus 600, il appartient à une collectivité et plus à un privé, il est tout sauf écologique, et à ce stade, il coûte beaucoup moins cher. C’est là que le tiers-lieu va pouvoir se réinventer, se restructurer et calibrer son offre (voir notes de bas de page).

Nous n’avons plus de lieu de démonstration. Nous n’avons plus d’architectes, plus d’artisans, plus de certification Qualiopi. Le rayon écoconstruction de la bibliothèque est presque vide. Il n’y a plus de matériauthèque. Le groupe des auto-rénovants s’est dissout.  Ce que nous avons encore, c’est le savoir-faire en facilitation, nos adhérents et abonnés sur les réseaux, le répertoire de formateurs, et les contacts privilégiés dans le monde du livre. Ce que nous avons de nouveau, grâce au renouvellement du conseil d’administration, ce sont des compétences en éducation populaire, en numérique et en communication multimédia. Voyons voir ce que le (nouveau) Sonneur peut faire avec tout ça, dans ses nouveaux locaux.  

L’écoconstruction dans les tiers-lieux, pourquoi faut-il continuer ?

Le BTP est un secteur d’activité dont les effets se voient beaucoup, au sens littéral, puisqu’il modifie visuellement notre paysage. Chaque discussion, chaque livre, chaque personne formée, chaque chantier en éco-construction est visible et peut faire pencher la balance du bon côté.

Si l’on est tiers-lieu en écoconstruction, où se situe la valeur ajoutée unique que nous pouvons apporter ? Il faut l’affirmer : les tiers-lieux sont des lieux d’accueil, d’expérimentation et de témoignage.

Accueillir : d’un centre de ressources, devenir un centre de besoins

Pour écobâtir et écohabiter, nous avons collectivement des besoins variés qui vont du groupe d’entraide à l’habitologie, du choix des matériaux à la conception en architecture, et ainsi de suite. Il existe nombre de corps de métiers qui offrent des ressources, répondant déjà aux besoins : artisans, architectes, influenceurs, conférenciers, experts et expertes de tous les horizons.

Les usagers sont désormais relativement sensibilisés, pour une part assez large d’entre eux. Plus qu’un centre de ressources, les usagers pourraient pousser la porte des tiers-lieux spécialistes et s’attendre à y trouver de l’accueil pour leur besoin. En d’autres mots : Et si notre place était à rapprocher de celle d’un office de tourisme, d’un syndicat d’initiatives de l’écoconstruction et de la transition ? 

Au Sonneur 2.0, l’enjeu va être de retrouver un effet d’agora. Sur place, nous avons renforcé le fonds documentaire. L’accès à l’espace de convivialité est offert à toutes les initiatives citoyennes qui ont besoin d’un toit pour se réunir. 

Priorité est donnée aux groupes autogérés d’échanges et d’entraide, débordant la thématique seule de l’écohabitat. La transversalité de nos actions doit être cultivée, parce que nos usagers ne se cantonnent pas à la seule écoconstruction quand ils viennent nous voir. Nous sommes convaincus que nos façons d’habiter et de faire société transitionneront si nos efforts convergent, dans tous les domaines de nos vies.

Faciliter l’expérimentation… 

Grâce au tissu d’initiatives en sensibilisation qui se développent partout, les tiers-lieux peuvent choisir de se concentrer sur la diffusion de savoir-faire et de connaissances plus pointues. Le marché de la formation est devenu risqué pour les petites structures, mais il reste un élément incontournable, la clé si nous voulons que l’éco-construction se hisse au rang de norme.

Par ailleurs, il y a besoin d’un espace d’expérimentation, pour apprendre entre pairs, et surtout pour se tromper en toute sécurité. Les tiers-lieux peuvent créer cet espace grâce à leurs compétences en facilitation, telle que définie plus haut, et grâce à leur sensibilité pour l’andragogie, la ludopédagogie, les pédagogies dites “nouvelles” ou encore l’éducation populaire.

Au Sonneur, la mise en réseau, l’ouverture vers l’extérieur passe du rang de la nécessité à celui de principe : la mise en place de stages, formations ou chantiers participatifs se fera en partenariat avec les contacts (re)noués, les besoins locaux, les innovations, les ressources des autres tiers-lieux, y compris dans les autres tiers-lieux.

Le principe d’action essentiel dans cette nouvelle démarche est que toute action mise en place doit être réplicable. Répétons ce qui marche sur d’autres sites et dans les autres tiers-lieux, puisqu’ils ne sont pas en concurrence mais en réseau.

Témoigner

L’écoconstruction a plein de choses à dire, il faut qu’elle soit audible. En tant qu’agoras, les tiers-lieux ont de quoi devenir ses porte-paroles. À partir du terrain, ils peuvent documenter les pratiques et faire progresser leur visibilité.

L’exercice de la production de savoirs rejoint celui de la communication, un autre impératif que rencontrent toutes les structures qui doivent se financer. On peut regretter que l’économie de l’attention invisibilise les initiatives qui prennent du temps, comme le progrès social et environnemental. Puis on peut l’utiliser pour participer à aiguiller la transition vers une économie de la régénération. Le Sonneur 2.0 a repris des couleurs de tiers-lieu généraliste. Il se définit aujourd’hui non plus comme expert en écoconstruction, mais comme expert en diffusion de savoirs techniques et tirés de notre expérience collective. Pour cela, nous nous appuierons sur la Revue du Sonneur, média de collecte, de rédaction et de publication d’articles rédigés par nos utilis’acteurs. La présence sur les réseaux doit s’amplifier, tirons-en partie pour promouvoir l’avenir et l’environnement.

Pour conclure : s’il est question de savoir si les tiers-lieux sont capables de faire mûrir l’écoconstruction, la réponse est clairement oui. En pratique, il est vital de prendre en compte toutes les données de ce secteur spécifique. Le modèle généraliste avec spécialisation tel que nous l’avions imaginé était certainement trop vaste et ambitieux. Chaque tiers-lieu doit s’attacher à définir, préciser ses missions et leur mise en œuvre, et rester aussi concentré qu’un funambule sur son fil pour les réaliser sans trébucher.

*Nous profitons de la rédaction de cet article pour remercier le Dispositif Local d’Accompagnement de la région Nouvelle-Aquitaine et l’accompagnement dont l’équipe a pu bénéficier pour ordonner, clarifier et écrire ce nouveau Sonneur 2.0.

Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.