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Indépendant, mais pas tout seul ?

L’activité indépendante en tiers lieux

21 mai 2025

Mais la mutualisation va souvent bien au-delà, puisque les tiers-lieux sont la scène d’une collectivisation des forces de travail et les dynamiques communautaires associées permettent l’émergence d’un rapport de coopération et de confiance qui va au-delà de la simple consommation de ressources partagées

Leslie, Marion, Maud, Mélanie, Nadine, Nicolas, Ondrej, Priscilla, Sidonie… la plupart sont travailleurs et travailleuses indépendantes en tiers-lieux, parfois entrepreneurs-salariés en Coopératives d’Activité et d’Emploi (CAE), parfois passés par les équipes de ces lieux. Avec elles et eux, j’ai parlé de leur quotidien, de ce que ces espaces changent dans leur manière de travailler, de développer et maintenir leurs activités, de créer du lien. Ce texte est né de ces échanges, de leurs récits, de cette énergie collective qu’on ne soupçonne pas toujours quand on pense au travail “indépendant”.

L’essor du travail indépendant (micro-entreprise, entreprises individuelles, professions libérales …), accentué notamment par les évolutions du marché (recours aux prestataires externes, développement du service aux particuliers et aux entreprises …) et des tendances socioéconomiques (appétences des jeunes diplômés, refus de la subordination, non-adaptation du management aux attentes des individus …) conduit à une individualisation croissante du travail, et notamment de l’activité de travail, se traduisant parfois par un isolement social et/ou économique des travailleurs et travailleuses. 

Cet isolement est source de nombreuses difficultés, allant de la précarisation et l’ubérisation L’ubérisation désigne la mise en relation directe entre clients et prestataires via des plateformes numériques, souvent au détriment de la relation à l’emploi et des protections sociales traditionnelles. à des complications mentales et psychosociales. De nombreuses personnes perdent toute attache, tout sens au travail et se trouvent « inadaptées » aux trajectoires qui s’offrent à eux : la posture de salarié-subordonné n’est plus acceptée ou acceptable tandis que le travail indépendant est éminemment solitaire.  

Face à cela, les travailleurs et travailleuses indépendants peuvent vouloir garder une certaine autonomie dans la conduite de leur activité de travail tout en s’inscrivant dans une dynamique collective. Elles peuvent se tourner vers les coopératives de travail Coopératives dans lesquelles ce sont les travailleurs qui détiennent la souveraineté, le coopératisme de plateformePlateforme de mise en relation entre producteurs et consommateurs gérée démocratiquement par ses membres. Ex : CoopCycle sur le marché de la cyclo-logistique, les coopératives d’activité et d’emploi et les tiers-lieux (voire tout cela à la fois). Les travailleurs indépendants représentent d’ailleurs la population privilégiée de ces lieux : 67% des tiers-lieux accueillent quotidiennement des auto-entrepreneurs et 60% des personnes en cours de création d’entreprise. Les auto-entrepreneurs qui représentent ainsi près d’un tiers des usagers de tiers-lieux (bien plus que toutes les autres catégories d’usagers) y trouvent de multiples usages, allant de l’incubation (pour 18% des tiers-lieux) à la formation (pour 58% des tiers-lieux)Source des chiffres : Observatoire des tiers-lieux.

Ainsi, les tiers-lieux peuvent être vus par les travailleuses et travailleurs indépendants comme un espace pour développer et professionnaliser leurs activités propres, comme un espace de mutualisation avec d’autres travailleurs et travailleuses ou structures, comme un espace de collaboration permettant de se forger une dynamique et un environnement professionnel sain ou encore, comme un espace collectif leur permettant de reconstruire leur rapport au travail.

Faire grandir et professionnaliser son activité 

Qu’il s’agisse de s’émanciper d’une position subordonnée, de professionnaliser une activité annexe ou un hobby, ou encore de construire du sens dans son travail, le développement d’une activité professionnelle suffisamment rémunératrice et émancipatrice est bien souvent un casse-tête pour les travailleurs indépendants. Dès le démarrage de l’activité, ou après quelques mois à travailler depuis son canapé, de nombreux entrepreneurs font le choix d’un tiers-lieu. C’est le cas de Nicolas qui a quitté son travail d’ingénieur pour façonner le bois dans un atelier partagé à Nantes (44), ou de Nadine, qui a quitté sa grange pour établir son camp de base à la Canopée (35) et y mener ses multiples activités artistiques. 

Les tiers-lieux, par la multitude d’activités et de personnes qu’ils regroupent, constituent un terreau particulièrement fertile pour développer et faire grandir une activité professionnelle en tant qu’indépendant. Ils jouent en cela un rôle se rapprochant d’un incubateur. Certains mettent en place des parcours d’accompagnement et des formations pour les entrepreneurs comme le Grand Bain (44) où on apprend à « parler d’argent », d’autres misent sur la constitution et l’animation d’un écosystème favorable, comme le Rucher Créatif (10) ou la Canopée (44) qui accueillent des acteurs de l’insertion professionnelle et de l’accompagnement à l’entrepreneuriat avec un désir de concilier espace de travail et dynamique économique territoriale.Ces parcours formels sont systématiquement complétés par une dynamique informelle constituée d’échanges entre pairs ou encore de consultations collectives, lors de brainstorming sur leur marque ou leurs offres par exemple. Plusieurs travailleurs évoquent notamment le sentiment d’une professionnalisation de leur activité indépendante au cours de leur expérience en tiers-lieu. C’est le cas de Nicolas qui a démarré comme particulier bénévole dans un atelier partagé avant de devenir ébéniste professionnel. Il a appris au contact de ses « collègues » à estimer le prix de vente de ses projets par exemple. Marion, elle, a acquis au sein de son tiers-lieu  une posture d’entrepreneuse à force d’échanges, par exemple sur l’URSSAF et la TVA : « Je me suis toujours sentie animatrice socioculturelle. Avec le tiers-lieu je commence à me rendre compte que je suis cheffe d’entreprise »

« Quand je suis arrivée dans le tiers-lieu, j’étais facilitatrice, je ne faisais que ça . Et pendant ma résidence, je me suis formée pour accompagner par les arts. Et je crois que le lieu a fait que, comme j’étais en forme, j’étais assez gonflée pour dire qu’à un moment, je prends ce virage et je m’affirme comme artiste professionnelle, avec toutes les démarches administratives qui vont bien et la réponse à des appels à projets, et cetera. J’ai gardé une petite partie de mon métier initial, mais il n’a plus du tout la même couleur quoi. Disons que j’ai gardé mes compétences, mais ça n’est plus le même métier. » Nadine, muraliste à la Canopée

De par leurs positionnements respectifs, les tiers-lieux participent au design des activités des entrepreneurs et de leurs contenus. La place des considérations environnementales, sociales et solidaires y est prégnante, poussant parfois certains usagers à bifurquer vers des métiers et activités dédiées, par exemple devenir animateur de fresques en tout genre. Ainsi, l’écosystème mis en place au sein du Rucher Créatif permet aux entrepreneurs de découvrir et expérimenter « d’autres modes d’entreprendre », selon Ondrej, tandis que Mélanie reconnait un « effort volontariste » déployé dans son passé de coordinatrice de tiers-lieu pour « influencer les entrepreneurs et les positionner dans des dynamiques plus sociales et solidaires ». In fine, les départs d’entrepreneurs de ces lieux sont plus dus à un besoin de place, pour ceux ayant une activité florissante, ou à un retour au salariat, qu’à une inadaptabilité à la culture et aux valeurs prônées par les tiers-lieux. Le potentiel innovateur des tiers-lieux est notamment mis en avant par Antoine Burret (2013), pour qui les tiers-lieux stimulent l’innovation, réduisent les barrières à l’entrepreneuriat et favorisent des modes alternatifs de financement et de propriété pour les entrepreneurs Burret, A. (2013). Démocratiser les Tiers-Lieux. Multitudes, 52(1), 89-97..

Mutualiser plus qu’un espace

La professionnalisation de l’activité décrite ci-avant s’accompagne logiquement d’une utilisation croissante de ressources dédiées au travail. Plutôt qu’acquérir des ressources dans un bureau privatif ou utiliser celles habituellement dédiées au cadre domestique, les travailleurs et travailleuses indépendantes en tiers-lieux ont choisi de s’unir et de partager des espaces de travail, salles de réunion, une connexion internet de qualité (indispensable pour les tiers-lieux ruraux notamment), des machines et équipements, des consommables, etc. Mais la mutualisation va souvent bien au-delà, puisque les tiers-lieux sont la scène d’une collectivisation des forces de travail et les dynamiques communautaires associées permettent l’émergence d’un rapport de coopération et de confiance qui va au-delà de la simple consommation de ressources partagées. 

Ainsi, la communauté qui gravite autour du tiers-lieu conduit à ce que chacun apporte un petit peu de soi au reste du collectif, et les lieux s’adaptent et évoluent en fonction des besoins de chacun. On partage plus que du café, on met en commun des compétences, on vend les produits des résidents, on communique ensemble et « au nom de [tel tiers-lieu]», on visibilise le travail de chacun, on met en commun les carnets d’adresses… Pour exemple, la Canopée (35) accueille régulièrement des expositions photos de Marion, qui y aménage parfois un studio pour réaliser ses gros projets, la Tréso (92) commercialise des ateliers animés par les artisans résidents du lieu et Casaco (92) a aménagé un espace insonorisé pour des résidents créateurs de podcasts et envisage la création d’un espace de mutualisation sous forme d’une bibliothèque d’objets, non forcément liés aux activités professionnelles des indépendants. 

Les rapports à la mutualisation des indépendants, du simple outil au projet commun

Comme le rappelle Leslie, « tout seul on est tout petit, ensemble on est plus forts ». Ainsi, le tiers-lieu, ayant bien souvent acquis une certaine notoriété sur le territoire, est régulièrement utilisé par ses résidents comme une vitrine. Ils se présentent comme untel, en résidence à tel endroit et n’hésitent pas à utiliser le lieu et son réseau pour communiquer, accueillir des clients et des évènements. Le volet territorial est essentiel, comme le rappelle Maud, qui coordonne la Canopée (35), “dès lors qu’ils intègrent un tiers-lieu ancré dans un territoire, les indépendants s’ancrent assez fortement dans ce territoire”. Le tiers-lieu, en favorisant l‘interconnaissance entre les acteurs du territoire permet ainsi aux travailleurs indépendants de contribuer au développement de celui-ci et d’atteindre plus facilement certains publics comme les personnes en insertion sociale et professionnelle.  

La mutualisation mise en œuvre au sein de ces collectifs d’indépendants ne saurait faire l’impasse d’une réflexion sur le modèle économique susceptible d’accueillir l’activité professionnelle de ces indépendants. Le tiers-lieu du Grand Bain, qui est rattaché à la Coopérative d’Activité et d’Emploi (CAE) l’Ouvre-Boîtes en est un parfait exemple. Leslie, Mélanie, Nicolas et Priscilla, tous les quatre étant à la fois usagers du Grand Bain (et d’autres tiers-lieux pour certains) et entrepreneurs-salariés de l’Ouvre-Boîtes assimilent sans cesse le lieu et la coopérative, comme si l’un ne pouvait aller sans l’autre. Le rapprochement entre tiers-lieux et CAE, qui permettent aux indépendants de maintenir leurs activités autonomes tout en s’inscrivant dans une dynamique collective de coopération et de se concentrer sur leur cœur de métier, est indéniable. Plusieurs CAE sans lieux physiques sont considérées comme incomplètes par les entrepreneurs-salariés, tandis qu’il existe peu d’indépendants en tiers-lieux qui ne se soient pas posé la question de la CAE. Ainsi, plusieurs de ces structures s’associent / se complètent ou du moins gravitent dans les mêmes écosystèmes. 

Se retrouver entre pairs, forger une dynamique métier

« Moi qui ai toujours été indépendante, c’est la première fois que j’ai l’impression d’avoir des collègues » (Priscilla). L’activité de travail des indépendants est par essence une activité isolée, où chacun et chacune lutte pour exister dans son marché et passe bien souvent trop de temps sur les activités support par rapport à la réalisation du métier en tant que tel. Dans les tiers-lieux, les indépendants voisinent avec des collègues et c’est la constitution d’une communauté professionnelle au sein de ces lieux qui vient forger la dynamique de métier des travailleurs et travailleuses indépendantes. 

Au-delà de la montée en compétences issue de ces relations et décrite précédemment, les tiers-lieux se révèlent être de formidables espaces de collaboration. Les personnes interrogées dans le cadre de ces réflexions sont unanimes : l’écosystème du tiers-lieu, c’est bon pour le business.  Et ces relations de collaboration professionnelles sont multiples. 

Grâce à l’animation déployée par les équipes, les tiers-lieux deviennent des espaces d’expérimentation pour les indépendants, lors des Canopée Social Club ou des Mardis de Casaco par exemple. Tandis que Priscilla et Nadine avouent tester des formations ou animations sur les « cobayes » du bureau, les autres travailleurs et travailleuses déclarent en majorité se « refiler » les clients entre membres, quand ils n’ont pas le temps de répondre directement au besoin, ou lorsque la demande semble correspondre légèrement plus aux offres du bureau d’à côté.  

Plus collectif encore, les travailleurs rencontrés ont tous déjà eu l’occasion de travailler, en tant qu’indépendants, avec leurs voisins de bureau (ou de machine). Il s’agissait par exemple de profiter de la complémentarité de métiers pour répondre à des demandes ou bâtir de nouvelles offres, liant par exemple une photographe et une muraliste, ou encore un ébéniste et un chaudronnier. Il s’agissait également de s’allier, sur des compétences communes, pour répondre à de plus gros projets, ou monter des plus grosses offres. Allant du coup de main ponctuel, à la réunion de dix indépendants pour animer une fresque des nouveaux récits auprès d’une grosse centaine de personnes, ces coopérations sont issues des écosystèmes gravitant autour des tiers-lieux. Certaines travailleuses ont été jusqu’à construire de nouvelles activités en commun et déployer une ingénierie d’intervention / de formation pour construire des prestations réalisables par chacune d’entre elles. Les équipes des lieux mettent régulièrement en place des dispositifs permettant de soutenir ces collaborations. Par exemple, les « groupes-métiers » organisés par l’Ouvre-Boîtes au Grand Bain permettent de réunir les entrepreneurs et entrepreneuses ayant des activités connexes.

« À titre personnel j’avais besoin d’un service, j’ai demandé à une copine à qui je vais rendre des services, qui m’a donné le contact d’un de ses copains et en fait les choses se sont faites comme ça et tu rends le service à quelqu’un qui en a besoin. » Leslie, designer graphique au Grand Bain

Les indépendants en tiers-lieux, et les équipes des tiers-lieux eux-mêmes, n’hésitent pas non plus à faire travailler les collègues pour leur propre compte, lorsqu’il s’agit par exemple de conseils juridiques, comptables ou de concevoir le mobilier d’un lieu. Ainsi, lorsque la situation le permet, des prestations croisées ont lieu, et la confiance est telle que des logiques de troc et de dons contre dons se mettent en place. Plusieurs lieux, comme Casaco (92), envisagent d’ailleurs la mise en place d’un système d’échanges locaux (SEL) pour renforcer ces initiatives et les ouvrir au territoire.

Et si on travaillait autrement ?  

« S’il n’y avait pas ce tiers-lieu, je serais sans doute redevenue salariée. Ce tiers-lieu a joué un rôle dans l’évolution de mon métier, dans ma dynamique, dans ma joie d’être entrepreneuse. C’est évident. Il y a d’autres lieux qui font seulement du coworking, moi ça ne me convient pas, j’ai besoin d’un espace de partage, pas de louer un bureau. » Nadine, muraliste à la Canopée

“Le tiers-lieu a sauvé mon business”, tel est le ressenti de nombreux travailleurs et travailleuses de ces espaces. Cela n’est pas spécialement ou exclusivement dû aux opportunités de marchés et aux réseaux créés par l’écosystème des tiers-lieux, mais avant tout à la dynamique collective qui se déploie permettant de faire que le travail indépendant ne soit pas une activité isolée. La dynamique collective en tiers-lieux permet de concilier travail indépendant et activité collective, permettant d’apporter du sens, de la motivation, de l’entraide et du partage. Ainsi, la majorité des travailleurs indépendants entrevus dans les tiers-lieux déclarent que sans ce type d’espace, ils auraient sans doute mis fin à leur activité pour revenir dans un environnement salarié plus sécurisant Ce « troisième lieu », à mi-chemin entre le domicile et le travail, permet aux travailleurs indépendants de cadrer leur activité dans un espace-temps défini. C’est le cas de Nicolas qui marque ainsi la rupture entre la sphère personnelle et la sphère professionnelle par un trajet en vélo pour aller de la maison au bureau ou à l’atelier et de Marion qui parvient à conserver un équilibre professionnel grâce aux « horaires de bureau » de son espace de travail. Il faut savoir que les risques professionnels, qu’ils soient physiques ou psychosociaux, sont accentués chez les travailleurs indépendants puisque les mécanismes de prévention de ceux-ci sont bien souvent absents ou inefficaces. Naturellement, des dispositifs de voisins vigilants se multiplient, d’abord à travers les actions de sensibilisation et de surveillance mises en place par les équipes des tiers-lieux, mais avant tout par les travailleurs eux-mêmes qui prennent soin les uns des autres. Ainsi, qu’il s’agisse d’une baisse de moral, d’une activité en souffrance ou au contraire d’une surcharge de travail potentiellement délétère, les signaux forts et faibles sont analysés en permanence par les membres du collectif de travail qui prendront le temps d’être à l’écoute, de donner un coup de main, de faire un retour d’expérience, ou simplement de partager le temps d’un café.

« Entre nous, on est très à l’écoute des signaux qui veulent dire “ au secours, ça ne va pas ” », Leslie, designer graphique au Grand Bain

Ce collectif de travail est qualifié de réconfortant pour les indépendants, ils se sentent bien souvent moins seuls face à leurs activités, cela permet de casser l’isolement. Comme le déclare Priscilla, « voir qu’au final tout le monde galère, c’est rassurant, ça remet en perspective, on se sent moins seul ». Ce groupe social, en plus d’aider l’individu à affronter son propre travail, lui permet également de le sortir de ce travail. Il s’agit notamment de participer à tout un tas d’évènements culturels, solidaires, politiques… et de prendre le temps d’aider les autres sur leurs projets personnels et professionnels. 

Selon les différents acteurs des tiers-lieux, la meilleure manière de faire fonctionner ce type de projet est de créer l’environnement idoine en embarquant toutes les parties prenantes. Les travailleurs indépendants ne sont pas en reste, ils contribuent régulièrement, même lorsque ça n’est pas dans leur cœur de métier, à des chantiers participatifs, à la programmation du lieu, aux différents « conseils de maison » réunissant les usagers et vont jusqu’à intégrer les différentes instances de gouvernance. Qui aurait imaginé qu’en montant une activité indépendante de location de vélos à des établissements hôteliers, Jean-Marc puisse finir directeur général d’un tiers-lieu en SCICSociété Coopérative d’Intérêt Collectif ? Le plus gros défi pour les tiers-lieux reste de réussir, et maintenir, cette dynamique collective en embarquant les résidents, même si les liens avec leurs propres activités restent peu établis. Passer progressivement de l’usage d’un espace à un engagement au service du projet et du territoire, n’est-ce pas là l’essence des tiers-lieux, espaces de démocratie et d’engagement citoyen du 1er kilomètre ?  

Indépendant, mais pas tout seul 

À rebours des représentations classiques du travail indépendant, solitaire et autocentré, les tiers-lieux dessinent un autre récit : celui d’un travail autonome, associé à un entrepreneuriat en réseau, ancré dans un collectif et un territoire. Ces espaces hybrides, où se croisent métiers, statuts, compétences et aspirations différentes, permettent aux indépendants de faire bien plus que « travailler à plusieurs » : ils y trouvent un cadre, une respiration, une entraide qui fait tenir dans la durée.

Qu’ils soient atelier partagé, espace de coworking rural ou fablab urbain, les tiers-lieux accueillent des formes renouvelées de professionnalisation, de coopération et de solidarité, jusqu’à permettre parfois de repenser en profondeur son rapport au travail.

Le succès de ces lieux ne tient pas uniquement à leurs murs, à leurs ressources mutualisées ou à leurs formations. Il repose sur un socle plus fondamental : la reconnaissance que l’on travaille mieux quand on n’est pas seul, que le collectif est une ressource précieuse, et que les transitions du travail appellent à réinventer, au-delà des outils, les liens socio-professionnels. Les tiers-lieux ne sont pas de simples solutions à l’isolement des indépendants. Ils sont l’un des terrains où se réinvente le travail lui-même : plus choisi, plus soutenable, plus local, plus engagé, plus solidaire, plus humain. Indépendant, mais pas tout seul.

Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.