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Une journée avec Mathilde Gestin, coordinatrice des Nouvelles Coordonnées

« Une force tranquille dans une tempête joyeuse »

27 mars 2024

Au cœur des Nouvelles Coordonnées, Mathilde ne cesse de réinventer sa fonction et ses postures de coordinatrice pour s’adapter à la diversité des projets menés par les équipes du tiers-lieu normand. Un travail quotidien aussi exaltant qu’épuisant. Premier opus d’une série de portraits de travailleurs et travailleuses des tiers-lieux dans l’Observatoire.

« C’est la valeur d’un profil comme le mien que d’être variable d’ajustement. »

Un café, un appel et une offre d’embauche. L’arrivée de Mathilde Gestin aux Nouvelles Coordonnées s’organise peu après sa rencontre par hasard avec le fondateur du tiers-lieu normand, Frédéric Lescat. En quelques mois, la voici embarquée dans l’aventure de la transformation de cette immense friche industrielle qui a les pieds dans la Charentonne en « coopérative artistique, rurale, artisanale et vivante ».

Au sein de l’équipe de huit passionnés qui porte le projet, elle s’attache à tisser les liens entre les nombreuses activités du lieu – ateliers d’artisanat, résidences d’artistes, expos, festival, réemploi de décors… Une multiplicité qui façonne le quotidien de Mathilde au poste de coordinatrice.

Un mouton à cinq pattes

Mathilde peut compter sur son riche parcours pour cultiver la polyvalence nécessaire à son poste. Classe préparatoire, école de commerce, puis la prise de poste : près d’un an dans une entreprise de l’ESS en Tunisie, six au sein du Groupe Ares et plusieurs expériences en collectivités locales : d’abord comme chargée de projets au sein du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, puis comme coordinatrice des référents inclusion SPIE au département de l’Eure, et en tant que chargée de coopération territoriale pour un projet éducatif et social à l’Intercom Bernay Terres de Normandie… La trentenaire a ainsi navigué entre plusieurs milieux et exercé diverses fonctions. Un profil dans lequel Frédéric Lescat a tout de suite vu ce « mouton à cinq pattes » qu’il recherchait pour l’aider à développer la coopérative.

« C’est la valeur d’un profil comme le mien que d’être variable d’ajustement. » De ces expériences passées, elle tire également une « forme d’assise » qui lui permet notamment d’affirmer ses prétentions salariales à son arrivée et d’accepter le 4/5e que la structure est en mesure de lui proposer. Cette solution offre à Mathilde l’occasion de réserver un jour par semaine à la gestion de ses gîtes et au soin de ses chevaux à côté de son emploi aux Nouvelles Coordonnées.

Le monstre dont il faut prendre soin

Mais la pratique révèle bien souvent que l’envergure des projets portés aux Nouvelles Coordonnées déborde sur ce cinquième jour et plus généralement sur la vie privée de Mathilde. Et ce, malgré la volonté de « militer pour la semaine de quatre jours ». Le caractère envahissant du poste s’explique en partie par ses contours flous qui prennent racine dans la diversité tentaculaire de cette friche industrielle de 7 300 m2.

Avec ses fuites d’eau, son amiante, ses bâtiments abrupts, Les Nouvelles Coordonnées a des airs de figure mythologique qu’il faut nourrir et soigner. Ce rapport sensible au lieu, l’équipe souhaite le cultiver « parce que c’est très porteur », souligne Mathilde. « Ce lieu est transformant et quand on vient dans ces murs, il y a un vent de liberté qui souffle ici ». « Il a cette capacité de faire tomber certaines croyances limitantes », poursuit Mathilde : « Aujourd’hui, ça ne me fait pas peur de me dire : tiens, si j’apprenais à souder un garde-corps en métal ».

Mais cette hybridité crée aussi « un permanent déséquilibre », une posture source de créativité autant que d’épuisement. La coordinatrice explique ainsi avoir « mis quasiment un an à formaliser vraiment son rôle ».

Un rôle de care et d’équilibre

Plus encore que du lieu, c’est des équipes dont il faut prendre soin. La coordinatrice y consacre beaucoup d’énergie afin de doter le collectif de la force nécessaire pour « travailler durablement ensemble » et « fédérer sur le long terme ». Car c’est peut-être là que réside la tâche principale de Mathilde : « Faire en sorte que le collectif puisse exister ».

Dans une organisation que Mathilde décrit comme le « royaume de l’intuition » avant son arrivée, dirigée par le charisme et la créativité de son co-président, la jeune femme tente d’apporter « la voix de la rationalité », « l’énergie complémentaire aux besoins du moment ». Un positionnement qui rend possible la créativité et les envies de chacun et chacune. « J’essaye d’incarner une forme de force tranquille dans cette tempête joyeuse », résume Mathilde.

Le rouet et la sirène

Filtrer les opportunités du projet, en développer les ancrages ou alerter… La coordinatrice doit ainsi déployer quantité de compétences pour piloter les projets « en trois dimensions » qui font la richesse du tiers-lieu, à la jonction entre temps, moyens et envies de chacun·e. Pour imager ce travail, Mathilde se présente volontiers comme tamis, rouet ou sirène d’alarme. Des outils qui servent autant à qualifier des tâches qu’à appuyer un discours réflexif sur sa fonction.

Cette manière de qualifier ses pratiques relève davantage de la description d’un atelier d’artisan ou d’une brocante que d’une fiche de poste. Et c’est ce qui en fait la justesse : le regard que porte Mathilde sur sa fonction de coordinatrice témoigne d’une grande lucidité sur le milieu des tiers-lieux.

Si Mathilde concède être exaltée par « cette sortie perpétuelle de sa zone de confort » et l’état de légère surchauffe permanent qu’elle produit, elle en souligne aussi le caractère éreintant. Mais elle refuse de concevoir cet épuisement comme inéluctable : « Parce qu’en fait, si c’est inéluctable, c’est parce que c’est systémique. Et l’accepter, ce serait renoncer, se résigner au fait que nos lieux sont mal financés ».

Cet article est publié en Licence Ouverte 2.0 afin d’en favoriser l’essaimage et la mise en discussion.