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Banques et investisseurs : comment améliorer l’accès aux financements pour les tiers-lieux ?

Vers un dialogue plus fertile entre financeurs et porteurs de projets

26 juin 2025

Cette conférence a abordé de front un enjeu majeur pour les porteurs de projets de tiers-lieux : leur accès à l’emprunt et à l’investissement. Pour financer la création ou le développement de leur projet, nombreux sont ceux à s’y intéresser. Mais le manque d’accès à l’information reste un frein et rares sont les espaces pour échanger entre acteurs bancaires et investisseurs et porteurs de projets de tiers-lieux sur le sujet. Intervenants : Antoine Baudrit (Banque des Territoires), Simon Ducoffe (La NEF), Véronique Gomez (Crédit Coopératif) ; Animation : Charlotte Lestienne (France Tiers-Lieux).

En 2017, le propriétaire du site historique des Imaginations Fertiles, à Toulouse, annonce sa mise en vente. Le tiers-lieu, qui ouvrait depuis 2013 ses 3900 m2 aux acteurs de l’ESS, aux artisans et aux citoyens, doit déménager. L’équipe lance alors une étude de faisabilité dans le quartier du Mirail, au sud de la ville rose, et annonce en mars 2020 sur ses réseaux sociaux : « Les Imaginations Fertiles déménagent ». Il aura fallu trois ans au projet pour voir le jour. Trois ans, aussi, pour mobiliser les moyens nécessaires à sa réalisation. Car si la puissance publique a soutenu le projet dès l’identification du nouveau lieu, en 2017, il restait à convaincre des financeurs et de fait, le développement d’un tiers-lieu dans un bâtiment d’exception relève de la gageure. Plusieurs banques et investisseurs ont pourtant décidé de soutenir Les Imaginations Fertiles et les derniers travaux ont abouti en 2022.

Pour beaucoup de tiers-lieux, l’enjeu foncier reste majeur. L’acquisition est à la fois un levier dans l’accès aux financements – pour assurer la pérennité d’un projet et rassurer sur la capacité de remboursement de son porteur – et un frein pour le développement du projet – alors contraint de changer d’échelle dans son modèle économique et son impact. Le sujet est au coeur des échanges d’un groupe de travail dédié au sein de l’Association Nationale des Tiers-Lieux. Ce même groupe de travail a collaboré à la réalisation d’un guide pour accompagner les acteurs bancaires dans une meilleure compréhension des modèles tiers-lieux et faire monter en compétence les porteurs de projet de tiers-lieux sur le sujet des financements bancaires.

Pourquoi financer les tiers-lieux ?

Les trois banques affirment leur soutien auprès des tiers-lieux. Du côté de La Nef, « c’est important pour accompagner la transition. On veut montrer les alternatives possibles » souligne Simon Ducoffe, délégué régional sud de la France. La Nef a publié un article sur son site pour expliciter ses liens aux tiers-lieux. L’engagement est affinitaire, y est-il expliqué : parmi le « bon nombre de valeurs partagées avec ces projets » il y a « leurs visions collectives », « une gouvernance partagée » et « l’expérimentation et le développement ». La Loco, dans le Finistère, L’Écrevis, en Haute-Savoie ou Les Enfants Terribles dans le Nord font partie des 23 tiers-lieux financés par la Nef en 2023. En majorité, le montant apporté – sur un total de près de 170 millions d’euros à destination de 529 projets, tiers-lieux compris, sur l’année 2023 – permet de soutenir la création de projets. C’est « le caractère de résilience et d’innovation dans les tiers-lieux » qui intéresse la Banque des Territoires. Cette dimension, ouverte sur « l’invention des modèles de demain », « résonne avec nos piliers stratégiques : la transition écologique et la cohésion sociale et territoriale », explique Antoine Baudrit, investisseur à impact sur les thématiques de l’ESS et les tiers-lieux à la Banque des Territoires. En finançant des tiers-lieux, l’objectif de cette direction de la Caisse des dépôts est de financer l’impact, d’où son intérêt, par ailleurs, à soutenir des outils comme Commune Mesure pour en évaluer la portée.

Au Crédit Coopératif, l’accent est mis sur « la transformation des territoires », appuie Véronique Gomez, experte du secteur culturel au sein de la structure. Les tiers-lieux s’inscrivent pleinement dans le cadre des projets accompagnés par le Crédit Coopératif en cela qu’ils permettent « d’apporter des solutions utiles à la construction d’une autre économie ». Mais « la connaissance des clients étant le levier de coopération majeur », le modèle hybride des tiers-lieux peut être un frein.

Des modèles complexes

Dans le cas du prêt, confirme Véronique Gomez, « la banque doit pouvoir voir la viabilité du modèle économique et comment le projet va dégager suffisamment de capacité d’autofinancement pour le rembourser ». Antoine Baudrit va dans le même sens : « On veut voir détaillées les zones de risque, on veut savoir si le modèle économique est solide et crédible ». Mais les porteurs de projets font face à des difficultés, rappelle Stéphane Singer, chargé de développement au 23 Anères (Hautes-Pyrénées), dues à la nature même des tiers-lieux. Le projet – 20 logements, dont 18 logements sociaux, et un tiers-lieu de 300 m2 pour accueillir une programmation diverse – a besoin d’un prêt pour son développement. « On veut bien financer nos logements sociaux, mais seulement en cas d’agrément HLM, ou bien seulement notre tiers-lieu, mais pas les logements … C’est très compliqué et pourtant, le fait de proposer plusieurs usages d’un même lieu, c’est ça qui démultiplie les impacts.

Alors que fait-on ? » La complexité est ce qui, justement, fait la richesse des tiers-lieux. Leur capacité à apporter de nouvelles réponses à des problématiques bien identifiées – la fermeture d’équipements publics, le manque d’accès à la formation ou la précarité sociale, pour n’en citer que quelques-uns – émane en partie de l’hybridité de leur modèle. Or non seulement la construction des modèles économiques des tiers-lieux est complexe pour les acteurs eux-mêmes, mais elle requiert, pour les investisseurs, d’affiner leur regard sur leurs spécificités en besoin de financements. Une solution pourrait être, avance Akira Lavault, cofondatrice de la Maison Glaz (Finistère), la mise au point de ratios – qu’il s’agisse d’électricité, de loyers ou de métiers – dans les tiers-lieux. Ces mesures financières permettent en effet, dans les secteurs où elles sont disponibles, de clarifier les coûts et les risques, souligne-t-elle.

Faciliter le dialogue

Se tournant vers les intervenants, Akira Lavault propose : « On pourrait construire, entre tiers-lieux mais aussi avec vous, qui disposez de ces données, des ratios. Ils permettraient, pour tous, une meilleure compréhension et une mutualisation entre domaines d’activités ». Mais l’idée semble complexe à mettre en oeuvre et ne fait pas l’unanimité, car elle nécessite une actualisation régulière et des moyens conséquents pour agréger les données. Le langage commun pour faciliter l’échange d’informations et la traduction de données reste à trouver. C’est donc bien là l’enjeu majeur : la communication. Les financeurs parlent entre eux le même langage, avance Jeanne Valéry-Veld de La Grange Bleue, et il s’agit donc d’abord de savoir à quelle personne s’adresser pour faciliter un tour de table – c’est ainsi qu’on appelle ce type de réunions entre financeurs, au sujet de leur apport en capitaux dans un projet – qui permettra de rassurer et engager les autres acteurs. « Vous avez raison, concède Véronique Gomez : trouver un premier financier qui vous soutient, cela fait effet de levier ».

Il s’agit donc bien aussi de savoir comment approcher les financeurs. Antoine Baudrit l’évoquait dès le début de l’échange : « On se pose la question des freins qui empêchent l’accès des porteurs de projet aux financements. Le constat qu’on fait est celui d’une mauvaise compréhension sur comment nous, en tant que financeurs, fonctionnons ». La problématique est à nouveau mise en évidence sur la question de l’amorçage, phase cruciale dans le développement d’un projet mais difficile à financer. « En tant que banquiers, c’est moins notre rôle », table Simon Ducoffe, quand Antoine Baudrit dira sans détour : « Financer l’amorçage, c’est contre notre ADN ». Un fait qui n’est pourtant pas connu de tous. Voilà qui, dans les mots d’une participante, contribue à entourer de « mystère » l’accompagnement par les banques, et à donner l’impression qu’un « petit secret » explique l’insuccès rencontré dans ses démarches. « Je suis en attente de la personne miracle. Et je pense qu’on est beaucoup dans ce cas.

« Il n’y a pas de magie »

En guise de vocabulaire commun, les intervenants reprennent à leur compte ce lexique. « Plus il y a de fées autour du berceau, plus vous donnez la chance à votre projet de réussir », souligne Véronique Gomez. Il s’agit d’avoir à ses côtés des personnes expertes du territoire chez qui le projet va résonner et qui vont à leur tour fédérer d’autres acteurs. En d’autres termes, « entourez-vous au maximum », enjoint-elle. « Il n’y a pas de magie, poursuit Antoine Baudrit. On doit s’appuyer sur celles et ceux qui font le territoire pour pouvoir comprendre, analyser et avoir des points de référence ». Autrement dit, c’est d’acculturation qu’il est question : comment, alors, favoriser l’échange pour mieux se comprendre mutuellement ?

La création d’un guide serait une première étape : le projet est en cours. Porté par France Tiers-Lieux et l’Association Nationale des Tiers-Lieux (ANTL) avec des acteurs du secteur bancaire et des tiers-lieux, il vise à donner des clefs aux uns et aux autres pour structurer des alliances plus facilement. Son ambition est aussi de présenter les outils à disposition des porteurs de projet. Car si le prêt n’est pas accessible à tous, d’autres dispositifs peuvent être mobilisés. C’est le cas de la Love money par exemple, cet apport de capitaux par les proches. Le crowdfunding et le mécénat restent aussi des solutions accessibles. Dans un contexte de raréfaction des subventions publiques –, la connaissance et la maîtrise des outils de financements disponibles est, plus que jamais, un enjeu de taille pour la pérennité des tiers-lieux

    Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.