Fiche de lecture

Tiers-lieux nourriciers, une réappropriation citoyenne de l’alimentation ?

Tiers-lieux nourriciers et démocratie alimentaire

22 janvier 2025

Le système alimentaire actuel n’est ni égalitaire, ni sain, ni écologique, tant côté production et transformation que côté consommation. Face à ce constat, des collectifs citoyens mettent en place des alternatives sur les territoires. Les tiers-lieux se sont naturellement intégrés à cette dynamique en faveur d’une démocratie alimentaire locale. Avec des fragilités mais une puissance d’innovation et une capacité à rassembler, comme l’explique l’étude-action « Tiers-lieux nourriciers, une réappropriation citoyenne de l’alimentation ? », menée par l’Association nationale des Tiers-Lieux, France Tiers-Lieux, la Coopérative Tiers-Lieux, Fab’Lim et le Réseau Cocagne (avec le soutien de la Fondation Daniel et Nina Carasso et de la DRAAF Occitanie). Synthèse.

Lire l’étude

Amap Amap : Association pour le maintien d’une agriculture paysanne : partenariat entre un groupe de consommateurs et une ou plusieurs fermes, basé sur un abonnement à système de « paniers », dans un esprit de solidarité., magasins de producteurs, relocalisation de filières anciennes, épiceries coopératives, fermes collectives, marchés paysans, espaces tests agricoles, ateliers de cuisine, potagers partagés… Autant d’initiatives qui permettent de produire autrement et de manger mieux, mais aussi de sortir de la logique verticale de filière pour travailler en systèmes alimentaires horizontaux. Les tiers-lieux sont des acteurs qui comptent dans la mise en place de ces nouveaux systèmes alimentaires. En effet, 10% des 3 500 tiers-lieux se définissent comme des tiers-lieux nourriciers et 16% des tiers-lieux ont développé des partenariats avec des acteurs de l’agriculture et de l’alimentation. Afin de connaître plus précisément leur contribution à l’enjeu de démocratie alimentaire et mettre en lumière leurs forces et fragilités, l’Association nationale des Tiers-Lieux, France Tiers-Lieux, la Coopérative Tiers-Lieux, Fab’Lim et le Réseau Cocagne ont mené l’étude-action « Tiers-lieux nourriciers, une réappropriation citoyenne de l’alimentation ? »3. Cinq aspects ont été analysés : la gouvernance alimentaire, les modèles socio-économiques, le rapport au travail,  la vision des communs et le lien avec les politiques publiques.


Une gouvernance alimentaire L’ensemble des processus de coordination entre acteurs autour de l’alimentation locale, visant à favoriser leur organisation et à limiter l’atomisation des initiatives (Billion et al., 2016, p.348). plus horizontale et participative

Dans un tiers-lieu, les usagers et usagères contribuent et s’investissent dans le projet. Ainsi, dans un tiers-lieu nourricier ou engagé dans une dynamique relative à l’agriculture et/ou l’alimentation, les usagers et usagères ne sont pas uniquement des consommateurs. Ils peuvent par exemple décider des produits qui seront commercialisés dans l’épicerie, cultiver des légumes, apprendre à cuisiner des produits locaux, choisir les plantations du potager… Côté production également, les tiers-lieux nourriciers transforment les modèles, avec des modes de production agro-écologiques, des modèles hybrides de fermes-cantines-café associatif, des projets collectifs, qui intègrent ici des coups de main bénévoles, là un partenariat avec des structures d’insertion. Ainsi, Au Maquis a créé une ferme maraîchère de 2,5 hectares à Lauris dans le Vaucluse, ferme partagée avec le Cada Cada : Centre d’accueil de demandeurs d’asile. et la Maison Commune (centre d’accueil de jour) de Cavaillon, dont les légumes sont distribués à toutes les personnes qui les produisent, soit environ 70 personnes par semaine. Les bénéficiaires décident aussi du choix et des plannings des cultures.

Mais pour arriver à transformer ainsi la gouvernance alimentaire, il faut une animation forte sur un temps long, donc des compétences, des fonds et la capacité de trouver des financements pour réaliser les projets qui émergent de cette intelligence collective. Cela nécessite également de la pédagogie pour transmettre la culture du pouvoir d’agir. Car il ne s’agit pas uniquement de permettre aux citoyens et citoyennes de se réapproprier l’alimentation mais aussi de leur donner envie de se la réapproprier !

De plus, les tiers-lieux ne sont pas les seuls à agir sur la démocratie alimentaire locale. Dans de nombreux territoires, des Projets alimentaires de territoire PAT : Les projets alimentaires territoriaux (PAT) ont l’ambition de fédérer les différents acteurs d’un territoire autour de la question de l’alimentation, contribuant ainsi à la prise en compte des dimensions sociales, environnementales, économiques et de santé de ce territoire.  (PAT) sont mis en place, souvent portés par des collectivités, avec des animateurs et animatrices. Les tiers-lieux nourriciers intègrent la plupart du temps ces PAT. Dans certains cas, le lien est très fertile. Ainsi, le PAT du Pays Haut Languedoc et Vignobles (34), grâce au soutien de la Draaf Occitanie (France Relance), a contribué à l’émergence du nouvel espace de formation de la coopérative Atelier Paysan à Félines Minervois, afin de développer une offre de formation à l’autoconstruction de matériel agricole au service des producteurs. Ce PAT a également soutenu la création d’un tiers-lieu nourricier à Riols, comprenant une épicerie de produits locaux, en partenariat avec l’agence postale. Autre exemple : le PAT du Sicoval (31), grâce à une subvention de la Draaf Occitanie (France Relance) et de la Mairie de Ramonville, a financé Le 100e Singe, tiers-lieu agroécologique pour la création d’une ferme incubatrice et d’un tiers-lieu alimentaire. Cependant, l’étude montre que ces exemples sont assez rares. Souvent, le PAT n’est pas une source de financement, en particulier les PAT récents. De plus, le fonctionnement très institutionnel de ces derniers est souvent très éloigné de la gouvernance des tiers-lieux. In fine, il apparaît que si l’on veut vraiment permettre aux tiers-lieux d’oeuvrer à démocratiser la gouvernance alimentaire sur les territoires, il faut leur en donner les moyens donc les inclure dans les politiques alimentaires et les plans d’actions locaux (PAT, Scot, PLU, schémas d’aménagement, programmes dédiés, etc.). 


Des modèles socio-économiques L’ensemble des ressources disponibles et les choix de leur affectation, afin de mettre en œuvre les activités d’une organisation. Parmi les ressources, on distingue les richesses humaines (bénévolat, salariat, volontariat…), les richesses financières et les alliances stratégiques (capacité à réaliser son action en synergie avec d’autres, voire de mutualiser des moyens pour y parvenir).  hybrides et combinés

Un tiers-lieux nourricier, ça coûte cher. Les frais de personnel sont l’un des principaux postes de dépenses mais également les dotations aux amortissements, à cause des investissements nécessaires à la production agricole (matériel, véhicule, outils, infrastructures). Pour financer leur activité, les tiers-lieux mobilisent des subventions publiques, éventuellement privées (mécénat), et, souvent, développent une activité de vente de produits, comme l’Hermitage (60) ou le Germoir (62), qui vendent les légumes de leur ferme ou La Grange des Roues (84), qui vend de la farine et du pain. Mais comme beaucoup de tiers-lieux, ils hybrident leurs activités. Certains proposent aussi de l’événementiel, de la formation, des résidences, de la location d’espaces… Le mélange de vente de produits et de prestations de services est ainsi courant, sans oublier les dons et cotisations. Citons par exemple la Smalah, association d’éducation populaire à Saint-Julien-en-Born (40). A la fois café, bureaux et ateliers partagés, espace de fabrication, organisme de formation et laboratoire de recherche, elle fonctionne avec 70 % de subventions publiques sur projets, 18 % d’autofinancement (recettes d’activité liées au café, aux formations, à la vente d’outils et à l’assistance technique sur les fermes) et 12 % de fonds privés (Fondation Orange, Fondation de France…). 

Pour financer l’investissement, les modes de financement des tiers-lieux nourriciers sont également variés : apports personnels des porteurs de projets, contrats d’apport en quasi-fonds propres (ex. : France Active), emprunts bancaires à long terme, subventions d’investissement (publiques ou privées), épargne citoyenne… 

De la même manière que les ressources sont mixtes, les statuts juridiques sont souvent combinés, pour optimiser les ressources, la fiscalité, les régimes d’aides… On peut ainsi trouver différents statuts pour porter et exploiter un tiers-lieu : une SCI pour l’acquisition et la location du foncier, une association Loi 1901 pour le développement de projets d’intérêt général à but non lucratif, une SCEA pour la production et la commercialisation de produits agricoles, une SCIC pour la collecte d’épargne citoyenne, une SAS ou une SARL (éventuellement en SCOP) pour la fourniture de biens et services marchands…

Le 100e Singe, par exemple, rassemble une SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif, de 40 coopérateurs pour son activité de coopérative d’activités et d’emploi, une association espace test agricole Loi 1901, reconnue chef d’exploitation par la MSA et une coopérative Loi 47 pour Le labo du 100e Singe. Autre exemple : le montage de l’Hermitage, visible ici, avec une société mère et plusieurs petites sociétés pour les différentes activités, ainsi qu’une foncière et une association.

Le tiers-lieu peut également fonctionner avec une seule entité juridique mais qui implique d’autres structures L’association EDENN (Espace de Coopération et d’Expérimentation dédié à l’agriculture urbaine, à l’alimentation responsable et à l’économie circulaire) se décrit comme un écopôle. Il est composé de 12 structures (associations, maraîchers, entreprises) qui, en tant que membres, bénéficient d’infrastructures (locaux, bureaux, hangars, serres, terres…) et de matériel en commun (outils de jardinage, véhicules…). Ceci permet à chaque entité de réduire ses coûts de fonctionnement. 

Mais l’on ne peut évoquer les modèles socio-économiques des tiers-lieux sans parler des ressources et contributions en nature : travail bénévole, dons de biens, mise à disposition de services etc.

Reste que ces montages juridiques complexes et ces modèles économiques hybrides ne sont pas une mince affaire à concevoir et à faire fonctionner. Beaucoup de tiers-lieux nourriciers s’échinent à adapter leur projet initial pour le faire rentrer dans les cases des appels à projets et passent plus de temps à chercher des financements qu’à faire vivre leur projet social. Pour éviter cela, certains préfèrent opter pour le système D, ou se rassemblent à plusieurs pour répondre et unir leurs forces. Ajoutons que les financements sont versés après les projets, ce qui peut entraîner des problèmes de trésorerie.

Enfin, les tiers-lieux nourriciers ont une spécificité par rapport aux autres : ils ont besoin de foncier et de bâti conséquent. Ce qui suppose une capacité financière d’acquisition. Pour éviter l’endettement longue durée, certains vont s’atteler à démarcher les collectivités locales ou l’État pour bénéficier d’une mise à disposition, comme le 100e Singe. D’autres s’orientent vers des partenariats avec des propriétaires privés (particuliers, agriculteurs, entreprises…) dans le cadre d’un contrat de location ou de mise à disposition, du plus éphémère au plus sécurisant, comme un bail emphytéotique, telle L’Oasis Citadine à Montpellier. Parfois, la personne propriétaire est aussi porteuse du projet de tiers-lieu, dans une volonté de redonner un usage à la propriété, suite à un héritage par exemple. Enfin, certains tiers-lieux vont mobiliser de l’épargne citoyenne pour acquérir le lieu (foncière citoyenne) comme L’Hermitage.


Un nouveau rapport au travail

Les tiers-lieux se caractérisent en général par leur façon de renouveler le rapport au travail La notion de travail recouvre de multiples dimensions, révélatrices de tensions entre, d’un côté, ce qui relève du statut (un emploi avec des missions prédéfinies liées à une rémunération) et, de l’autre, ce qui relève d’une activité (des pratiques, des compétences, une expérience, un métier…) ; entre, d’un côté, des contraintes (cadre lié aux objectifs et échéances, lien de subordination, horaires) engendrant parfois de la souffrance et, de l’autre, des possibilités d’émancipation (accomplissement de soi, socialisation dans la relation avec l’autre, sentiment de reconnaissance…).. Ils inventent de nouveaux statuts (des contributeurs plutôt que des bénévoles par exemple), répartissent autrement l’activité travail (des chargés de mission entrepreneurs payés à la tâche en soutien à l’équipe salariée par exemple), osent la contrepartie en nature ou sortent du salariat hiérarchisé, avec un but : en finir avec le rapport d’aliénation pour favoriser un processus d’émancipation.

Cette dimension est particulièrement visible dans le travail agricole des tiers-lieux nourriciers. En lieu et place de l’exploitant agricole, on peut rencontrer des maraîchères salariées, des salariés dont le poste comprend aussi bien du travail d’animation, de production et de cuisine, permettant d’être à la fois dans l’intellectuel et le manuel ou encore des producteurs à temps partiel. Ainsi la souplesse est au rendez-vous : flexibilité dans les horaires, espace et temps pour exprimer sa créativité, fonctionnements alternatifs, statuts variés… L’idée est de trouver du sens, de l’épanouissement, un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle, mais aussi d’apprendre de nouvelles connaissances, d’utiliser le travail comme un tremplin vers d’autres horizons professionnels. 

La Raffinerie, friche éco-culturelle sur l’île de La Réunion, mène ainsi des réflexions sur le bonheur au travail, avec la construction d’un outil de calcul d’indice du bien-être au travail, et sur le choix de la rémunération “à la carte”. Au Maquis, dans le Vaucluse, il n’y a pas de décompte des heures, chacun choisit son rythme. Les neuf salariés se considèrent comme des “copropriétaires d’usage de leur outil de travail à parts égales”. Les tiers-lieux nourriciers sont aussi souvent en lien avec des structures d’insertion par l’activité économique ou prévoient des parcours d’adaptation pour des personnes éloignées de l’emploi. 

Mais le revers de la médaille, c’est le risque élevé de risques psycho-sociaux. En effet, travailler au sein d’un tiers-lieu nourricier, c’est travailler avec engagement et passion, au risque de s’épuiser pour un bas salaire, voire de faire un burn-out. Dans les tiers-lieux professionnalisés, les salariés se retrouvent majoritairement soit avec des contrats à temps partiel (des moyennes par structure à 0,8 ou 0,5 ETP), soit en surcharge de travail bénévole (les heures supplémentaires sont rarement comptabilisées et rémunérées). Le temps bénévole est souvent pleinement intégré par les salariés comme une norme de travail, allant jusqu’à « facilement 70 % du temps qui n’est pas rémunéré », contrebalancé par le sens de l’action menée. 

Les burn-outs, qui peuvent concerner aussi bien des salarié·es, que des prestataires ou des bénévoles, sont liés à une difficulté à scinder l’engagement militant de la vie professionnelle, à gérer une frontière floue entre les deux, ce qui peut engendrer une situation de “servitude volontaire” ou “d’auto-exploitation”. Cette forte imbrication est particulièrement marquée pour les membres fondateurs qui ont investi sans compter leurs heures au démarrage du projet et jusqu’à la stabilisation du modèle (ce qui peut prendre quelques années).

Il convient donc de prêter attention à la surcharge potentielle et pour cela, des solutions existent : instaurer un système de binôme pour prévenir la fatigue de l’autre, proposer un droit à la déconnexion, mettre en place une gouvernance partagée et des systèmes de référents par branches, anticiper la transmission et le portage du projet au-delà des fondateurs et fondatrices. Attention également  aux statuts hybrides expérimentés (contributions rémunérées à la tâche, micro-entreprise à la mission) car, s’ils répondent à des demandes de souplesse, ils créent aussi des conditions de travail particulièrement précaires qui peuvent être subies (absence de protection sociale, de rémunération fixe…). Enfin, l’une des clés pour éviter les risques psycho-sociaux, c’est d’accompagner la professionnalisation de la fonction d’employeur, restée souvent un impensé des structures qui se vivent avant tout comme militantes, notamment au niveau des Conseils d’Administration associatifs. 


Des tiers-lieux créateurs de communs

La notion de commun Dans la continuité des travaux d’Elinor Ostrom, un commun est ressource dont la gestion et l’utilisation est déterminée par des règles et une gouvernance créées et appliquées par la communauté qui l’utilise, dans le but de préserver et pérenniser cette ressource. est très présente chez les tiers-lieux nourriciers. Il s’agit d’abord du vivant : l’eau, la terre, les espèces, les écosystèmes sont considérés comme des communs dont nous faisons partie, et dont nous avons la charge de prendre soin, collectivement, démocratiquement, et dans la joie. Le tiers-lieu lui-même est considéré comme un commun partagé par la communauté : aussi bien son état d’esprit, que les ressources et équipements mutualisés, gérés collectivement. 

La plupart créent et gèrent des communs qui peuvent être utilisés par un public divers localement. Le laboratoire de transformation du lait de l’Arbre, par exemple, est mutualisé par les fermes alentours. Il s’agit d’un équipement très coûteux qu’aucune ferme n’aurait pu se permettre d’acheter seule. Gain de temps, de place, de coûts et d’énergie pour cet outil de production mutualisé partiellement financé par des aides publiques. La Smalah en lien avec l’Atelier Paysan, conçoit, partage, forme et autonomise les producteurs et productrices d’un point de vue technique avec le concours du Club Brico 3000, grâce à des bricoleurs et bricoleuses bénévoles. Pour accéder aux ressources mutualisées, il faut, selon les cas, être adhérent, parrainé, coopté ou volontaire, disposer d’un open badge pour manipuler tel équipement en autonomie, s’impliquer… 

Qui dit commun dit gouvernance partagée et participation collective. À la Grange de Gros Puy en Dordogne, on s’inspire de la sociocratie. Les membres investis dans chacun des pôles du tiers-lieu se regroupent dans des cercles souverains pour décider de l’organisation du tiers-lieu et des différents projets. Chacun de ces cercles autogérés est représenté au sein des réunions plénières qui assurent l’articulation des activités et permettent de recueillir l’assentiment général des décisions prises par les groupes. À l’Arbre, on fonctionne en direction collégiale volontaire (DCV). N’importe quel membre peut décider d’en faire partie dès lors qu’il s’engage à venir régulièrement aux réunions. La DCV se compose de 7-8 personnes.

Mais pour permettre le sentiment d’appropriation du lieu par les adhérentes et adhérents, il est conseillé de permettre un engagement bénévole ponctuel, sans exiger de prise de responsabilité dans la gouvernance. Les chantiers participatifs sont clairement l’un des moyens les plus efficaces à la fois pour avancer concrètement sur le projet (construire un café villageois en extérieur pour le Maquis, retaper une grange en Dordogne pour la Grange de Gros Puy…) mais aussi pour faciliter l’appropriation collective du projet. En effet, le travail commun et la convivialité créent du lien et procurent souvent une forme de joie. 

Néanmoins, l’usage partagé de communs reste source de conflits, de la classique dispute sur la vaisselle – ou la propreté en général – à des désaccords plus profonds pouvant conduire à des départs ou des scissions. Mais les communs ont un impact inestimable sur les personnes. Ils permettent l’apport de nouvelles connaissances techniques, pratiques, et de savoir-être, améliore la santé mentale voire la condition physique. Les communs permettent également la rencontre entre groupes sociaux qui ne se côtoient pas. Enfin, ils impactent le territoire par la création de nouveaux équipements et lieux-ressources. 

Des partenariats public – tiers-lieux à améliorer

Tiers-lieux et structures publiques sont en lien, et le partenariat peut prendre plusieurs formes. Tout d’abord, les collectivités peuvent guider les tiers-lieux dans la réglementation urbaine et territoriale, pour les aider à être en conformité, ou les orienter vers des dispositifs d’aide financière ou d’accompagnement. Elles peuvent fournir un appui technique, mettre à disposition des équipements ou du foncier. Ainsi, la ville de Marseille a mis à disposition du foncier à moindre coût pour le tiers-lieu Le GRAIN de la Vallée. L’association occupe une ancienne école de la ville de Marseille, depuis septembre 2019. L’association verse ici un loyer symbolique de 27,98 euros par mois, pour un bien dont la location est estimée à 10 662,50 € à l’année. Il s’agit d’un bail de droit commun de cinq ans, renouvelable par tacite reconduction. 

Les collectivités peuvent également aider à la mise en relation entre partenaires potentiels, aider concrètement des tiers-lieux à monter des dossiers ou encore soutenir financièrement des projets, notamment dans le cas de co-financements. Dans la Loire, La Martinière (budget 2022), par exemple, possède 81 % de financements publics (68 % Fabrique de Territoire, 6 % DRAC, 5 % Département). En effet, les financements publics sont souvent combinés, faisant intervenir les différentes échelles (commune, intercommunalité, département, région, État, Europe…) car ils peuvent répondre à la fois à des dispositifs ESS que de revitalisation rurale, innovation sociale, numérique, insertion, culture, etc. en fonction de leurs activités mais également des opportunités. Chaque tiers-lieu nourricier constitue ainsi un modèle de financements qui lui est propre, à partir des soutiens publics qu’il parvient à mobiliser. Ces différents soutiens publics peuvent prendre plusieurs formes : appels à projets, appels à manifestation d’intérêt, conventions de partenariat, conventions pluriannuelles d’objectifs, programmes d’accompagnement, etc. Citons à ce titre les Appels à manifestation d’intérêt  “Fabrique de Territoire” et “Manufacture de proximité” qui ont permis à plusieurs tiers-lieux d’obtenir des financements. 

Toutefois cette articulation entre différentes sources de financements est liée au fait qu’il n’existe pas ou peu de dispositifs spécifiquement dédiés aux tiers-lieux nourriciers. Leur absence limite aujourd’hui les possibilités de soutenir efficacement leur développement. Dans cette optique, il est important de réfléchir à des politiques publiques qui reconnaissent et soutiennent pleinement la diversité et la spécificité des tiers-lieux, afin de favoriser leur essor et leur contribution à l’innovation sociale et économique. De plus, les dispositifs de soutien publics sont souvent ponctuels, ou à durée limitée. Les tiers-lieux nourriciers interrogés partagent le constat que les durées de financement se raccourcissent et qu’il devient de plus en plus difficile d’obtenir des engagements pluriannuels. La multiplication des soutiens de courte durée et le manque de visibilité sur la suite créent de l’incertitude et de l’inquiétude. Elle entraîne les tiers-lieux nourriciers dans une forme de course à la recherche de financements pour anticiper le potentiel non-renouvellement d’un soutien, avec parfois de lourdes conséquences sur les ressources humaines, notamment l’augmentation des risques psychosociaux. Cette situation n’est pas propre aux tiers-lieux nourriciers, et concerne l’ensemble des structures d’intérêt général bénéficiant de subventions publiques. 

Enfin, ajoutons que tiers-lieux et acteurs publics n’ont pas la même temporalité et que cela génère des difficultés à coopérer. Il apparaît donc indispensable de privilégier la mise en place de financements publics pérennes, via par exemple l’octroi de conventions pluriannuelles, pour sécuriser les projets et limiter cette « course aux appels à projets et aux financements » qui nuit au bon développement des tiers-lieux et de leurs actions d’intérêt général. 

Au-delà de ces questions concrètes, l’une des difficultés soulevées est d’ordre politique : les pouvoirs publics ne voient pas toujours d’un bon œil les tiers-lieux militants. Côté tiers-lieux, certains privilégient l’action, quitte à faire des compromis, tandis que d’autres souhaitent préserver leur intégrité. Afin d’être crédibles auprès des collectivités territoriales, les tiers-lieux doivent donc apparaître comme des acteurs bien établis localement et soutenus par les habitants. Deux critères sont identifiés comme déterminants pour cette reconnaissance : premièrement, l’impact social, environnemental et économique du tiers-lieu sur le territoire, c’est-à-dire la capacité à montrer des résultats tangibles ; deuxièmement, la mobilisation citoyenne et le dynamisme de la communauté qui constitue le tiers-lieu. Dans le Vaucluse, Au Maquis a ainsi mobilisé les habitants autour de ses activités et a suscité un fort sentiment d’appartenance à la communauté. Cette dynamique a conduit la collectivité locale à reconnaître progressivement Au Maquis comme un partenaire incontournable dans les décisions concernant les questions alimentaires sur le territoire. Travailler en réseau, s’allier avec d’autres peut aussi permettre d’être plus puissant face aux acteurs publics.

En tous les cas, le développement du phénomène tiers-lieux reste récent et difficile à appréhender pour une partie des acteurs publics. C’est d’autant plus vrai pour les tiers-lieux à dimension nourricière. Ce sont souvent les services en lien avec l’innovation numérique ou l’économie sociale et solidaire qui sont les plus familiers, les agents publics qui travaillent sur l’agriculture et l’alimentation, eux, sont souvent plus éloignés des tiers-lieux. Mais ça évolue. Plusieurs tiers-lieux nourriciers cités dans l’étude ont été associés à la construction de certaines politiques publiques par leurs collectivités territoriales. C’est le cas de la Métropole de Toulouse (avec EDENN et Le 100e Singe), ou de la Ville de Marseille (avec le GRAIN de la Vallée et Le Talus). 

Reste que cette implication des tiers-lieux fait rarement l’objet d’un partenariat formalisé, conduisant les personnes à contribuer bénévolement, à puiser sur leur temps et leur budget pour participer à ces travaux. La place donnée à ces contributions est également dépendante de la bonne volonté des élus et agents publics impliqués. En outre, certains tiers-lieux préfèreraient que les collectivités s’appuient sur les tiers-lieux comme espaces de co-construction avec les citoyens, comme lieux de débat et de participation active. 

C’est du côté des PAT portés par les Parcs naturels régionaux que les partenariats sont les plus fructueux : Le GRAIN de la Vallée et le Parc des Calanques ; Au Maquis et le Parc du Luberon ; Les Serres de Beaudreville et le PNR de la Haute Vallée de Chevreuse ; La Grange des Roues et le PNR du Ventoux… Certains tiers-lieux prennent les devants allant jusqu’à lancer eux-mêmes des initiatives ressemblant à des formes de PAT. La Smalah a ainsi lancé en 2020 une « Démarche Alimentaire Territoriale » visant à relier citoyens, producteurs locaux et collectivités pour favoriser l’installation d’agriculteurs et le développement de circuits courts. 

Dans certains cas, la collectivité territoriale joue un rôle moteur dans l’émergence de tiers-lieux nourriciers. À Villeurbanne, le tiers-lieu de L’Archipel est à l’initiative d’un élu, co-construit avec deux associations (le MAS et les Restos du Cœur), et aujourd’hui porté par la municipalité. L’Archipel sert de terrain d’expérimentation et d’action pour les politiques publiques liées à l’alimentation, à la précarité et à la démocratie alimentaire, ainsi qu’à un projet de Sécurité sociale de l’alimentation initié par la collectivité. 

C’est en définitive un changement complet de regard qui doit être fait par les collectivités : accepter une programmation depuis les usages (plutôt que de programmer des services), en favorisant la libre appropriation et l’évolutivité des espaces. 

Pour renforcer les collaborations public – tiers-lieux, l’étude propose : 

  • Augmenter les ressources financières des institutions publiques pour soutenir les tiers-lieux nourriciers.
  • Développer des ressources et des formations sur les tiers-lieux nourriciers à destination des acteurs publics, afin de renforcer l’acculturation et la diffusion au sein des institutions publiques. Dans la continuité de certains guides et formations qui voient le jour.
  • Mettre en place des politiques de soutien aux formes de recherche et développement social : phases de test, d’essai-erreur, où des collectifs citoyens tentent d’animer des démarches de coopération et de construire des réponses aux besoins du territoire. 
  • Faire de la commande publique un levier de développement d’une économie locale et durable. 

Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.