Projet de recherche

Les Doctoriales : Les Tiers-Lieux, des objets politiques (en) miroir de nos sociétés en transition ?

Le 6 juin 2024 de 9h à 18h au tiers-lieu Césure à Paris

Résumé

Dans la continuité du projet de Cahiers de Recherche sur les Tiers-Lieux, l’Observatoire des Tiers-Lieux s’associe à un groupe de doctorant·es des laboratoires de Géographie-Cités (UMR 8504), de Environnement Ville et Société (EVS UMR 5600) et de l’unité de Recherche de la Sorbonne Paris Nord la Pléïade (UR 7338), pour l’organisation d’une journée d’étude pour jeunes chercheur·ses le 6 juin 2024 au tiers-lieu Césure à Paris. Ces Doctoriales ont pour objectif de prolonger le travail initié avec de jeunes chercheur·ses, dans la continuité des axes identifiés collectivement et qui structurent nos Cahiers de Recherche.

Cet évènement offrira également :

  • un cadre propice à la discussion, aux échanges et aux critiques constructives de travaux de jeunes chercheur·es ;
  • contribuera à la littérature scientifique en construction sur les tiers-lieux
  • et permettra de structurer un espace de rencontres afin de susciter des débats enrichissants et interdisciplinaires autour des tiers-lieux.

La construction de cet appel a ouvert des réflexions et des controverses disciplinaires et empiriques entre les jeunes chercheur·es, qui, chemin faisant, se sont révélées à l’image de la complexité de l’objet “tiers-lieux”, qu’il s’agit ici de (re)mettre en question.

Lien vers l’appel à communication

Modalités des contributions

Les doctorant·es ainsi que les masterant·es en recherche de toutes disciplines et horizons sont invité·es à partager leurs travaux en répondant et croisant les axes de recherche de cet Appel. Les communications pourront porter aussi bien sur la construction d’une problématique et/ou d’un protocole de recherche, que sur les réflexions théoriques, retours d’expériences de terrains et résultats de recherche (finaux ou à mi-parcours).

Au-delà de communications conventionnelles, le comité scientifique valorisera également les travaux coécrits et coproduits avec des non-chercheur·es (en Français Facile ou non), des mises en récit et toutes productions artistiques et/ou sensibles qui s’y relieraient et qui pourront être pertinentes au regard des axes proposés.

Le comité scientifique sélectionnera les communications. La sélection sera opérée en tenant compte de la qualité et de l’intérêt des résumés, de l’intégration et prise en compte des axes développés dans l’appel ainsi que de la méthodologie développée dans la thèse. Les communications devront être calibrées pour une durée de 10 à 15 minutes. Elles pourront être appuyées par un diaporama.

Les propositions de contributions sont à envoyer en format PDF à l’adresse doctoriales.tierslieux@gmail.com et doivent comprendre :

  • Les coordonnées de l’auteur·ice, le rattachement institutionnel et éventuellement l’année d’inscription en thèse,
  • Un titre,
  • Un résumé de 5 000 signes (espaces compris) sans la bibliographie,
  • 3 à 5 mots clés maximums,
  • L(es) axe(s) dans le(s)quel(s) votre proposition de communication s’inscrit,
  • Vous préciserez, notamment via la bibliographie, les principales publications et les auteurs concernés par votre proposition de contribution. Les sources de la bibliographie seront citées selon la norme de citation APA.

A noter qu’une publication des contributions sous la forme d’Actes des Doctoriales est prévue à la suite de cet évènement.

Calendrier

  • Date limite de soumission des résumés : 8 mars
  • Date de notification d’acceptation ou de refus des propositions : 1ère semaine d’avril
  • Date limite d’envoi des communications (20 000 signes ou powerpoint annoté pour les discutant·es) : 17 mai

Comité d’organisation

  • COTTET Fanny, doctorante en Géographie au Laboratoire Géographie-Cités (UMR 8504) à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
  • DE MIL Céline, Doctorante en géographie à l’Université de Lyon II (UMR 5600 Environnement Ville Société) et en Cifre à l’Agence d’architecte Encore Heureux
  • GAUTHIER Cécile, docteure en géographie, chercheuse associée au Ladyss Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et chargée de mission Recherche à l’Observatoire des Tiers-Lieux à France Tiers-Lieux
  • KADRI Myriem, Doctorante en Cifre en géographie et sociologie au Laboratoire ER 7338 PLEIADE à l’Université Sorbonne Paris Nord et au Laboratoire CLERSE à l’Université de Lille

Comité scientifique

  • BERREBI-HOFFMANN Isabelle, Sociologie et Directrice de Recherche au CNRS, au sein du Laboratoire Interdisciplinaire pour la Sociologie Économique (Lise)
  • FLEURY Antoine, Chargé de recherche CNRS, Laboratoire Géographie-Cités (UMR 8504)
  • GARDIN Laurent, Maître de conférences en sociologie à l’Université Polytechnique, Co-président de la Chaire Nord-Pas de Calais en Économie sociale et solidaire et soutenabilité des territoires
  • LEBEAU, Boris, Maître de Conférence en Géographie à l’Unité de Recherche La Pléïade, Université Paris Sorbonne Nord
  • LEFORT Isabelle, Professeure des Universités, Université de Lyon II (UMR 5600 Environnement Ville Société)
  • LIEFOOGHE Christine, Maître de Conférence en Géographie à l’Université de Lille au laboratoire TVES (EA 4477)
  • MARTIN Corinne, Maître de Conférence en Sciences de l’Information et de la Communication au Centre de recherche sur les médiations (Crem) à l’Université de Lorrain
  • PASQUIER Romain, Directeur de recherche au CNRS, Laboratoire Arènes – Chaire « Territoires et mutations de l’action publique », Sciences-Po Rennes / Direction de la recherche
  • RICHEZ – BATTESTI Nadine, Maître de conférences à Aix Marseille Université, CNRS, LEST Aix-en-Provence
  • SEILLIER Rémy, Directeur Général Adjoint de France Tiers-Lieux
  • SHULZ Sébastien, Post-doctorant au COSTECH (Université Technologique de Compiègne), Chercheur-associé au Laboratoire Interdisciplinaire Sciences Innovations Sociétés (Université Gustave Eiffel)
  • TALANDIER Magali, Professeure à l’Université Grenoble Alpes, responsable de l’équipe de recherche « Villes et Territoires » et adjointe à la direction du laboratoire Pacte.
  • TEHEL Amélie, Docteure en Sciences de l’Information et de la Communication et post-doctorante à l’Institut d’Études Politiques de Rennes
  • TISSANDIER Patrice, Maître de Conférence Sciences des territoires et de la communication à l’Université de Bordeaux Montaigne

Les Axes de l’Appel

Introduction

La notion ou concept de “tiers-lieux” a pour origine l’expression Third Places empruntée pour la première fois par le sociologue Ray Oldenburg (1989) afin d’analyser la disparition de lieux de sociabilité tels que les cafés, les librairies, les salons de coiffure, les pubs, dans les banlieues pavillonnaires aux États-Unis. Initialement, les rôles des tiers-lieux sont essentiellement socio-politiques (1989, p.43-44).
Depuis les années 2010, des publications scientifiques de plus en plus nombreuses détaillent et analysent les enjeux et ressorts de ce mouvement protéiforme, la notion de “tiers-lieux” étant désormais utilisée pour étudier et décrire une diversité de réalités, d’organisation sociales, d’espaces, ou de changements à l’œuvre. Certains travaux y lisent les transformations liées au monde du travail (Lorre, 2018), au développement des usages numériques (Liefooghe, 2018) ; ou encore le rôle qu’ils jouent en termes de sociabilité leur conférant un sens intrinsèquement politique (Besson, 2017 ; Burret, 2021 ; 2023). Tiers-Lieux, lieux tiers, fablabs, coworking, lieux culturels, lieux intermédiaires et indépendants, lieux hybrides (et bien d’autres appellations), autant de termes utilisés par les praticien·nes et chercheur·ses dessinant des réalités proches mais parfois différentes. Ils sont aussi analysés comme des lieux, des espaces physiques : des lieux d’activités, d’émancipation et d’innovation tels que des espaces de travail partagé (coworking) (Scaillerez, Tremblay, 2017 ; Lorre, 2021 ; Krauss, Tremblay, 2019), des ateliers de fabrication partagée (fablabs, makerspaces, etc.) (Berrebi-Hoffmann, et al., 2018 ; Dechamp, Pelissier, 2019), ou de nouveaux lieux de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) (Azam et al, 2015 ; Lefebvre-Chombart et Robert, 2020 ; Fasshauer et Zadra-Veil, 2020 ; Ramonjy et al., 2023). Ces espaces et la diversité des usages qu’ils abritent sont alors aussi analysés comme vecteurs du développement territorial (Nadou et al., 2023 ; Liefooghe, 2023 ; Talandier, 2023) ; ou encore comme supports du renouveau des politiques publiques, par exemple de solidarités (Pasquier et al., 2023) ou culturelles (Gonon, 2017 ; Besson, 2018 ; Martin, 2021).

Ainsi, que disent les tiers-lieux et que nous apprennent-ils des mutations et transformations des sociétés occidentales ? Comment les accompagnent-elles, les soutiennent-elles ? Sont-ils également des espaces de résistances face à ces transformations ? ou des laboratoires d’innovation et des transitions ? Dans quelles mesures participent-ils aux transitions économiques, sociales et politiques des territoires où ils s’implantent ?

Les trois axes de cet appel interrogent d’une part, les approches épistémologiques autour de l’objet des tiers-lieux ainsi que les différentes méthodologies de recherche appliquées aux tiers-lieux, puis certaines questions de recherche et thématiques qui traversent les tiers-lieux (sociales, territoriales, économiques ou encore de l’action publique).

Axes 1 – Quelles approches épistémologiques sur les tiers-lieux ?

Le développement exponentiel des tiers-lieux en France apparaît concomitant d’une profusion de productions et connaissances, à la fois scientifiques et empiriques, sans cesse renouvelées. De cette dynamique se dégagent alors des discours, souvent valorisants, plus ou moins critiques, voire sceptiques. Pourtant l’absence d’une connaissance fixe, maîtrisable et claire du tiers-lieu, autant que la pluralité de ses appropriations et conceptions, intrigue des acteurs qui se saisissent de cet objet tourné vers l’action et l’expérimentation.

Les propositions de ce premier axe ouvrent le questionnement autour des tiers-lieux sur le plan des approches épistémologiques contemporaines ou “non classiques”, telles l’épistémologie sociale, la sociologie cognitive et l’anthropologie de la connaissance (Kasavin, 2008 ; Badir et Lemos, 2020). Elles pourront interroger les épistémologies des recherches actuelles sur les tiers-lieux : quelles formes prennent les connaissances produites sur, pour et par les tiers-lieux ? Quels impacts les paradigmes (interactionniste, constructiviste, contextualiste, etc.), rattachés aux approches épistémologiques et sémiotiques dominantes, ont-ils sur la recherche sur les tiers-lieux ? Quelles sont les disciplines et les théories qui s’intéressent et dominent actuellement la construction des connaissances sur les tiers-lieux ? Dans ces tiers-lieux, à réalités empiriques plurielles, comment se fabriquent les représentations, imaginaires et récits collectifs autour de la vie dans ces lieux ? Et que disent ces récits des choix idéologiques et normatifs opérés dans les discours ?

Il s’agit également de considérer la complexité de construire un sens et un savoir, communs et unifiés, autour des tiers-lieux, à la fois en tant qu’objet perçu et structuré par les acteurs et en tant qu’objet scientifique en cours d’analyse. Concept dit vague, ou résistant aux tentatives de standardisation, les modalités de construction des connaissances autour des tiers-lieux se posent ainsi avec acuité. Les contributions peuvent appréhender cette intrigue tant au prisme des manières de construire un projet de tiers-lieu ⎼ empiriquement, spatialement, par les discours et les conceptions sémiologiques et sémantiques ⎼ qu’au niveau des conditions dans lesquelles les savoirs, scientifiques et expérientiels, sont construits (dans quels contextes organisationnels, socioculturels, politiques, économiques, etc.).

Au moyen des conceptions sémantiques et épistémologiques contemporaines, comment comprendre cette appréciation du flou, à la fois dans la relation au terme et à l’objet tiers-lieu ? Au risque d’essentialiser celui-ci, en quoi ce flou conceptuel peut-il apparaître nécessaire, choisi et revendiqué par les acteurs, à la formalisation de l’identité transitionnelle et dynamique des tiers-lieux ? L’institutionnalisation – tant questionnée par des acteurs de tiers-lieux – vient-elle peu ou prou remédier à ce flou ? Peut-il être également une opportunité, voire une stratégie, pour des acteurs de consolider des modèles marchands et de profiter d’une “aura marketing positive” (Landon, 2022) ?

L’ADN a priori transformatrice et expérimentale de l’objet tiers-lieu n’implique-t-elle pas de s’essayer à des retournements épistémologiques, voire à une certaine indiscipline méthodologique, en vue de faire (re)connaître et légitimer la pluralité des réalités sociales et spatiales qui s’y construisent (Laville, 2022) ? L’imprécision dans la construction (ou la transmission) des connaissances et compétences n’est-elle pas à la source et le produit même de ces lieux hybrides, conduisant des processus d’expérimentations variés ? En fin de compte, en quoi cette hétérogénéité des tiers-lieux rend-elle indispensable l’interdisciplinarité, dans la (dé)construction des savoirs scientifiques, du moins d’amorcer un jeu dialogique entre disciplines de sciences humaines et sociales, traditionnellement cloisonnées ?

Ce premier axe de l’AAC des doctoriales pourra utilement nourrir les questionnements des Cahiers de Recherche de l’Observatoire, notamment la première partie qui vise à dresser un état de la diversité des définitions et des déclinaisons lexicales autour des tiers-lieux (fab-labs, makerspaces, lieux intermédiaires, etc.) ainsi que de leurs utilisations et récurrences selon les disciplines de sciences humaines et sociales.

Axes 2 – Les méthodes et pratiques de recherche “sur” et “dans” les tiers-lieux

Dans la prolongation de l’axe 1.3. des Cahiers de Recherche portant sur les approches de la recherche dans les tiers-lieux, il s’agit ici d’interroger les jeunes chercheurs sur les différentes méthodes de recherche propres aux tiers-lieux et d’apporter des réponses sur la conduite de travaux de recherche dans, sur ou par, les tiers-lieux.

Quelle est la diversité des protocoles de recherche mobilisée par les jeunes chercheur·ses ? Qu’en est-il des influences méthodologiques spécifiques, souvent d’induction analytique, tels l’observation participante (Azam, 2015 ; Bazin, 2018 ; Gauthier et al., 2022), ou la participation observante (Soulé, 2007), l’étude de cas, l’immersion territoriale (Urbain, 2003) ou encore la permanence architecturale (Hallauer, 2017) ? Comment les chercheur·ses construisent-il·elles leur protocole méthodologique, mobilisant méthodes de construction de l’objet, de récolte de données, d’analyse ou encore de restitution de leurs travaux ? Qu’en est-il d’autres formes d’analyse, méthodes mixtes, recherche artistique (vidéo, art graphique, etc.), bibliométrie, sources documentaires, etc. ?

Sont également attendues des contributions présentant des formes de recherche initiées dans et par les tiers-lieux : proche d’une recherche citoyenne, dans la continuité de pratiques d’éducation populaire. En effet, les communications pourront questionner les méthodes de recherche propres aux tiers-lieux pouvant se distinguer de méthodologies dites traditionnelles de recherche et d’innovation. Ainsi, comment les tiers-lieux et les dispositifs expérimentaux qu’ils mettent en œuvre en dehors des institutions académiques, viennent alimenter la recherche ? De quelle manière et avec quelles méthodes ? Comment permettent-ils de questionner voire de critiquer les savoirs légitimes et dominants produits par les chercheur·ses ? Que nous apprennent-ils sur les postures de chercheur·ses ?

Enfin, les communications pourront étayer les postures en recherche-action à l’instar de doctorant·es en contrat CIFRE, souvent plébiscités par les tiers-lieux ou dans l’ESS. Qu’implique la double casquette acteur ⎼ chercheur·se dans le contexte de tiers-lieux ? Quelles postures et quelles démarches de réflexivité sont entreprises par les jeunes chercheur·ses ? Quels résultats pour une recherche-action participative et transformative (Ballon, 2023) ?

Axe 3 – Des questions et thématiques de recherche associées aux tiers-lieux

Reflet des mutations socio-économiques et environnementales à l’œuvre, la recherche sur les tiers-lieux se fait souvent de manière pluridisciplinaire. Tout en s’insérant dans la littérature existante, les doctorant·es pourront prendre en compte cette dimension pluridisciplinaire afin d’embrasser l’objet de recherche dans sa complexité, questionner et apporter des éléments de réponses aux enjeux sociopolitiques et territoriaux abordés dans les thèmes de l’axe 3. Les travaux existants concernant les tiers-lieux nous permettent de dégager différentes échelles d’analyses de cet objet, aux échelles micro, méso voire macro du tiers-lieu, croisant par ailleurs les différentes disciplines de sciences humaines et sociales.
Ces cinq sous-axes s’inscrivent particulièrement dans le prolongement des Parties 2 et 3 des Cahiers de Recherche qui interrogent les rapports des tiers-lieux au “politique” ainsi que leurs formes et fonctions de laboratoires d’innovation sociale, économique et territoriale.

3.1. Configurations sociales, organisation collective et gouvernance

Dans ce sous-axe, les contributions pourront ainsi alimenter les travaux existants, majoritairement en sociologie ou en gestion, sur le “fait social” ou la “configuration sociale” (Burret, 2017, p.32) que constitue le tiers-lieu, les acteurs et actrices (au sens d’individus ou de structures professionnelles) qui y prennent part, leurs statuts, genres et les rapports de force qui s’inscrivent entre les différentes parties prenantes.
Les propositions de communication pourront également revenir sur des modes d’organisation des tiers-lieux, des formes de participation et de gouvernance collective (Cléach et al., 2015 ; Gauthier, 2023 ; Jolivet, 2023), du pouvoir d’agir et d’émancipation par l’hybridation des usages (Rumpala, 2014 ; Giroguy, Nice, 2018). En quoi ces modalités d’organisation sont-elles le reflet de transformations sociales à une échelle plus vaste ? Que disent-elles du rapport au travail, des espaces familiers et privés, des sociabilités ? Ou encore du rapport aux voies démocratiques et de gouvernance (d’un espace, d’un collectif, d’une entreprise voire d’une collectivité) ?

3.2. Inclusion, mixité des publics et inégalités socio-spatiales

Si les tiers-lieux sont désormais identifiés comme des espaces fabricants du commun (Fontaine, 2021), il reste encore à déterminer dans quelle mesure ils peuvent aussi être excluants et reproducteurs d’entre-soi et d’isolement subis. Afin d’identifier ces impensés, nous valoriserons les recherches portant sur ces communautés, celles et ceux qui les composent, ainsi que les valeurs communes et pratiques, plus ou moins ambivalentes, qu’elles poursuivent.
Les tiers-lieux sont-ils des lieux de mixité sociale, d’inclusion et « solidaires » (Pasquier et al., 2023 ; Galvão et al., 2022 ; Téhel, 2022) ? Dans quelle mesure ces espaces parviennent-ils à attirer et à faire participer une diversité de publics ? Comment les dynamiques sociales en leur sein peuvent-elles contribuer ou entraver cette ouverture et mixité revendiquées ? Quelles tensions traversent les réalités sociales des tiers-lieux entre idéal d’ouverture et risque d’entre-soi ? Ces problématiques peuvent aussi être appliquées aux tiers-lieux répondant à une aide sociale d’urgence (centre d’hébergement d’urgence ; accueils de jours, etc.) souvent dans le cadre d’occupation temporaire de bâtiments vacants, dont les pratiques tendent à se diffuser dans les politiques publiques de santé.
Comment analyser cet intérêt grandissant des acteurs des institutions sociales et/ou médico-sociales, via par exemple les initiatives inclusives « tiers-lieux autonomie » (Département Seine Saint-Denis), « tiers-lieux dans mon EHPAD et dans mon quartier (CNSA) » ou d’autres dispositifs “hors les murs” ? Quelles lectures et appropriations font-ils de cet objet en floraison, dans les milieux de vie, de soin et d’accompagnement ? “Faire tiers-lieu” est-elle une démarche suffisante pour faire émerger le pouvoir d’agir des plus fragilisé·es, par une situation de handicap, innée ou acquise par la maladie, la vieillesse, le genre, la neuroatypie, etc. ?

3.3. Modèle socio-économique et de développement local

À l’échelle micro, les tiers-lieux mettent aussi en œuvre des modèles socio-économiques variés et complexes qui questionnent les modèles des entreprises de l’économie classique. Le champ de l’économie, précisément de l’économie sociale et solidaire (ESS), trouve dans les tiers-lieux le terreau des initiatives d’organisation du travail parfois plus horizontales participant à la construction d’autres systèmes de valeur(s), au travers notamment des concepts d’économie collaborative, de réciprocité (Stiegler, 2010), circulaire et de la fonctionnalité.
Objets éminemment économiques intégrés à un système marchand mais également apparentés aux modèles de lucrativité limitée de l’ESS, les tiers-lieux et leurs modèles socio-économiques variés constituent-ils des alternatives à l’économie néolibérale mondialisée ou, au contraire, participent-ils à une extension des modèles capitalistes aux secteurs de la solidarité et de la cohésion sociale ?
Par ailleurs, constituent-ils de nouveaux modes de développement économique local accompagnant l’économie des territoires ou sont-ils plutôt des béquilles, des opportunités financières avant tout palliatives des déficits publics ? Est-ce d’ores et déjà possible d’évaluer les effets de rupture et de reconversion des modèles d’une économie marchande dite « traditionnelle » (productiviste, consumériste, financiarisée) ? Les propositions de communications pourront porter sur les différents modèles socio-économiques des tiers-lieux ainsi que leur caractère hybride.

3.4. Territoires et territorialités

Si les tiers-lieux peuvent être analysés en tant qu’organisme micro avec des modèles socio-économique variés, ils questionnent également les impacts de ces modèles à différentes échelles : de l’échelle méso, sur les quartiers et les territoires dans lesquels ils s’implantent et interagissent, à l’échelle macro avec la construction de politiques publiques (Liefooghe, 2023). De manière similaire aux structures de l’ESS, comment les tiers-lieux questionnent-ils les échelles du développement économique en valorisant le territoire (ultra-)local (Nadou, Kemdji, 2023) ?
Les tiers-lieux sont souvent cités comme des outils au service « des territoires ». À l’échelle locale, ils semblent avoir une fonction de (re)dynamisation de territoires à travers notamment l’animation et la mise en lien d’un système d’acteurs locaux : publics, d’entrepreneur·ses, d’artisan·es locaux, d’associations, d’habitant·es, etc. Les tiers-lieux pourraient-ils participer à un rééquilibrage territorial ? Entre études de cas situées (Richez-Battesti, Maisonnasse, Besson, 2022) et construction d’outils d’analyse (Glémain, Billaudeau, 2022), la question est toujours en débat.
Dans ce sous-axe, les propositions de communication pourront questionner la transition écologique (Boespflug et Lamarche, 2022), la redynamisation de l’économie locale (Nadou, et al., 2023 ; Maisonnasse et al., 2023), l’ancrage et le maillage territorial rendus possibles ou non par les tiers-lieux (Gauthier et al., 2022), la tension entre l’ultra-local et la mise en réseau de territoires par les tiers-lieux, les interactions entre les territoires urbains et ruraux (Fasshauer et Zadra-Veil, 2020 ; Leducq, 2023), ou encore leurs liens avec des dynamiques de gentrification dans les quartiers où ils s’implantent (Adisson, 2017 ; Landon, 2022).

3.5. Interactions avec l’Action Publique

Enfin, ce dernier sous-axe souhaite s’inscrire et prolonger les questionnements soulevés dans la partie 2 du Cahier de Recherche portant sur les rapports des tiers-lieux au politique.
Ces dernières années, l’intérêt d’acteurs institutionnels pour les tiers-lieux s’observe à travers la mise en place de différents programmes de soutien à leur développement : le programme “Nouveaux Lieux Nouveaux Liens” de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), les Appels à Manifestation d’Intérêt (AMI) en faveur de “Fabriques de territoire”, de “Manufactures de proximité” ou encore pour le développement de la formation professionnelle. De l’émergence à sa stabilisation, quelles implications du soutien de la puissance publique au mouvement des tiers-lieux ? Comment et pourquoi les acteurs publics intègrent-ils les tiers-lieux dits culturels, sociaux, solidaires ou encore d’activités dans leurs politiques publiques ? Les tiers-lieux servent-ils de délégations de services publics de proximité ou sont-ils au contraire un exemple de co-construction de politiques publiques ?

Quels sont les ressorts de ce que certains considèrent comme “institutionnalisation” de ces initiatives (Lhoste, Barbier, 2016 ; Ferchaud et Dumont, 2017 ; Bottini, 2018 ; Grenier et al., 2020) ? Dans quelle mesure cela affecte-t-il la dynamique propre des tiers-lieux ? Y a-t-il un risque d’une bureaucratisation et de dilution de ce qui fait la valeur même de ces espaces ?

Quels positionnements des acteurs des tiers-lieux par rapport à l’État et aux acteurs publics ? Quelles stratégies politiques, pratiques et répertoires d’actions sont empruntés par les acteurs tiers-lieux à l’instar d’autres acteurs du tiers-secteur (Besson, 2017 ; Faburel, 2018 ; Frère et Jacquemain, 2019 ; Landon, 2022 ; Mallet et Mège, 2022) ?

Dans ce sous-axe, les propositions de communication pourront porter sur les modes de soutien et de coopération d’acteurs publics aux tiers-lieux, des formes de partenariats publics-privés voire “public-communs”, d’une comparaison éventuelle avec d’autres politiques publiques de l’ESS, à l’instar des Pôles Territoriaux de Coopération Economique (PTCE) (Defalvard, Fontaine, 2018 ; Demoustier, Itçaina, 2022), d’un éventuel renouvellement de la démocratie participative, ou encore des perspectives pour la transformation de l’action publique (à l’image par exemple d’un renforcement de la contribution effective des citoyens à l’action publique).