Interview

Clément Larhantec (FNASAT-Gv) nous éclaire sur les projet d’habitat en tiers-lieux 

Boussole juridique pour habiter autrement

21 novembre 2022

Les projets d’habitat en tiers-lieux peuvent prendre différentes formes : hébergement, location, prêt, acquisition, … Tantôt motivés par le désir d’héberger des personnes fragilisées, tantôt animés par l’envie de créer un habitat partagé ou encore d’expérimenter des habitations qui laissent une moindre empreinte sur la Terre, nous utilisons communément le terme « habitat » pour embrasser tous ces projets à la fois. Il nous est apparu important d’affiner et de partager des connaissances utiles au démarrage d’une dynamique d’ »habitat » en tiers-lieu. Clément Larhantec, géographe urbaniste et responsable d’un service habitat, a accepté de répondre à mes questions. Merci pour ce coup de main !

Clément, pourrais-tu commencer par lever le voile sur le jargon qui entoure les projets d’habitat ? 

“Il y a trois notions à retenir. On distingue l’habitat,  l’hébergement et le logement.  Le logement est une construction qui respecte la réglementation posée par la loi française en termes de surface, d’isolation, de répartition des pièces, etc…  L’hébergement quant à lui amène une dimension provisoire. C’est le fait de décider d’abriter une personne pour une courte durée (un proche, un ami en difficulté). L’hébergeur doit demander un agrément dès lors que son offre se transforme en prestation de première nécessité réalisée pour plusieurs personnes en grande précarité. L’habitat n’est pas forcément une construction, c’est un espace organisé qui permet d’habiter. Il peut prendre de nombreuses formes.” 

Cette terminologie clarifiée, peux-tu essayer de baliser le chemin des collectifs qui souhaitent porter un projet d’habitat ? Éventuellement même soulever les enjeux que la réglementation (im)pose ?

La première étape est de trouver le bon emplacement.  Que cherche-t-on ?  Un ensemble déjà bâti, un terrain nu ou les deux ?  Il est important de bien savoir ce que l’on veut, de bien connaître ses besoins, voire de les coucher sur le papier et de les schématiser pour clarifier le projet collectif et choisir la bonne voie. Schématiquement, 2 chemins s’offrent aux porteurs d’un projet d’habitat. Si l’on cherche un immeuble, il sera important de s’enquérir de l’usage qu’il en était fait précédemment et dans quel zonage se situe le bâtiment.  Pour cette démarche, il faut consulter le plan local d’urbanisme (PLU) ou la carte communale ou le règlement national d’urbanisme (RNU) pour les communes rurales qui n’ont pas élaboré leur PLU – même s’il y a de plus en plus de PLU maintenant voir de PLUi à échelle intercommunale. Par exemple, si un collectif loue ou acquiert une ferme avec des dépendances à retaper. La ferme peut servir de logement parce qu’il s’agissait de l’habitation de l’exploitant agricole. En revanche, il y a nécessité de changer la destination de la grange si on souhaite en faire un logement. Pour cela, une déclaration préalable auprès de la mairie est requise. On peut être confronté à différents types de destination selon le bien recherché, son territoire: exploitation agricole ou forestière, commerces et services, activités d’intérêt collectif et de service public, activités secondaires ou tertiaires, etc…” En ville, où l’accès au logement devient un enjeu, les zones d’habitation sont protégées et le changement de destination n’est possible qu’à condition de compenser la surface de logements supprimée. Pour d’autres raisons, notamment environnementales, il peut être complexe de changer la destination d’un immeuble dédié à une activité industrielle. Un changement de destination est une procédure gérée par le service urbanisme de la ville ou de l’intercommunalité. Le zonage du bien détermine la possibilité ou non d’y habiter. Le changement de destination n’est pas possible partout. Pour une zone qui a déjà accueilli des habitations, un nouveau projet d’habitat ne va pas poser de souci. Les modifications qu’il apportera feront simplement l’objet d’une déclaration préalable ou d’un permis de construire selon la surface du projet. En revanche, un projet d’habitat dans un immeuble avec une ancienne activité de réparation de voitures par exemple requiert une déclaration préalable de changement de destination.

Et lorsque le terrain est nu ? 

Lorsque les terrains sont nus, il est possible de demander un certificat d’urbanisme. Il permet de savoir ce qu’il est possible de faire sur le terrain. Le service d’urbanisme va informer le propriétaire ou le futur acquéreur de la destination envisagée pour le terrain par le PLU. Il y a le certificat d’information et le certificat opérationnel de faisabilité. Ces 2 documents sont des documents informatifs. Ils informent sur ce qu’il est possible  de faire ou de ne pas faire, les voies et réseaux desservant le terrain, marge de recul par rapport à la voirie, etc…Ils garantissent une stabilité de l’information relative au PLU pendant 18 mois mais ne valent pas autorisation. Ce qui vaut autorisation c’est la décision qui suit la déclaration préalable ou le permis de construire du demandeur. La déclaration préalable est un dossier qui requiert :

  •  une note descriptive succincte de l’opération (construction ou habitation légère, positionnement sur le terrain, choix des matériaux, besoins de raccordement) 
  • la destination des bâtiments à construire. Il n’exige pas forcément de dessin, éventuellement un premier croquis mais il n’y a pas besoin de solliciter un architecte à ce stade.

Les difficultés jusque-là relèvent plus des tensions qui existent sur l’accès au foncier, notamment autour des grandes métropoles que du cadre juridique. Dans ces contextes tendus ou pour des raisons de protection des terres agricoles dans les zones “détendues”, les SAFER (sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) peuvent opposer leur droit de préemption comme toute collectivité locale. Il faut donc avoir en tête que certains biens peuvent être préemptés. Cette information est disponible et peut être vérifiée.

Qu’en est-il de l’habitat léger ? 

La réglementation devient en revanche très contraignante dès lors que le projet prévoit de l’habitation légère comme l’installation d’une caravane, un kerterre, une yourte, une cabane en bois, etc… Beaucoup de PLU ne permettent pas leur installation parce qu’elles ne répondent pas actuellement aux critères réglementaires du logement. Le principe d’une habitation légère, c’est d’être sans fondation, autonome des réseaux publics,  facilement et rapidement démontables” Parmi les tiers-lieux, certains créent des habitats partagés ancrés dans des valeurs écologiques. Ils font le choix de résidences démontables ou qui laissent une faible empreinte sur le sol pour expérimenter une autre façon de vivre. Ces résidences (yourtes, cabanes, tiny house) comme les caravanes sont soumises à des autorisations, même lorsque par chance elles sont autorisées par le PLU. La subtilité à connaître de la réglementation est qu’à partir du moment où une habitation légère n’est plus mobile ou démontable – suppression des roues, renfort d’isolation -, elle est considérée comme une construction qui peut être autorisée si la zone d’urbanisme l’autorise. Par exemple, les chalets installés sur des zones constructibles à la montagne sont parfaitement autorisés.

Les tiers-lieux ont des statuts variés et peu sont propriétaires de leur lieu. Ils ont en commun de présenter des modèles encore fragiles dans leur gouvernance et leur économie. Pourrais-tu nous dire s’il existe des outils, des droits reliés à l’habitat qui pourraient aider ces collectifs à mener à bien leur projet ? 

Les habitations reconnues comme du logement ouvrent droit à des aides. Le prérequis est donc d’avoir un bail. Nominatives comme l’aide personnalisée au logement (APL) et le chèque énergie, elles sont essentiellement destinées aux locataires. Les propriétaires peuvent accéder au prêt à taux zéro et à la prime rénov’ si le logement a plus de 15 ans. Il faut prouver le gain thermique apporté par les travaux et faire travailler un artisan qualifié RGE. Enfin, selon les territoires et les autorités locales (région, commune, intercommunalité, département), il existe des dispositifs d’aide locale adaptés aux besoins locaux. Point de vigilance : les dispositifs d’aide publique ne sont pas toujours ouverts aux sociétés, même coopératives. Le choix du statut juridique du projet sera un élément stratégique.

Merci à Clément Larhantec pour son partage d’expertise. Il est responsable du pôle habitat de la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et Gens du voyage. (Fnasat-Gv). Il apporte soutien et conseil aux associations qui accompagnent des projets d’habitat pour les Gens du voyage.

NB : Les gens du voyage, au sens de la loi du 5 juillet 2000, sont les personnes dont l’habitat est constitué de résidences mobiles d’habitat permanent. Celle-ci n’étant pas considérée comme un logement et du fait de discriminations ancrées de longue date, l’habitat des Gens du voyage n’est souvent pas pris en compte dans les politiques d’urbanisme et du  logement, niant ainsi leur droit à la ville et à un habitat.

Cet article est publié en Licence CC By SA afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.